Assise sur le lit, une femme regarde dans le vide. Pieds nus avec son legging gris, la Ghanéenne sourit malgré le froid. La porte de sa chambre est restée ouverte, coincée par un policier. La quinquagénaire est enfermée au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne, depuis le 10 janvier.

Cinq jours plus tard, la députée de la France Insoumise, Danielle Simonnet, se rend dans ce CRA avec le Bondy blog. Les parlementaires, députés et sénateurs, peuvent visiter, à tout moment et à l’improviste, les établissements pénitentiaires en présence de journalistes.

Lors de cette visite improvisée, la députée Danielle Simonnet s’inquiète du sort de cette femme recluse dans son lit. L’élue lui pose des questions : la dame répond par oui ou par non. Elle ne parvient pas à s’exprimer autrement. Comprend-elle ce qu’elle fait ici ? Difficile à dire. Comme des vingtaines d’établissements similaires répartis en France, la fonction du CRA du Mesnil-Amelot est la suivante : enfermer et préparer l’expulsion des individus en situation irrégulière.

On l’aide à s’habiller et à se laver, mais ce n’est pas notre rôle. Elle a besoin de soins

La retenue semble souffrir de troubles mentaux, selon la Cimade, qui accompagne les personnes enfermées sur place. « Rien n’est mis en place, c’est scandaleux », déplore Saimi Steiner. Dès son arrivée, les co-retenues ont demandé qu’elle voie un médecin. « Cela a été fait ce matin », balaie la cheftaine du CRA. Une information impossible à vérifier auprès de la principale concernée.

À côté d’elle, une femme d’origine brésilienne, Maria*, bonnet en laine sur une queue-de-cheval châtain, décrit une situation inquiétante : « On l’aide à s’habiller et à se laver, mais ce n’est pas notre rôle. Elle a besoin de soins. » La dame est également incontinente et fait des « crises ». Des co-retenues ont essayé de contacter le SAMU, mais cette mission doit être remplie par l’un des chefs du CRA.

La députée LFI, Danielle Simonnet, lors de la visite du CRA Mesnil-Amelot, janvier 2022 / ©AudreyParmentier

« Il y a au moins deux fouilles par semaine »

À l’intérieur de la chambre – occupée par un lit superposé, une table et une armoire bicolore – les femmes s’engouffrent au compte-gouttes. Elles sont 29 à être emprisonnées dans le CRA, la plupart étant soumises à une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Chacune leur tour, elles déroulent leur parcours.

Très vite, la conversation dévie sur leur quotidien au CRA. Le 7 janvier, une grève de la faim de quelques jours a été organisée pour dénoncer le non-respect de leurs droits. « Il y a au moins deux fouilles par semaine. À chaque fois, les policiers prennent des objets, comme des pinces à cheveux, du rouge à lèvres, des crayons… », poursuit Maria. Interrogée à ce sujet, la cheftaine se défend : « Ces objets sont retirés pour leur sécurité ».

En plus des fouilles jugées abusives, les femmes pointent du doigt le manque d’hygiène et d’intimité. Deux toilettes pour huit détenues. À l’intérieur des douches, on retrouve des gobelets ou des sachets en plastique vides qui jonchent le sol. « Le ménage est fait quotidiennement et la personne qui s’en charge repasse dans les parties communes l’après-midi », commente la responsable.

Après une brève visite des locaux, direction la salle de réunion où un écran de télévision est bloqué sur la chaîne TMC. Un matelas est posé à même le sol. Il appartient à une jeune Polonaise. « Elle ne peut plus dormir dans sa chambre, à cause des problèmes d’hygiène de sa co-détenue », traduit l’une de ses camarades.

« Dès qu’on entend la porte s’ouvrir, on panique »

L’occasion d’aborder un sujet majeur : la répartition des chambres, qui a été modifiée. Elles ne peuvent plus se réunir en fonction de leurs affinités. « Le minimum, c’est de nous mettre avec des personnes avec lesquelles on se sent bien », s’insurge une jeune Marocaine enveloppée dans une grosse doudoune beige. Au courant de ces revendications, la cheftaine n’en démord pas : le règlement, c’est le règlement : « On les répartit en fonction de leur ordre d’arrivée, sinon, c’est trop compliqué. »

La responsable raconte qu’une partie de la brigade du CRA 2 avait été obligée de se rendre sur le CRA 3 par manque d’effectif, donc « on les a laissés vivre leur rétention, sans respecter les règles, c’est un peu de notre faute ». Autrement dit, elles seraient mal habituées. Pour la Cimade et les co-retenues, cette décision s’inscrit plutôt dans le cadre d’un durcissement plus général.

La nourriture est mauvaise et nous avons toutes perdu du poids

« Avant, on avait le droit de se faire apporter à manger au CRA, maintenant, on nous laisse quelques gâteaux et on reprend le colis. La nourriture est mauvaise et nous avons toutes perdu du poids », expose Yasmina, d’origine algérienne. Foulard blanc enroulé autour de la tête, la jeune femme de 37 ans a fait trois mois de prison avant d’être enfermée au CRA. Sans accord du consulat d’Algérie, elle ne peut pas être expulsée.

En 2021, 35% des personnes retenues au CRA de Mesnil-Amelot ont été interpellées à leur sortie de prison afin d’être expulsées. « Une double peine » pour la jeune femme. Matin, midi et soir, le bruit des avions les rappelle à leur sort. « C’est très compliqué psychologiquement, dès qu’on entend la porte s’ouvrir, on panique. On se dit qu’on peut quitter nos proches à tout moment », explique cette maman. Une fois son récit terminé, Yasmina prend par le bras Asma, d’origine tchétchène.

Pas d’accès à un gynécologue ou à d’autres médecins spécialisés

Intimidée par le cortège de police derrière la députée, cette ancienne prof laisse ses camarades parler à sa place. Son père et son frère ont été tués en Tchétchénie. Elle risque sa vie si elle y remet les pieds. La nuit, Asma dit mal dormir, assaillie par ses angoisses. Et elle ne semble pas être la seule : des marques de scarifications sont visibles sur certains avant-bras.

La Cimade confirme le fait que de nombreuses femmes souffrent de troubles psychologiques. « Il n’y a pas de psychologue, seulement un psychiatre deux fois par semaine. Ce n’est pas suffisant », souffle Saïmi Steiner. L’unité médicale du CRA comprend quatre infirmières avec au moins trois présentes quotidiennement sur les deux CRA. Une équipe jugée insuffisante pour soigner 180 personnes. « Il n’y a pas d’accès à un gynécologue ou à d’autres médecins spécialisés », déplore-t-elle.

Jeux pour enfants dans la cour du CRA du Mesnil-Amelot, janvier 2022 / ©AudreyParmentier

17h15. Le groupe de femmes sort fumer une clope. L’une d’entre elles allume sa cigarette sur celle de la députée, « on n’a pas le droit d’avoir des briquets ». Sur le terrain de jeux, un toboggan jaune et une balançoire en forme de coccinelle. « Il y a quelques mois, deux enfants de 2 et 3 ans, accompagnés de leurs parents, étaient là », assure Yasmina.

La cheftaine assure qu’ils ne sont pas restés longtemps. Selon La Cimade, onze enfants ont été enfermés au CRA du Mesnil-Amelot en 2021, avec au moins un de leur parent et huit personnes se sont déclarées mineures, mais ont été considérées majeures par l’administration. « C’est très rare qu’il y ait des enfants », soutient-elle. L’État français a déjà été condamné à 9 reprises pour l’enfermement d’enfants dans les centres de rétention.

Dans la cour, les cigarettes s’écrasent les unes après les autres et les femmes rentrent dans leurs chambres. À l’intérieur de l’une d’elles, la Ghanéenne n’a pas bougé, toujours assise sur son lit.

Audrey Parmentier 

* Les prénoms des femmes retenues ont été modifiés

Articles liés