Il y a quatre ans, la vidéo a connu une forte viralité sur les réseaux sociaux. Des images qui sont, ce jeudi 5 octobre, au cœur de l’audience où comparait le policier, Jérémie A., pour des violences dans le cadre de l’interpellation de Lamine Ba, un médiateur de la ville de Sevran.

La vidéo fige les événements qui se sont déroulés le 11 septembre 2019, à Sevran (Seine-Saint-Denis). Près d’une voiture de police à l’arrêt sur la route, l’agent de police, Jérémie A., échange des mots que l’on devine forts avec Lamine Ba. Soudain, l’agent attrape les jambes du médiateur de la ville pour l’amener au sol. Un échec.

Le policier porte alors ses poings au visage de Lamine Ba avant que ce dernier ne le repousse et finisse par lui rendre ses coups de poings. La vidéo s’arrête sur l’arrivée des collègues du fonctionnaire de police qui administre un coup de taser à Lamine Ba. Ce dernier tombe au sol. Il recevra cinq jours d’incapacité totale de travail (ITT).

Des soutiens venus en nombre

Dans le hall du tribunal de Bobigny, on retrouve des soutiens à Lamine Ba et des personnes engagées contre les violences policières. « Je suis éducatrice spécialisée et c’est super important pour moi d’être là. Je me suis reconnue en lui, ça m’a fait quelque chose de voir ça », explique Saïda, qui a fait trois heures de route pour assister à l’audience.

Assa Traoré, Jérôme Rodrigues, Amal Bentounsi et Michel Zecler ont également fait le déplacement. « Je comprends la douleur qu’il ressent, la retenue dont il a fallu faire preuve au moment des faits. Aujourd’hui, on a besoin de justice pour limiter ces incidents », insiste Michel Zecler. Lui reste dans l’attente du procès des policiers inculpés dans les violences qu’il a subies en novembre 2020.

C’est impossible de reprendre une vie normale, on apprend à vivre avec, mais on ne s’en remet pas

Avant le début de l’audience, Lamine Ba déplore le traitement médiatique qui a entouré cette affaire et le dénigrement dont il a fait l’objet. « C’est une situation que j’ai particulièrement mal vécue. C’est impossible de reprendre une vie normale, on apprend à vivre avec, mais on ne s’en remet pas », explique-t-il.

Il espère aujourd’hui que Jérémie A. sera condamné, comme le serait n’importe quel justiciable : « Quand, nous, on faute, on est condamnés. Personne ne devrait être au-dessus des lois. Je ne sais pas comment ça va se passer aujourd’hui, j’ai déjà de la chance que l’affaire soit jugée ».

Ce procès advient, en effet, après un long périple procédural. Suite à un premier classement sans suite en mars 2020, le conseil de Lamine Ba a déposé une nouvelle plainte avec constitution de partie civile qui a abouti à la désignation d’un juge d’instruction. À l’issue de l’information judiciaire, le parquet de Bobigny avait requis un non-lieu, mais le juge d’instruction a renvoyé le policier devant le tribunal correctionnel pour des violences illégitimes.

Dans la salle d’audience, la juge ouvre les débats par un rappel des faits. Le 11 septembre 2019, Jérémie A. est en patrouille avec ses collègues. Alors que ces derniers procèdent à des contrôles, il se retrouve seul dans le véhicule arrêté sur la route qui crée un embouteillage. Lamine Ba sort de son véhicule et demande au policier de déplacer sa voiture.

Deux versions et des incohérences

C’est à ce moment-là que les versions divergent. L’agent soutient que Lamine Ba l’aurait traité de « salope » et a donc procédé à un contrôle et une interpellation pour outrage. Il explique ensuite avoir tenté de le mettre au sol face à son refus de se soumettre au contrôle.

« J’accepte le contrôle. Je pose ma sacoche sur le toit de ma voiture », dément, de son côté, Lamine Ba. Lui assure que le policier lui a parlé rudement quand il est venu à sa rencontre. À partir de là, le contrôle de police se transforme en interpellation. « Je ne comprends pas, je n’ai pas commis de délit ni d’infraction et il me charge comme un taureau », proteste Lamine Ba.

Il est clair que ce n’est pas clair

Face à ces versions opposées, la juge a soulevé des incohérences dans la version des faits exposés par le prévenu, y compris certains éléments en contradiction avec les images présentes sur la vidéo.

« Pourquoi monsieur BA aurait-il sorti ses papiers, s’il avait l’intention délibérée de ne pas se soumettre au contrôle ? » « Pourquoi, après un échange de quelques mots seulement, procéder à ce type d’amenée au sol ? » « Qu’est-ce qui vous permet de dire que vous étiez en danger ? » Autant de questions posées par la juge qui n’ont pas trouvé de réponses précises. « Il est clair que ce n’est pas clair », a-t-elle observé.

La légitimité de la violence ne convainc pas

La plaidoirie de Diane de Condé, l’avocate de Lamine Ba, s’est s’articulée autour de cette question : la violence utilisée était-elle légitimée par la situation ? Pour elle, la violence déployée par le policier ne répondait pas aux dispositions de la légitime défense : l’immédiateté, la proportionnalité et la nécessité de se protéger.

En face, l’avocat du fonctionnaire a demandé la relaxe de son client. Son avocat a fait valoir la description du caractère du policier portée au dossier par sa hiérarchie, quelqu’un qui ne serait « pas belliqueux ». Le conseil a également soulevé le fait que son client « n’a jamais semblé être en position de prendre le dessus », mettant en doute le préjudice subi par Lamine Ba.

Alors que le procureur avait classé ce dossier en raison de « témoignages parfois contradictoires », il a reconnu que le procès a « permis le débat que j’ai sous-estimé ». Le procureur requiert trois mois de prison avec sursis. Le délibéré sera rendu le 2 novembre 2023.

Ambre Couvin

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