« Vendredi, le soir de la mort de Nahel, je suis allé dans les rues. J’ai vu des gamins retourner une voiture pour y mettre le feu. Ils étaient sur un niveau d’excitation et de colère… Je n’ai pas eu le sentiment qu’il fallait que j’intervienne. » Philippe Bouyssou est le maire d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Comme dans de nombreuses villes en France, la jeunesse ivryenne s’est soulevée après la mort Nahel, tué par un policier à 17 ans.

Deux jours après le décès du jeune homme, Philippe Bouyssou a organisé un rassemblement devant la mairie d’Ivry-sur-Seine. « Il y a quand même près de 200 personnes qui sont venues. Mais il ne faut pas se raconter des histoires, il n’y avait pas de jeunes », rapporte l’élu. Qui livre cette analyse : « Les habitants me disent que la police ne se comporte pas bien avec les jeunes. J’ai le sentiment que cette colère est partagée par toute la population, mais qu’elle ne se traduit pas de la même façon. »

Qui pour porter la voix des jeunes ?

À la suite du drame, les procès en dépolitisation des jeunes révoltés ont fleuri. Mais selon Ulysse Rabaté, chercheur sur les rapports entre les banlieues et la gauche, le débat qui limite cette contestation à de la violence urbaine est erroné. « Je pense que la mobilisation des jeunes est 100 % politique. Normalement, la gauche ne devrait pas remettre en cause cette dimension et devrait légitimiter la prise de position des jeunes », affirme le chercheur qui a été, durant plusieurs années, conseiller municipal à Corbeil-Essones.

Comment la gauche va faire exister un discours politique pour les jeunes de quartiers populaires ?

Ulysse Rabaté estime que le débat doit avoir sa place au plus haut niveau de l’État. Le gouvernement n’a apporté, pour l’heure, qu’une réponse répressive face à la colère. « La question maintenant c’est : Comment la gauche va faire exister un discours politique pour les jeunes de quartiers populaires ? En observant la position du gouvernement, on voit bien que c’est un débat qui peut vite disparaître de l’agenda politique », pointe le chercheur.  

« Il y a une responsabilité très importante des élus de la NUPES sur les territoires populaires parce qu’avant cette mobilisation dans la rue, il y a eu une mobilisation électorale », rappelle-t-il. Lors de la dernière présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise, a fait des scores considérables dans les quartiers populaires.

Renouveler le personnel politique

En Seine-Saint-Denis, l’Insoumis a été élu au premier tour de la présidentielle et tous les sièges de députés du département sont revenus à la France insoumise. Mais depuis 2022, Jean-Luc Mélenchon n’a pas mis un pied dans le département.

Les revendications des quartiers populaires restent encore trop inaudibles, appuie le chercheur Ulysse Rabaté : « Une chose est de dire que la parole est légitime, une autre est de laisser de la place à cette parole politique pour construire un projet pour la société. Cette étape-là reste à franchir », estime le chercheur. 

« Ces derniers jours, on a vu des mères de famille mises en valeur sur tous les plateaux TV. La gauche doit se demander comment faire pour laisser la place à ce type d’actrice en politique », illustre Ulysse Rabaté. Malgré quelques avancées, les partis de gauche peinent à faire émerger des personnalités issues des quartiers populaires.

« À l’Assemblée nationale, la voix de mon quartier est entendue  »

Carlos Martens Bilongo est le député de la 8ᵉ circonscription du Val-d’Oise. « J’ai été élu dans une circonscription qui a été très marquée par les violences policières de 2005 et 2007. J’avais 15 ans à cette période-là », raconte le député. À cette époque, il dit observer « un décalage générationnel et un décalage de vécu » avec les élus. « Aujourd’hui, moi, j’ai un écho et la voix de mon quartier, des villes de ma circonscription, est entendue. Là est l’intérêt d’avoir un élu qui connaît la souffrance et la fracture sociale de sa circonscription », avance-t-il.

Pourtant, le soir de la mort de Nahel, le député a été chahuté lors d’une visite à Nanterre. Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, on voit Carlos Martens Bilongo, costume bleu marine et chemise blanche, pris à partie par un groupe de jeune qui lui demande de s’en aller. Il reçoit alors un coup de mortier sur la tête. « J’ai eu de très bons échanges avec les gens à Nanterre. Mais à un moment, je suis tombée dans une rue où il y avait des jeunes qui étaient plus énervés. En tant que député, pour eux, vous êtes la République, vous êtes aussi le maire… les jeunes ont tout confondu, les nerfs étaient à vif », explique-t-il.

Une gauche désunie contre les violences policières

Plusieurs jours de révoltes ont suivi la mort de Nahel et chaque parti politique s’est positionné. Au sein de la Nupes, les dissonances se sont imposées tant les rapports aux violences policières divergent entre les partis et même en leur sein. Ainsi Jean-Luc Mélenchon (LFI) a refusé de répondre aux injonctions à appeler au calme, quand Fabien Roussel (PC) et Olivier Faure (PS) ont dénoncé les violences.

Au sein même de La France Insoumise, les députés ne se sont pas tous mis d’accord. Le député de Picardie, François Ruffin, a laissé entendre un point de vue différent. Le jour de la mort de Nahel, l’Amiénois a posté un message sur ses réseaux : « Porter l’uniforme de la République implique des devoirs. Pour les policiers comme pour les citoyens, enquête et justice ». Le député LFI Antoine Léaument a jugé cette réaction « mi-chèvre mi-chou » et le débat a repris de plus belle.

Après la mort de Nahel, le vide politique ?

Pour donner suite aux revendications de la jeunesse, Philippe Bouyssou a notamment signé une tribune avec plus de 100 maires communistes pour exiger un débat national sur la cohésion territoriale, contre les discriminations et les précarités. À L’Assemblée nationale, les Verts et les Insoumis ont déposé des propositions de loi pour limiter le recours aux armes en cas de refus d’obtempérer.

Toujours côté parlement, le projet de loi pour accélérer la reconstruction des dégradations causées par les révoltes suit son cours au Parlement. Une commission d’enquête sur les révoltes urbaines est prévue au Sénat, à l’automne. Mais rien de probant ne semble poindre concernant la question des violences policières ou celle des conditions de vie dans les quartiers populaires.

Le remaniement qui a eu lieu jeudi 20 juillet confirme la réponse exclusivement répressive de l’exécutif ; pour la première fois de l’histoire, la politique de la ville se voit placée sous le contrôle du ministère de l’Intérieur.

Emma Garboud-Lorenzoni

Crédit photo : Marie-Mène Mekaoui 

Articles liés