« La situation est vraiment compliquée. J’y pense beaucoup, ça m’affecte. » Clinton Chalokwu, Nigérian de 18 ans, a reçu une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), mercredi 22 février. Ce footballeur talentueux a réussi à se reconstruire un semblant d’équilibre dans la Manche, entouré de sa famille d’accueil et de son club de foot qui lui a donné une promesse d’embauche. Mais aujourd’hui, les autorités veulent qu’il quitte la France. Une nouvelle embuche dans son parcours déjà difficile.

En octobre 2021, il a quitté Lagos pour l’Ukraine, par l’intermédiaire de l’agence Pelican, spécialisée dans le recrutement de joueurs. Le directeur, documents à l’appui, est impressionné et le décrit comme un joueur « rapide, fort en dribble, en un contre un et dotés de bonnes qualités humaines ».

Il est sélectionné pour intégrer le club de Vorskla Poltava, en première division ukrainienne, au sein de l’équipe U19. Mauvais timing. Alors que Clinton Chalokwu s’apprête à parapher son premier contrat professionnel, Vladimir Poutine envahit l’Ukraine et entrave le rêve du jeune footballeur. « J’étais très proche de signer », regrette le garçon aujourd’hui.

Victime de la guerre sans en avoir le statut

« Il lui a manqué le facteur chance », souligne Arnaud Boubet, son entraîneur actuel au club d’Agon-Coutainville, dans la Manche. Pour autant, Clinton Chalokwu a rebondi, toujours guidé par sa passion pour le football. « Il a choisi de venir en France parce que l’équipe est championne du monde », s’amuse Line Rott.

Avec son mari, elle héberge le Nigérian depuis le 9 juin. Avant de se poser chez ce couple de retraités, le garçon a connu un camp de réfugiés en Hongrie, le voyage en bus jusqu’en France, le train jusqu’à Cherbourg, des foyers et l’ASE (Aise sociale à l’enfance). Un voyage forcé, le même que beaucoup d’Ukrainiens, chassés de leur pays par les combats. « Et pourtant, il n’a pas le même traitement qu’eux », déplore Louis Gastebois, du Collectif 50 pour les droits des étrangers.

La situation pour ceux qui étaient en Ukraine sans avoir la nationalité est très fragile

Les compatriotes de Volodymyr Zelensky sont en effet admis en France sous « protection temporaire », un statut spécial lié à leur situation. Impossible pour le Nigérian d’obtenir le même régime. « La situation pour ceux qui étaient en Ukraine sans avoir la nationalité est très fragile », relève Hélène Hourmant, son avocate, spécialisé dans le droit des étrangers au barreau de Caen.

« Je ne comprends pas vraiment pourquoi eux peuvent rester et pas moi », glisse Clinton Chalokwu, de sa voix fluette. À la mi-novembre, il a envoyé sa demande de protection temporaire à la préfecture manchoise. Il a obtenu un rendez-vous le 30 novembre à la préfecture pour finaliser son dossier.

Un rendez-vous annulé la veille, sans explication. Depuis, toutes les demandes de Clinton Chalokwu sont restées sans réponse. Impossible pour lui de régulariser sa situation. Sans répondre à nos questions, la préfecture nous a informés que le préfet recevra les associations de défense des migrants le 15 mars prochain, et qu’il sera « notamment abordée la situation de ce jeune footballeur ».

Un bénévole « hyper curieux, très à l’aise »

En dépit de ces soucis administratifs, le néo-Manchois a poursuivi son intégration, bien épaulé par sa famille d’accueil qui s’est montrée « très impliquée pour lui trouver des perspectives », d’après Arnaud Boubet. Avec leur aide, l’ailier a pris une licence au club d’Agon-Coutainville, en Régional 3, le huitième échelon français.

« C’est un bon joueur de l’équipe une et il est aussi très intégré dans le club. Il fait partie de la famille », note son coach. Ce dernier ne tarit pas d’éloge pour son joueur. « Il est plus impliqué que ¾ des joueurs », assure-t-il. En plus de ses neufs buts inscrits, Clinton participe bénévolement à l’animation des séances d’entraînement du club. Anglophone, il arrive maintenant à prodiguer des conseils aux jeunes joueurs en français. « Je le trouve hyper curieux, très à l’aise, aussi bien avec des enfants de six ans qu’avec des ados. Il a le contact facile, alors il fait l’unanimité. » 

En plus d’être son coach, Arnaud Bobet devait devenir son tuteur. Cette fois, ce n’est pas Poutine, mais la préfecture de la Manche qui est venue stopper sa progression. Admissible à une formation d’animateur à Caen, en alternance avec son club, il allait faire sa rentrée cet hiver. L’OQTF a bloqué toute perspective scolaire. « C’est un coup sur la tête », image Yannick Rott. Depuis l’annonce, le moral de Clinton est « en dents de scie » d’après celui qui l’héberge.

Même constat pour son coach. « On le sent abattu, il baisse souvent la tête, même s’il reste souriant. Sur le terrain, il est capable de faire mieux, mais il n’est pas dans les meilleures dispositions psychologiques. »

Le potentiel pour voir plus haut

Clinton a reçu de plein fouet l’annonce de la préfecture. « Quand j’ai appris ça, j’ai pleuré. J’ai vu mon projet s’annuler. » Pour lui, hors de question de parler d’un rêve à propos d’une carrière de footballeur. « C’est mon projet », assure-t-il. Son coach y croit et le voit jouer au niveau Régional 1 ou National 3, en semi-professionnel. « C’est réalisable. Il a le mental nécessaire, la pugnacité, la combativité. »

Clinton a préféré ne rien dire à ses parents restés au Nigeria au sujet de l’OQTF. « Ma mère est très inquiète. » Dans la Manche, il s’est trouvé un nouveau cocon. En plus du couple qui l’accueille, Agon-Coutainville l’entoure avec sa devise : « Un club, une famille ». « On est tous très inquiets », indique Arnaud Bobet, désireux d’incarner les vertus sociales du sport.

Alors que son intégration semblait plus proche que jamais, Clinton Chalokwu pourrait être forcé de faire ses valises, et de rentrer au Nigeria sans avoir accompli son objectif. Samedi, lors d’un rassemblement contre le projet de loi Asile-Immigration, ses coéquipiers se sont réunis pour espérer faire changer d’avis au préfet manchois. Pour que, pour une fois, la chance tourne du côté de Clinton Chalokwu.

Victor Fièvre

Crédit photo : FC Agon-Coutainville

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