« Il n’y avait rien de culturel autour des ftours. Notre but, c’était de mélanger les univers, créer un espace où on a le droit d’être à la fois le “soi” que nos parents connaissent et le “soi” que nos ami-es connaissent », résume Lyna, l’une des co-fondatrices de l’Atay Podcast. Un groupe d’amis maghrébins qui discutent de sujets qui touchent à leur quotidien, leur communauté, leur famille, leur bled, leur identité.

Les degrés de religiosité diffèrent. Pour autant, ce mois reste aussi important pour ceux qui pratiquent au quotidien et ceux qui ont un lien plus distancié avec la religion. Un élément réuni tout le monde : la culture. Elle se cristallise autour du moment du repas. La joie de la soif étanchée et de la première bouchée avalée est démultipliée lorsqu’elle est partagée.

60 personnes se sont réunies pour la rupture du jeûne dimanche dernier au 213 Concept Store. La boutique qui met en avant les créateurs « des deux rives de la Méditerranée » a prêté les lieux pour accueillir l’événement de l’Atay Podcast.

Les ftours, une madeleine de Proust pour beaucoup

Les ftours sont des moments de communion. Il était temps de les investir. Au-delà de leur caractère religieux, ils représentent pour beaucoup une madeleine de Proust. « La majorité des personnes sont très nostalgiques. Dès qu’elles sont rentrées dans la boutique, elles voient certains objets, et elles nous disent que ça leur rappelle les ftours en famille au bled », racontent Sara et Manel, sœurs et co-fondatrices du 213 Concept Store.

C’est mon premier ramadan sans ma famille, je voulais me sentir un peu moins seule

La plupart des participants sont des étudiants ou de jeunes travailleurs, ceux à qui la convivialité manque le plus. Certains bravent leur timidité pour venir rompre leur jeûne avec des inconnus. « C’est mon premier ramadan sans ma famille, je voulais me sentir un peu moins seule », explique Houda, 25 ans, récemment arrivée d’Algérie.

Sortir de la solitude, entre deux dattes, l’enjeu est sur la table. Ce genre d’événement permet non seulement de se sentir entouré physiquement, mais aussi et surtout, émotionnellement. Mohamed, Khady et Chaïmaa, trois amis venus du 78, insistent sur la fraîcheur de ce moment qui permet de rencontrer des jeunes « comme eux ».

Des événements culturels pour briser le statu quo

Au fil des bouchées, les langues se délient. Ils en viennent à évoquer leurs réalisations vis-à-vis de la société dans laquelle ils évoluent. « Au fil de mes études, j’ai de moins en moins eu l’occasion de rencontrer des gens comme moi », déplore Sami. Khady s’empresse de réagir : « On nous a appris depuis plus jeune qu’on ne pouvait pas aller loin dans nos études, qu’on n’était pas faits pour certaines filières. Venir ici, ça nous montre qu’on n’est pas seuls dans notre délire à vouloir faire des choses et qu’on est beaucoup à essayer d’aller au-delà du statu quo. »

Les ftours sont ouverts à tous, musulmans comme non musulmans. C’est le cas de Lydia qui habite Saint-Denis, elle est venue avec son ami Eddy. La première est musulmane, le second qui vient de Maisons-Alfort ne l’est pas. « J’ai découvert pleins de plats et boissons : fricassé, kalb el louz, laben », s’émerveille Eddy qui vient de vivre une véritable aventure gustative.

Ici, c’est l’occasion d’être ensemble et de passer un bon moment

Au coin thé à la menthe, en attendant d’être servis, ils ont pu s’épancher sur l’importance de ces événements rassembleurs. D’après Lydia, ce ftour et un « safe space ». « L’Islam et sa manifestation en France créent beaucoup de crispations. Ici, c’est l’occasion de ne pas penser à tout ça, de juste être ensemble et de passer un bon moment. » 

L’authenticité, recette du succès

« Il ne devrait pas y avoir de prétexte particulier pour que jeunes musulmans et non musulmans se réunissent, acquiesce Eddy en sirotant son thé. Je ne vois pas comment ça peut déranger des gens que ça se produise. On ne nuit pas à la liberté des autres, bien au contraire. »

De l’authenticité se dégage des échanges, des éclats de rire et des amitiés nouvelles. « Les gens sont impliqués dès le début, ils ne sont pas seulement consommateurs, se félicite Théophile, co-fondateur de l’Atay Podcast. […] On fonctionne de la même façon pour notre autre événement qui réunit des créateurs pour les rendre visibles, le Souk du Ramadan : on implique les créateurs dans l’organisation. » Le prochain Souk aura lieu le 9 avril.

« La communauté musulmane a beaucoup à apporter »

D’ailleurs, il semblerait qu’un de ces créateurs a pris une longueur d’avance. Pendant le ftour, une main surmontée d’un plateau rempli de kalb el louz revisités se glisse entre les tables. Walid, fondateur de Maison Elbena, a fait le lien entre l’Atay Podcast et le 213 Concept Store. Il fait goûter ses créations gratuitement : « Je me dois de soutenir ces rassemblements d’une façon ou d’une autre. Le Kalb Louz c’est mon message entre ma culture, dont je suis fier et le reste du monde. »

Ces espaces imprégnés de culture et de spiritualité sont nécessaires pour les personnes de culture musulmane, mais aussi pour celles et ceux qui ont à cœur de partager. Rayan est convaincu du caractère novateur des ftours collectifs. « La communauté musulmane a beaucoup à apporter, il faut juste lui laisser sa chance », lance le Dionysien de 23 ans. Heureusement, l’Atay podcast prévoit encore d’autres évènements.

Hajar Ouahbi

Crédit photo : Hicham Touili-Idrissi

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