« Hedi, c’est mon encadrant, il vient de mon quartier et il est jeune. On se sent compris », apprécie Hamadi*, 14 ans. Hamadi a été exclu temporairement de son collège du 10e arrondissement il y a deux semaines pour raisons comportementales. Sur proposition de son CPE, et avec l’accord de ses parents, il se retrouve aujourd’hui à l’Accueil de Réussite Éducative de la rue Ramponeau (ARER) à Paris dans le 20e arrondissement. Cet établissement, niché au cœur du bas Belleville, reçoit des jeunes dans sa situation, issus des collèges du quart nord-est parisien (10,11,19 et 20e arrondissements).

Si Hamadi a accepté sans crainte d’y passer sa semaine d’exclusion, c’est parce qu’un de ses camarades de classe, exclu lui aussi, l’a précédé à l’ARER et en est revenu « tout content ». « Il m’a déconseillé de refuser quand on me l’a proposé, raconte Hamadi. Il m’a dit que c’était vraiment cool, que les gens là-bas étaient là pour nous, qu’ils ne se prenaient pas la tête. »

Au sein du dispositif, Hamadi partage son temps chaque jour entre cours et activités culturelles et sportives. Certains ateliers ont pour but de l’amener à réfléchir à la situation dans laquelle il se trouve, d’autres de lui permettre de se défouler et de s’exprimer. Tout cela s’inscrit dans l’objectif du programme : initier le retour à l’école et identifier d’éventuels besoins plus profonds.

L’espace dédié aux enfants comprend la cour d’école, un petit préau, et plusieurs salles de classes. Cette semaine, ils sont 4 au total. L’objectif est d’assurer la continuité du travail scolaire, de redonner confiance en eux aux élèves, mais aussi d’identifier ce qui permettrait de les remettre sur les rails de l’apprentissage. À côté de ça, les établissements d’origine livrent des recommandations (aide aux devoirs, inscription à différentes activités artistiques ou sportives, etc).

Explusions temporaires : facteur de décrochage scolaire

Un dispositif qui gagne à être connu tant les exclusions temporaires sont fréquentes en France et tendent à aggraver le décrochage scolaire qui guette les habitués de cette sanction. C’est ce que souligne Benjamin Moignard, professeur spécialisé en sciences de l’éducation, dans une étude de 2015.

Dans plus d’un tiers des cas, les élèves exclus une fois le seront de nouveau, posant ainsi des problèmes pour la continuité des enseignements. Le chercheur démontre aussi que le caractère exceptionnel de cette forme de sanction est peu respecté, et que les volumes d’élèves exclus sont particulièrement importants. Il conclut en préconisant la mise en place de mesures d’accueil et de médiations.

Medi(t)ation

Ici, à l’ARER, la médiation se décline notamment aux cours des ateliers. Nous rejoignons le premier de la journée : Gestion des émotions. Nashra, l’animatrice, parle avec les enfants de la colère, du stress, de la manière dont ils ressentent ces émotions et de la manière dont ils peuvent s’en affranchir. Vient ensuite le moment de relaxation. Jeunes (et moins jeunes) s’allongent sur des tapis de mousse et se laissent porter par la voix douce de Nashra. Certains finissent par s’endormir tout à fait, ceux-là mêmes qui confiaient plus tôt n’avoir pas dormi la nuit précédente.

Attendrie et amusée par ce spectacle, la jeune femme livre ses impressions : « Le dispositif, selon moi, permet de leur apprendre la bienveillance, l’écoute, le non-jugement. J’essaie de leur permettre de mieux se comprendre et d’exprimer des choses qui ont du mal à sortir autrement. »

Ils n’hésitent jamais à te répéter encore et encore si tu ne comprends pas. Au final, tu comprends mieux qu’en cours

À la fin de la séance, les jeunes partagent leur ressenti, avant de se rendre en salle de classe pour l’aide aux devoirs. Chaque jeune est suivi par un encadrant. « Ce que j’aime ici, c’est qu’ils ne te lâchent pas, ils n’hésitent jamais à te répéter encore et encore si tu ne comprends pas. Au final, tu comprends mieux qu’en cours », reconnait Hamadi.

La persévérance des encadrants n’est pas le seul aspect que les enfants apprécient. Cette structure leur apporte un certain sentiment de proximité et le sentiment d’être compris et écouté. Hedi est le plus jeune des encadrants. Il adopte avec les enfants une ligne ferme, mais compréhensive. Comme un grand frère, il n’hésite pas à faire appel à l’enfant en lui. Et cela semble fonctionner. Marc*,12 ans, un enfant qui s’est montré assez agité pendant l’atelier, recopie assidûment sa leçon sur le Roman de Renart, sous l’œil attentif de son animateur favori.

Des exercices pour développer la confiance en soi

Le temps passe vite quand on s’amuse et c’est déjà la fin des devoirs. Direction la salle de déjeuner où trône une table étroite et longue. La kitchenette est largement suffisante pour répondre aux besoins de tout le monde. Le repas se déroule dans la convivialité, enfants et adultes réunis. Ce midi, ça parle de foot et de société.

Le ton est bon enfant et la bonne humeur règne. Marc plaisante sur l’absence de filles au dispositif cette semaine. On lui rétorque qu’elles sont plus sages ou plus discrètes dans leurs bêtises. « Mais c’est du sexisme ! », se plaint-il non sans malice. Une fois le repas terminé, tous se dirigent vers le préau pour une partie de foot endiablée.

Fin de la pause. C’est l’heure de l’atelier théâtre. Sarah, 33 ans, organise habituellement des comédies musicales urbaines pour des adolescents. Ici, il s’agit plus d’une initiation. On commence par « le jeu du journaliste » en l’honneur de notre présence. Un enfant interviewe un de ses petits camarades sur différents thèmes.

On procède ensuite à une activité débat : « Est-ce acceptable d’insulter un professeur ? », « Doit-on toujours dire la vérité ? ». Sarah explique sa démarche : « Ce genre d’exercices nous permet de faire passer des messages et donne l’occasion aux enfants de prendre conscience par eux même de certaines choses. » Pour l’animatrice, l’idée de cet atelier est d’encourager la confiance en soi, de faire travailler aux jeunes leur prise de parole et de leur proposer des exercices au cours desquels ils se valorisent.

Situations sociales et familiales complexes

Un temps de retour au calme est ensuite prévu en salle de classe avant de rentrer chez soi. Les enfants ne sont pas spécialement pressés de partir. Le petit Ryan*, 12 ans, exclut de son collège pour « insolences répétées », s’enthousiasme : « Il n’y a rien que je n’aime pas ici ! C’est largement mieux qu’au collège. »

Cette semaine, tout s’est bien déroulé, mais ce n’est pas toujours le cas. Les encadrants s’occupent du bon déroulement du programme et de la sécurité des enfants, mais leur apportent aussi un soutien émotionnel. « Je parle beaucoup avec eux pour comprendre ce qui ne va pas et trouver des solutions à leurs problèmes », explique Hedi, l’animateur de 27 ans.

Les enfants accueillis sont souvent dans des situations sociales difficiles. Certaines semaines, des cas de violences intrafamiliales, des situations de précarité immense ou encore des fragilités psychologiques, sont mis au grand jour. « Ce que je préfère, c’est les aider sur le plan émotionnel et essayer de les rendre plus forts face aux attaques ou à ce qu’ils subissent. Moi, j’ai vécu des situations similaires, je peux les conseiller », conclut-il.

Ambre Couvin

Articles liés