La finale de la Ligue des champions 2022 restera dans les esprits comme celui d’un fiasco sécuritaire. Le 28 mai 2022, aux abords du Stade de France qui accueille l’évènement, les supporteurs de Liverpool et Madrid ont été victimes d’arnaques aux faux billets et d’agressions. Un rapport commandé par l’UEFA, paru le 13 février 2023, pointe du doigt la responsabilité des pouvoirs publics dans la mise en danger des supporteurs.

Un désastre dont se seraient bien passé le Ministre de l’Intérieur et la Préfecture de police de Paris, à deux ans des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris (JOP). Plus de 15 millions de visiteurs sont attendus en 2024. Certaines des épreuves se dérouleront au Stade de France et ses alentours.

Un projet de loi sécuritaire en vue des JOP

Pour s’assurer du bon déroulement des Jeux, le gouvernement a présenté fin 2022 un projet de loi qui vise à renforcer la sécurité aux abords des stades et des lieux de compétitions. Parmi les mesures proposées, l’article 7 prévoit de légaliser le recours à la vidéosurveillance « intelligente ».

 Concrètement, il s’agit de placer dans les lieux publics des caméras de vidéosurveillance équipées d’algorithmes qui analysent les images en temps réel. Ces dispositifs sont censés repérer certains évènements – comme les mouvements de foule, les colis abandonnés ou des comportements jugés « suspects » – et envoyer une alerte aux services de sécurité.

Une vidéosurveillance « inadaptée et coûteuse »

L’article 7 vient renforcer le dispositif de vidéosurveillance francilien. Pourtant, ce dispositif déjà existant et son financement ont été évalués comme « inadaptés et coûteux » par la Cour des comptes, l’instance de contrôle des dépenses publiques.

Depuis 2010, la Préfecture de police a installé plus de 4 000 caméras dans toute la région Ile-de-France. Pour fournir les caméras et en assurer la gestion, la Préfecture a signé un contrat de 16 ans avec la société privée IRIS PVPP, regroupant deux filiales d’ENGIE et EDF. Le montant initial était de 225,1 millions d’euros. Il a en réalité atteint les 343 millions d’euros fin 2020.

Pourtant, le gendarme de la dépense publique révèle plusieurs défaillances dans le dispositif de vidéoprotection. Dont le contrôle du prestataire privé « insuffisant » et l’absence d’évaluation de « l’efficacité et de l’efficience » du plan depuis sa mise en place.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin,  a répondu au rapport en évoquant notamment que : « l’ensemble des acteurs se heurte à des difficultés pour évaluer l’efficacité globale du dispositif en raison de l’absence d’outils et de méthodologies adaptés, rendant l’organisation de cette évaluation particulièrement complexe ».

En dépit de ces difficultés d’évaluation d’efficacité, Gérald Darmanin a toutefois défendu l’intérêt de la vidéoprotection. Toujours d’après la Cour des comptes, l’implémentation d’intelligence artificielle à la vidéosurveillance demanderait 90 à 138 millions d’euros supplémentaires d’ici 2026.

La sécurité n’a pas de prix

Malgré ces sommes exorbitantes, la vidéosurveillance est une collaboration gagnant-gagnant entre les pouvoirs publics et les entreprises de sécurité. « Politiquement, c’est entendable », admet Alouette, membre du collectif citoyen La Quadrature du net. « Les élus peuvent dire à leur population qu’ils prennent à cœur la sécurité. Les caméras de surveillance sont une mesure quantifiable, vérifiable et visible. »

Si la sécurité est au cœur du débat public depuis des années, les attentats de 2015 et 2016 en France ont donné un coup d’accélérateur aux politiques sécuritaires du gouvernement. On observe à cette période une augmentation significative du nombre de caméras de surveillance dans les lieux publics et du budget dédié.

Aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et la baisse du niveau de la délinquance

Cependant, un autre rapport de la Cour des comptes de 2020, qui a passé au crible les polices municipales françaises, se conclut par un constat sans équivoque. « Aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et la baisse du niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation. » Un constat qui n’empêche pas les pouvoirs publics de continuer d’investir dans ce secteur.

Les enjeux économiques de la sécurité

La complexité des technologies à mettre en place à temps pour les JOP, interroge sur l’objectif réel du dispositif. « Les Jeux seront plus un test qu’une utilisation », estime une experte en sociologie urbaine qui a souhaité garder l’anonymat. Un sentiment confirmé par le projet de loi qui qualifie le dispositif d’intelligence artificielle comme d’une « expérimentation ».

« Pour moi, la mise en place de ces systèmes remplit trois objectifs, qui ne serviront pas à la sécurité : rendre les algorithmes performants en leur fournissant une grande quantité de données pour favoriser leur commercialisation ultérieure, renforcer les liens entre les entreprises du numérique et les acteurs publics et tester l’acceptabilité du dispositif par la population », énumère-t-elle.

Le marché de la vidéosurveillance est un marché juteux. 1,55 milliard d’euros en France en 2020 selon la revue spécialisée En toute sécurité. « Les grands évènements comme les Jeux Olympiques servent de vitrine pour les partenaires étrangers des forces nationales en matière de sécurité », explique Alouette, « l’objectif est de sécuriser des contrats pour les entreprises françaises qui mettent au point ces technologies ».

Une expérimentation aux frais du contribuable

Les citoyens semblent participer, malgré eux, à un projet de Recherche et Développement d’entreprises. Et ce, en servant non seulement de données, mais en finançant également ces expérimentations par la dépense publique.

Le projet de loi, adopté en première lecture par le Sénat, doit encore être présenté devant l’Assemblée nationale. La quadrature du Net, qui dénonce l’atteinte aux libertés individuelles induite par le développement de ces dispositifs, a lancé une campagne de mobilisation contre la vidéosurveillance automatisée.

S’il est validé, le dispositif de vidéosurveillance intelligente à titre expérimental est prévu pour s’étendre jusqu’au 30 juin 2025. Un an après les JOP. Il reste à espérer que les nouvelles mesures prévoient une meilleure conservation des images pour que la justice puisse mener son travail d’évaluation en cas de défaillance des services de sécurité.

Pour rappel, lors de la finale de la ligue des Champions, les enregistrements des caméras du Stade de France, qui contenaient les images des policiers présents au moment des faits, ont été effacés moins d’une semaine après les incidents.

Méwaine Pétard

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