« On a découvert des fuites à différents endroits de l’établissement et certaines près d’installations électriques. » Il est 8 h 30 devant le lycée Paul Éluard de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), une vingtaine d’enseignants s’est donné rendez-vous devant les grilles de l’établissement.

Certains tiennent des petites pancartes où on peut  lire : « 60 ans, la retraite ou… la rénovation ! » Les enseignants ont rendez-vous avec des membres du conseil régional pour faire part de l’état alarmant des locaux et obtenir des réponses sur des travaux et des rénovations.

Le 9 mai, jour de la rentrée, les enseignants et les élèves ont eu la mauvaise surprise de découvrir les locaux complètement inondés. Le plafond du bureau de la CPE s’est effondré. Une situation intenable pour les enseignants qui les a incités à médiatiser l’affaire, d’abord sur les réseaux sociaux.

Il y a des soucis de vétusté depuis des années et on craint pour notre sécurité et celle des élèves

« [La région] a annoncé sur Twitter une aide de 40 millions d’euros », indique une enseignante. « Ça ne sera pas assez parce que ce sont des problèmes structurels, il y a des soucis de vétusté depuis des années et on craint pour notre sécurité et celle des élèves », fulmine cette professeure de français.

À 9 heures, le personnel entre dans l’établissement pour le début de la réunion, au même moment les élèves arrivent en nombre sur place, accueillis par le principal adjoint. Certains ne savent pas s’ils vont avoir cours, car plusieurs professeurs ont décidé d’exercer leur droit de retrait.

« Cet hiver a été très difficile, il a fait 12° degrés dans certaines salles »

« Il n’y a pas que les problèmes d’inondation, il y a aussi le chauffage et on le signale régulièrement. Cet hiver a été très difficile, il a fait 12° degrés dans certaines salles, c’est insupportable. L’insalubrité est récurrente ici et tout cela nous inquiète », détaille Julie, professeure de philosophie.

Elle est rejointe par sa collègue Agnès, qui montre des photos sur son portable. « Regardez ma préférée, c’est cette photo du 9 mai »,  ironise-t-elle en montrant l’eau présente dans les couloirs de l’établissement, on peut y voir des bassines sur les images. «  Ce matin, de nouvelles fuites ont été découvertes, les murs sont gorgés d’eau ! »

Des conditions de travail qui se répercutent forcément sur les élèves. « Cet hiver, on a tous gardé nos manteaux dans les salles parce qu’il faisait très froid. On travaille dans des mauvaises conditions », rapporte Youssef, 17 ans, élève en première. Que ce soit les élèves et les enseignants, tous découvrent quotidiennement des problèmes et doivent s’adapter en permanence.

« Ce sont des micro-luttes au quotidien »

L’infiltration a causé d’importants dégâts dans le bâtiment G de ce lycée et des salles ont été condamnées sur trois étages, alors que des salles sont manquantes.

« C’est un manque de respect et du mépris. Ce sont des micros-luttes au quotidien pour les enseignants. On doit faire du rafistolage, on a aussi de gros problèmes avec le numérique, des ordinateurs fournis par la région qui n’ont pas assez de mémoire, des prises qui ne fonctionnent pas pour pouvoir les brancher », énumère Fanny, prof de français depuis 12 ans dans ce lycée.

Une situation qui cause de nombreux arrêts de travail, « les gens luttent, compensent des défaillances structurelles jusqu’au moment où ils se retrouvent épuisés et craquent », relate Julie. « Cette situation est violente et on la renvoie aux élèves. C’est un manque de respect de les recevoir comme ça, ce n’est pas normal », explique Marion, enseignante de philosophie.

Des dysfonctionnements qui perturbent la scolarité des élèves

« On peut changer jusqu’à trois fois de salles parce qu’il y a toujours un problème. À cause des changements sur une heure de cours par exemple, on va avoir uniquement avoir 20 minutes de cours », témoigne Youssef, âgé de 17 ans.

On n’est pas sur un même pied d’égalité par rapport aux lycées parisiens

À 9 heures, alors que la réunion va commencer, certains élèves qui ne savent pas encore s’ils auront cours se confient sur l’état du lycée. « On n’est pas sur un même pied d’égalité par rapport aux lycées parisiens. On sait très bien qu’une situation pareille ne se produirait pas dans ces lycées », avance Eva, âgée de 17 ans.

« Pour les ordis, c’est une dinguerie. Pendant un long moment, il n’y avait pas de réseau, donc tout ce que l’on enregistrait, on le perdait », raconte Soraya, élève en première. Sa camarade, Bintou, a encore en mémoire la perte d’un devoir sur lequel elle avait « passé plusieurs jours ». 

« Des problèmes ponctuels », selon la région

Une scène assez surréaliste se produit à la sortie de la réunion entre les enseignants, la direction de l’établissement et des membres de la région.

D’un côté, Geoffrey Carvalhinho, conseiller régional LR d’Île-de-France, répond aux questions de la presse en expliquant qu’il « s’agit de problèmes ponctuels et que la région intervient à chaque fois qu’il y a des problèmes ». De l’autre, les enseignants se disent peu rassurés et déçus de l’issue de la réunion.

L’élu indique qu’un montant de 40 millions d’euros est prévu en juillet pour la rénovation thermique globale du lycée et la mise en place d’une étude d’un an pour déterminer le cahier des charges complet. « On agit concrètement et on réalise des diagnostics en ce moment, on est vraiment mobilisé pour les lycéens en Seine-Saint-Denis et on ne les délaisse pas par rapport aux autres départements », affirme-t-il.

On nous a parlé d’une étude d’un an, mais que va-t-on faire la semaine prochaine ?

Autre son de cloche du côté des enseignants. « Ce ne sont pas des problèmes ponctuels. L’eau qui s’infiltre, c’est déjà arrivé l’an dernier, en ce moment ça fait 15 jours que ça coule partout. On nous a dit qu’on serait partie prenante, que les travaux seraient faits en concertation avec nous, mais devoir attendre un an, ça signifie qu’on aura encore froid l’hiver prochain », indique Mathieu, enseignant de mathématiques.

Cette réponse ne les satisfait pas et ils craignent pour la sécurité des élèves, et celle du personnel. « On nous a parlé d’une étude d’un an, mais que va-t-on faire la semaine prochaine ? Le lycée est un centre d’examen pour le bac et on va accueillir des élèves dans ces conditions avec de l’eau qui s’écoule le long des ordinateurs et des prises ? », déclare à bout de nerf Agnès. Il en faudra vraisemblablement plus qu’une simple réunion pour apporter des réponses durables et satisfaisantes.

Aïssata Soumaré

Articles liés