À Montfermeil, samedi 7 janvier, l’heure est au recueillement après la mort de Kilyan. Ce jeune homme de 30 ans, originaire de Martinique, est décédé suite à une interpellation policière dans la nuit de mercredi à jeudi. Pas moins de douze coups de taser lui ont été administrés par les fonctionnaires de police.

Dans la résidence de la cité Lucien Noël, la communauté locale s’est rassemblée autour d’un repas organisé par les proches du défunt. Malgré la nuit froide et pluvieuse, les habitants sont au rendez-vous. Une cagnotte a été mise en place pour épauler la famille.

Nabil, un des anciens du quartier à l’initiative de ce rassemblement, exprime la nécessité de se souvenir de Kido (le surnom de Kilyan), de lui rendre hommage et de soutenir la famille endeuillée.

Ça aurait pu être toi, moi, n’importe qui 

Dans la cour, les discussions tournent inéluctablement autour du drame. « Comment vous êtes quatre et vous ne réussissez pas à utiliser votre cerveau pour interpeller un gars ? Un à sa gauche, un à sa droite et hop ! », tempête Tony, un ami de longue date de Kido. Un habitué de l’épicerie renchérit. « Ils étaient obligés de venir à 20 dans une épicerie pour l’interpeller ? En plus, ils le tasent tous en même temps. Où est le bon sens dans tout ça ? Ça aurait pu être toi, moi, n’importe qui », lâche-t-il, la gorge nouée.

D’après les premiers éléments de l’enquête cités par le parquet de Bobigny, ce sont six policiers qui ont fait usage de leur pistolet à impulsion électrique. Au total, 18 fonctionnaires sont intervenus en plusieurs temps dans l’épicerie, un Citymarket, où a eu lieu l’interpellation.

Un père de famille bienveillant et généreux

Pour Tony, leur méthode reste incompréhensible. « C’était une vengeance parce qu’il ne s’est pas laissé faire… », lâche-t-il, le ton affecté.

Un portrait unanime de Kilyan se dessine au fil de la conversation, celui d’un bon père de famille, quelqu’un de bien, de généreux. « C’était un bon. Pour lui, si tu étais son ami, tu étais son frère », témoigne Ahmed, un habitué de l’épicerie.

La nuit de mercredi à jeudi a vu le déclenchement de deux enquêtes consécutives à l’intervention des forces de l’ordre, comme l’a rapporté le parquet de Bobigny. La première a été confiée à la sûreté territoriale de la Seine-Saint-Denis pour des faits de violences et de menaces de mort sur personne dépositaire de l’autorité publique. Quant à la seconde enquête, sur l’intervention des policiers, elle a été confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).

D’après le parquet, les policiers n’ont pas encore été auditionnés et l’examen de la vidéosurveillance est en cours.

La version policière contestée

Selon les sources policières citées par l’AFP, les forces de l’ordre seraient intervenues après l’appel du gérant de l’épicerie pour qu’ils fassent sortir son employé et qu’il puisse fermer son commerce. La même source affirme qu’au moment de l’intervention, Kilyan aurait été en « état de surexcitation » et « d’agressivité » et qu’il « consommait de l’alcool ». Dans la réserve, la situation a dégénéré, un policier aurait été mordu et frappé au visage. Les policiers ont fait appel à du renfort. Voilà pour la version policière.

Mais dans la résidence de la cité Lucien Noël, ce récit est contredit. Les personnes présentes lors de cette soirée indiquent plutôt qu’il était dans un état de détresse et non pas alcoolisé.

« Non seulement ils ont enlevé mon frère, mon collègue, mon ami, mais en plus, ils ont menti sur moi, je n’ai jamais appelé la police », assure Michel, le gérant du Citymarket. Et continue de préciser que la police est intervenue dans la réserve de son commerce, hors de portée des caméras, puis, qu’à la suite de l’incident, « ils ont tout nettoyé, les projectiles, les caméras… Plus rien n’était là ». Ce dernier a décidé de fermer son commerce, le temps du deuil.

Eric habite près de l’épicerie, il était également présent le soir du drame et se remémore la scène. « Je leur ai demandé de ne pas lui faire de mal, de ne pas rentrer comme ça, car le mec n’était juste pas bien. Le policier m’a crié en souriant “ouais, c’est ça“ », soutient-il.

Une volonté de vérité et de justice

Dans le brouhaha, une voix s’élève. « Les gars, faisons confiance aux institutions, même si c’est dur… Attendons l’autopsie », appelle un habitant, bien conscient du choc et du sentiment d’injustice qui règne.

Il serait temps d’arrêter de tuer des gens

« Il serait temps d’arrêter de tuer des gens », tance Malamine Diarra, grand du quartier des Bosquets et coordinateur dans le service jeunesse de l’Espace J à Montfermeil. Sa parole émerge à l’image de la frustration collective. Il insiste sur la nécessité d’éviter la violence pour faire entendre la voix de la communauté : « Nous ne ferons pas d’émeutes, nous sommes matures, casser et brûler des choses n’est pas la bonne solution. »

Méfiance envers les médias

Malgré notre présence, un rejet des médias transparaît par ailleurs dans les propos de Yanis, jeune Clichois et proche de Kilyan. « On ne veut pas de médias, on ne veut pas leur répondre. Quand on est de bonne foi, qu’on se prête au jeu, on finit toujours par retrouver nos propos déformés, et des mensonges pour vendre un récit. » Malgré sa nature souriante, il ne réussit pas à dissimuler la tristesse sur son visage.

Dès que les souvenirs sont évoqués, les larmes sortent l’obligeant à mettre des lunettes de soleil. Ce refus de parler aux médias souligne le sentiment de méfiance envers une couverture médiatique jugée souvent biaisée.

La méfiance envers les médias, la quête de justice, et la nécessité de mettre fin à la violence policière se mêlent dans le discours de la communauté de Montfermeil.

La soirée finit à 1 heure du matin du dimanche 7 janvier. Tout le monde se mobilise afin de tout ranger, et ne rien laisser sale. Les aliments en trop ont été donnés aux familles qui en avaient besoin. La pluie tape, et se mêle aux larmes de la perte d’un ami, un proche, une figure du quotidien.

Walid Chatbi

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