Théodore Luhaka sort du tribunal sous les « bravo ». Le slogan « Justice pour Théo » le suit immédiatement. À l’issue de neuf jours de procès, Marc-Antoine Castelain, le principal accusé, a été condamné vendredi 19 janvier à un an de prison avec sursis et cinq ans d’interdiction d’exercer sur la voie publique et de port d’armes. Les deux autres fonctionnaires ont écopé d’une peine de trois mois de sursis et de deux ans d’interdictions similaires.

Entouré des membres de sa famille, Théodore Luhaka ne s’est pas exprimé. Son avocat, Me Antoine Vey, a accueilli ce verdict comme un signe « d’apaisement que nous prenons comme une victoire ». L’avocat de la partie civile a ajouté que cette décision venait dire « une fois encore que Théo était victime ce jour-là. Que rien ne justifiait qu’il ait été battu ». Théodore Luhaka reste marqué à vie par plusieurs coups de bâton télescopique de défense (BTD) asséné par un policier d’Aulnay-sous-Bois.

À quand du ferme pour la police ?

Pour les proches de victimes de violences policières, cette victoire est dérisoire. « À quand du ferme pour la police? », ont-ils scandé à l’annonce du verdict. Une douzaine de militants ont organisé une action dans l’enceinte du tribunal judiciaire de Bobigny. Amal Bentounsi ou encore Samia El Khalfaoui, qui ont toutes deux perdu un membre de leur famille par balles, étaient présentes.

Pour Amal Bentounsi, ce délibéré envoie un message clair à la police : « Vous pouvez mutiler et vous aurez du sursis ». « L’infirmité permanente n’est pas reconnue », a également déploré Mathilde Panot, la cheffe de fil des députés LFI, présente au tribunal à l’annonce du verdict.

Une victoire en demi-teinte

« La justice, il faut toujours la chercher, l’espérer plutôt que l’attendre », avait prévenu la veille Antoine Vey. « Il ne devrait pas y avoir autant de peur, autant de crainte à l’idée même que la justice ne soit pas rendue », a-t-il ajouté au cours de sa plaidoirie.

Car le suspens a perduré tout au long des neuf heures de délibéré. Le verdict a été rendu dans une atmosphère tendue après l’arrivée de nombreux policiers en civil venus en soutien aux accusés.

La veille, l’avocat général, Loïc Pageot, avait requis des peines de sursis à peine plus lourdes. Mais le parquet avait alors retenu la qualification de violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, contrairement à la décision rendue par la cour. Une circonstance aggravante qui avait permis à « l’affaire Théo » d’être jugée comme un crime.

Au cours des débats, les experts médicaux ont eu la tâche de définir cette blessure. « Le sphincter n’est pas réparable » et les séquelles sont irréversibles, avaient-ils déclaré. « Il est possible d’avoir des améliorations, mais très peu de chance », avait précisé l’un d’eux. La cour s’est manifestement rangée à cette hypothèse très optimiste en écartant le caractère définitif des lésions de la victime.

Une décision qui a pour conséquence de requalifier le geste du policier, Marc-Antoine Castelain, en délit et non plus en crime. Son avocat, Me Thibault de Montbrial, a salué une décision « qui établi le fait, que [son client] n’est pas un criminel ». 

Des débats qui ont apporté peu de réponses

Après « 7 ans en apnée », c’est une famille entière qui attendait ce procès. Elle reste sans réponse sur de nombreux points.

Que s’est-il passé ce 2 février 2017 ? Sept ans de procédure, neuf jours de débats et presque autant d’expertises, des vidéos… Ces éléments n’ont pas totalement mis à jour l’origine de la rencontre entre Théo et l’équipe de la brigade spécialisée de terrain sur la dalle du Nouveau Cap, un centre culturel de la cité des 3000.

Que faisaient les policiers sur place ? « Il y a deux thèses »,  a rappelé l’avocat général Loïc Pageot, qui, la veille, avait requis des peines de sursis allant de 3 ans à 3 mois.

D’après les fonctionnaires, ils effectuent ce jour-là leur patrouille lorsqu’un «  guetteur » scande un cri à leur approche dans le quartier. « Cette cité, on l’appelle Killer de flic. Ils nous détestent », a soutenu le principal accusé, Marc-Antoine Castelain. La dalle serait d’ailleurs un gros point de deal. Comprenez : personne n’y est innocent. Théo aurait dégainé le premier coup.

Les parties civiles, elles, ont avancé l’hypothèse d’un contrôle abusif et d’une première gifle lancée par Castelain sur un jeune habitant d’Aulnay.

« Un gardien de la paix fait en sorte qu’il ne se passe rien. J’ai le sentiment que vous, vous êtes plus dans une chasse au voyou », commente Maître Vey.

D’une manière sans doute involontaire, un avocat des accusés a entretenu cette thèse. « Un président a dit que les policiers ne sont pas là pour jouer au foot avec les jeunes. Moi, en effet, j’ai connu ce temps-là. Peut-être que si on y était encore, Monsieur Luhaka serait en train de jouer au foot avec des policiers ».

Marc-Antoine Castelain « n’apporte aucun élément tangible qui expliquerait pourquoi Théodore lui aurait sauté à la gorge », a d’ailleurs soulevé l’avocat des parties civiles.

« Ce geste n’était pas déontologique, et je m’en excuse »

Combien de coups portent Marc-Antoine Castelain ? Les analyses de l’IGPN oscillent entre 8 et 9. Mais lors du procès, le policier en a admis un autre. « Ce geste n’était pas déontologique, et je m’en excuse », concède Marc-Antoine Castelain. Au début du contrôle, il reconnaît « un stimuli de la main ». Une tournure de phrase qui fait bondir Maître Vey.

Son collègue, Tony Hochart, a, lui aussi, reconnu de nouveaux éléments lors du procès. « Maintenant que je revois la vidéo, je me souviens avoir mis un coup de pied furtif sous Théo. Il y a un petit objet, je crois que c’est une gazeuse », tente-t-il.

Hochart sera également repris pour ses « omissions » dans le procès-verbal d’interpellation qu’il a rédigé. Chose qu’il met sur le compte de sa jeunesse et de son inexpérience au moment des faits. Un autre élément dont semble être familier Castelain.

Faux en écriture publique : la parole de la police pas si fiable

En effet, à la suite de l’audition de Marc-Antoine Castelain, l’avocat général a fait remarquer que dans deux documents relus et signés par le fonctionnaire de police, de nombreuses omissions ont été faites. « Omissions qui vont toutes dans le même sens », précise-t-il. « Elles concernent uniquement tout ce qui est susceptible d’engager la responsabilité pénale des fonctionnaires. » Tandis que les écrits ont été très précis sur les actions de Théodore Luhaka, selon le magistrat.

D’abord poursuivi pour outrage et rébellion, le jeune homme fait l’objet d’une plainte déposée par Castelain. « Nous avons appelé les pompiers », certifie-t-il dans celle-ci. Or, ce n’est ni lui ni son équipe qui l’ont fait, mais un autre fonctionnaire en poste ce jour-là. Eux, ne se sont vraisemblablement pas inquiétés de son état, sauf à prendre des photos du jeune homme à moitié inconscient et ensanglanté sur le sol du commissariat. « Vous avez conscience que cela change tout ? », tance l’avocat général, Loïc Pageot.

C’est une chose que l’on voit souvent dans les affaires de violences policières : les policiers prennent les devants et portent plainte contre la victime

S’il avait eu à juger ce dossier pour faux en écriture publique, il l’assure : il l’aurait condamné. Les faux en écriture publique sont un enjeu récurrent des affaires de violences policières, et ne sont quasiment jamais jugés, même s’ils apparaissent de manière flagrante lors de procès.

Dans son réquisitoire, Loïc Pageot n’hésitera pas à qualifier ces omissions de « mensonges ». Il vise en particulier les déclarations de Castelain lors de son dépôt de plainte contre Théo. « En effet, c’est une chose que l’on voit souvent dans les affaires de violences policières : les policiers prennent les devants et portent plainte contre la victime. »

L’IGPN « parisienne » critiquée

« Les policiers de la brigade sont ensemble, mais nous, on a l’IGPN et le Défenseur des droits derrière nous », analysait Maître Vey.

Deux fonctionnaires ont fait l’objet d’une enquête administrative pré-disciplinaire diligentée par la délégation lyonnaise de l’IGPN. Aux termes de son enquête, le commissaire Jean-François Ligout préconise un renvoi devant un conseil disciplinaire. Les coups portés à Théo lorsqu’il est menotté ne sont ni réglementaires ni proportionnés, conclut-il fermement.

L’enquête du commissaire n’aura pas été au goût de la Défense. Sur grand écran, on diffuse son C.V. « Est-ce un homme de terrain ? », glisse Maître Thibault de Montbrial, le conseil de Castelain.

Une « condamnation ad hominem » qui choque jusqu’à l’avocat général qui a « vu [dans son audition] une parole plus libre ». La faute, peut-être, à une « sphère parisienne » au sein de l’IGPN, imagine-t-il.

Malgré ces éléments troublants et les séquelles graves de Théodore Luhaka, la cour a fait le choix de prononcer des peines de prison avec sursis. La famille Luhaka semble s’en satisfaire.

À vrai dire, la fratrie doit déjà penser à l’après. Lors de son réquisitoire, l’avocat général avait émis ce souhait : « J’espère que notre décision donnera [à Théo] la force de suivre ses traitements. La force nécessaire pour lutter. »

Méline Escrihuela et Ambre Couvin

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