« Jamais je n’aurais cru prendre la parole en public pour évoquer la mort de mon frère. » Du haut des marches de la mairie de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), jeudi 21 mars, le grand frère de Wanys rassemble ce qu’il lui reste de forces pour remercier les personnes présentes à la marche blanche.

À ses côtés, les portraits de Wanys R. et Ibrahim H., toujours hospitalisé, regardent la foule qui s’amasse peu à peu. La marche blanche se déroule le jour de l’anniversaire du jeune homme décédé. Il aurait dû avoir 19 ans.

Le 13 mars dernier, Wanys R. est pris en chasse par la police, après un refus d’obtempérer, selon les forces de l’ordre. Il est percuté quelques instants après par une voiture de la BAC (brigade anticriminalité) d’Aubervilliers, venue en renfort et arrivant à contresens. Le passager, Ibrahim H., 19 ans, souffre de fractures au bassin et à la cheville.

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À la marche pour Wanys à La Courneuve, le 21 mars 2024. © Thidiane Louisfert

Depuis son lit d’hôpital, il a largement contredit les premiers éléments parus dans la presse qui évoquent une collision accidentelle ou l’intervention d’un autre véhicule. « Ils disaient : “Yes, on a réussi à les renverser” […]. Ils ont fait exprès, c’était volontaire, j’ai tout entendu. Ils ont dit comme quoi ils avaient réussi leur coup et qu’il n’y avait pas de caméra autour. Ils étaient fous de joie », a décrit le blessé aux journalistes de France 3.

L’avocat des deux familles, MYassine Bouzrou, a déposé plainte pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et « violences volontaires aggravées ». Deux enquêtes ont été diligentées, la première pour « homicide » et « blessures involontaires », la seconde pour « refus d’obtempérer ».

Une semaine après sa mort, les proches de Wanys arborent des tee-shirts parfois réalisés à la va-vite. Sur certains d’entre eux, « Double V » – le surnom du jeune homme décédé – a remplacé le « Justice pour Wanys et Ibrahim ».

« C’étaient des gentils petits gars de quartier », soupire Samir, moniteur d’auto-école à La Courneuve, tentant de se faire entendre sous les slogans qui émaillent rapidement la marche. « On ne peut en dire que du bien », résume-t-il.

Derrière lui, le cortège scande « Police, assassin »« On ne saura jamais vraiment ce qu’il s’est passé », déplore le trentenaire. « La police a changé de version plusieurs fois », observe-t-il.

Les premières sources policières imputaient l’accident à Wanys R., qui aurait « percuté un second équipage » de police. L’avocat des policiers à l’origine de l’embardée a évoqué quant à lui « une manœuvre d’évitement » après la diffusion des images de l’accident.

Dans le cortège, Émilie croit revivre un cauchemar. Son beau-frère, Yanis, est mort dans des circonstances similaires en juin 2021, à Saint-Denis. « C’est potentiellement la même BAC qui a initié la poursuite de Yanis », frémit-elle. « L’affaire Wanys, ça remue tout », admet-elle.

L’émotion d’une ville

Depuis le 13 mars, la ville de La Courneuve retient son souffle. « On est encore en deuil », déclare un proche des victimes. « Il ne méritait pas ça et tous ceux qui disent le contraire ont tort », insiste le jeune homme, blessé par des commentaires lus sur les réseaux sociaux.

Il s’attarde moins sur sa jambe, qu’il traîne en béquille depuis la veille. Une descente de police et un tabassage en règle dans son quartier, affirme-t-il. La Courneuve a connu depuis le 13 mars quelques soirs de révolte. Des renforts policiers ont depuis fait leur apparition, loin de calmer les rancœurs. Le jeune homme égraine quelques noms de famille de policiers. « Ceux-là, ce sont les pires », tempête-t-il.

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À la marche pour Wanys et Ibrahim à La Courneuve, le 21 mars 2024. © Thidiane Louisfert

Assises sur un banc, un peu avant le départ de la marche, quatre mères de La Courneuve évoquent, elles aussi, des brutalités policières sur leurs fils. « Ça fait mal au cœur », alternent Dounia et Aïcha en français et en arabe. « Depuis la mort de Wanys, c’est catastrophique : tout le monde est triste », poursuivent-elles.

Les familles de Wanys et Ibrahim ont reçu le soutien du maire de la ville, Gilles Poux. Sans écharpe d’élu, il marche parmi la foule et décline toute prise de parole devant les médias. Dans une allocution diffusée sur les réseaux sociaux, le communiste avait fait allusion à une « jeunesse naturellement traumatisée » par le décès du lycéen, scolarisé en BAC pro commerce dans l’établissement Arthur-Rimbaud de la ville.

Encadré sur leur temps libre par des éducateurs et médiateurs de La Courneuve, le cortège hue des policiers au croisement d’une rue. Une présence qui met mal à l’aise Salima, mère d’un adolescent ancien camarade de classe de Wanys. « D’un côté, je ne veux pas que ce qui s’est passé après Nahel se reproduise, car ce sont toujours les pauvres qui en pâtissent », explique-t-elle. De l’autre, elle confesse avoir peur quand son fils sort le soir. « Maintenant, il est en internat dans le 78. Ça me rassure de le savoir là-bas plutôt qu’ici », souffle-t-elle.

Deux heures après son départ, la marche arrive dans la ville voisine d’Aubervilliers, sur les lieux du drame, entre un centre médical et une tour d’habitation rosie par la lumière du coucher de soleil. Les premiers soutiens commencent à partir.

« Le relais politique est là mais on ne s’en sert que lors des drames et puis, plus rien », s’émeut Émilie, du collectif Justice pour Yanis. Pour elle, « cela recommencera si on ne fait rien, tant au niveau de la loi qu’au niveau de la justice ».

Présente également, Assa Traoré clôt la marche par la lecture d’un message transmis par Ibrahim. « Dans cette affaire, les familles ont le témoignage du survivant, pointe Émilie. C’est une grande chance. »

Méline Escrihuela

Photos ©ThidianeLouisfert

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