La nouvelle carte de l’éducation prioritaire annoncée par la ministre de l’Education nationale, provoque la colère des établissements menacés de sortir de ce dispositif. Le collège Paul Éluard à Montreuil, qui compte 600 élèves, se mobilise depuis deux semaines (réunions, manifestations, occupation de nuit…) aux cris de « Touche pas à ma Zep ». 

Un rassemblement devant une mairie n’a rien d’étonnant. Ça arrive souvent le samedi… Rien à voir donc avec la marche qui a eu lieu hier à Montreuil (93), démarrant du collège Paul Éluard, dans le Bas-Montreuil, pour s’achever au pied de l’hôtel de ville, Place Jaurès. Beaucoup de jeunes étaient présents, arborant différentes affiches et pancartes. Les parents étaient présents ainsi que les membres du personnel, dont Vincent Gay, la trentaine, professeur dans l’établissement.

Pouvez-vous nous expliquer la situation du collège ?

Il ne s’agit pas que de notre collège mais de tout le réseau d’éducation prioritaire. […] Le Ministère de l’Éducation nationale est en train de refaire la carte de l’Éducation prioritaire et, austérité oblige fait un tour de passe-passe en donnant à certain tout en enlevant à d’autres. On est très très contents pour les établissements scolaires qui passent en éducation prioritaire quand ils l’ont demandé ; par-contre on trouve complètement injuste et révoltant que dans un établissement qui arrive à peu près à fonctionner bon an mal an, on nous retire les moyens dont on dispose.

En 2012, Vincent Peillon, alors ministre de l’Éducation nationale, a organisé une consultation et tout le monde (syndicats enseignants, élus et représentants de parents d’élèves) semblait d’accord pour réduire le nombre d’établissements bénéficiant d’un coup de main de l’État pour accentuer les efforts sur un nombre plus restreint. Au moment où il faut retirer certains établissement, on se dit que certains ne souhaitent pas céder leurs privilèges…

Deux choses : quand vous dite « tout le monde semblait d’accord » je ne pense pas que les personnes étaient d’accords. Par-ailleurs on n’a pas l’impression d’avoir cédé des privilèges parce que nous sommes solidaires des établissements qui ont besoin et qui vont disposer de quelques moyens qui sont par-ailleurs extrêmement modestes parce que si on entre dans les détails, ce dont on dispose grâce à l’Éducation prioritaire, on pense que tous les collégiens en France devraient en bénéficier. 25 élèves par classe pour travailler, ce n’est pas non plus le paradis. Le problème aujourd’hui c’est qu’on va désigner quelques établissements qui ont vraiment des gros besoins. Ceux-là vont être priorisés avec quelques réformes plus ou moins intéressantes mais au détriment de certains établissement et en Seine-Saint-Denis, cela concerne cinq collèges et les écoles autour de ces collèges.

D’après le rectorat, le quartier de votre collège s’est embourgeoisé, de sorte que le profil sociologique des élèves ne cadre plus avec les nouveaux réseaux d’éducation priorisés (REP). Quel est votre avis ?

On ne nie pas le fait qu’en 20 ans la sociologie du quartier a évolué. Il y a une classe moyenne qui s’est installée mais par ailleurs les classes populaires vivent toujours dans le quartier et on se retrouve dans une situation avec des écarts scolaires relativement importants. Ensuite, si la sociologie a changé, quand on regarde un certain nombre de données, par exemple le salaire médian dans le quartier tel qu’il nous a été présenté par le Ministère pour justifier sa réforme, c’est 1500 euros par foyer. Si on le compare au reste de la France, où le salaire médian est de 1700 euros, nous restons en dessous. Par-ailleurs les critères pour déterminer si un établissement doit être classé en ZEP ou pas dépendent des académies. Celles-ci demandent aux départements de désigner tant de collèges réseau d’éducation prioritaire en faisant des calculs et en trouvant des critères. Dans une autre académie nous serions en réseau d’éducation prioritaire avec les mêmes critères sociologiques.

SAMSUNGLe collège Paul Éluard a été en grève ces dernier jours. Est-ce que la situation est revenue à la normale ?

Non, pas du tout. Nous sommes autant mobilisés que le premier jour et je pense que le succès de cette manifestation va nous gonfler à bloc puisqu’on a fait une première grève départementale le 20 novembre. Depuis le lundi 24 novembre, le collège est totalement bloqué avec des grèves prolongées, des blocages de parents… Ce qui est nouveau cette année, c’est cette solidarité qui s’exprime au sein du personnel, quelle que soit la catégorie : enseignant, surveillant, personnel d’administration, etc… et les parents d’élève. Mes collègues qui travaillent depuis très longtemps dans cet établissement me disent tous n’avoir jamais vu ça et c’est assez réconfortant.

Quels sont les avantages lorsqu’on est classé en ZEP ?

L’élément qui nous tient le plus à cœur c’est le nombre d’élèves par classe. C’est un élément fondamental pour travailler mieux mais c’est aussi du travail en petit groupe dans un certain nombre de disciplines comme les disciplines scientifiques. Des dispositifs de remédiation et de soutien aux élèves en difficulté, notamment pour le français en sixième. On bénéficie aussi d’avantages « financiers » comme des sorties culturelles pour les élèves, du dispositif « savoir nager » pour apprendre à tous les élèves de sixième à nager. Un autre élément très important c’est qu’on a deux CPE [Conseiller principal d’éducation] alors que dans les « zones d’éducation non-prioritaire » il n’y a qu’un seul CPE pour les établissements de notre taille (un peu moins de 600 élèves). On sait très bien le travail que font les CPE et le bazar que c’est quand ils ne sont pas là. Ils sont un élément de stabilité très important dans la vie de notre établissement, ils connaissent tous les élèves, ils ont un rapport très fort avec les parents et le travail qui ne peut pas être effectué par un seule personne. Sinon c’est ingérable.

Un rapport parlementaire daté de juillet 2013 indique que les écarts de réussite entre les élèves défavorisés et les autres continue de se creuser. Il y a a aussi un étude datée de juillet 2013 du Ministère de l’éducation nationale qui montre que les résultats des élèves de troisième de ZEP ont baissé ces six dernières années, en français et en maths, alors qu’ils étaient stables dans les autres établissements. Quels est votre opinion sur ces constats sachant qu’il y a un problème…

De toute façon on n’a jamais assuré que nos conditions de travail et d’enseignement étaient suffisantes pour assurer la réussite de nos élèves. Il y a des études très sérieuses de l’OCDE qui disent que l’investissement dans les ZEP représente uniquement 2 % du budget de l’Éducation nationale pour à peu près 20 % des élèves reçus. Il faudrait au moins qu’il soit monté à 10 % pour porter ses fruits.

Les chiffres que vous donnez reflètent un problème fondamental dans l’Éducation nationale en France comme ailleurs, nous avons du mal a nous attaquer aux inégalités sociales, elles se reproduisent en son sein. On a l’impression de limiter la casse avec le dispositif dont on dispose. On sait que c’est largement insuffisant pour réduire les inégalités par rapport aux savoirs pour inventer des pratiques pédagogiques innovantes qui permettraient de travailler autrement. On ne fait pas de notre situation actuelle une panacée mais c’est le minimum qu’on a aujourd’hui et on veut le défendre.

Il y a 31 % d’enseignants peu ou pas expérimentés dans les ZEP contre 28 % ailleurs. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait au contraire des enseignants qui ont de l’expérience ?

Je suis complètement d’accord avec vous. On se bat pour avoir des dispositifs permettant de constituer des effectifs durables dans les collèges. L’une des richesses de notre établissement est la relative stabilité depuis une dizaine d’année, avec moins de renouvellement. Mes collègues sont attachés à cet établissement, ils ont investi beaucoup de leur temps. Ce que propose la ministre aujourd’hui, ce n’est pas du tout ça. La première annonce qui nous a été faite quand on a appris qu’on allait être sorti des REP c’est « Ne vous inquiétez pas, vous allez avoir une espèce de dispositif de mobilité pour pouvoir quitter l’établissement ».

L’État justifie sa décision de réduire le nombre d’établissements bénéficiant d’aides pour être plus efficace. Que vous inspire ce point de vue ?

Chercher à être efficace c’est bien sûr nécessaire. Je ne pense pas que le gouvernent soit animé uniquement par des préoccupations éducatives. Leur premier objectif est de réduire les déficits publics. Après ils peuvent enrober, car quand on est dans un gouvernement de gauche on est obligé de dire que l’éducation est une priorité. En réalité, les investissements dans l’Éducation nationale sont à peine suffisants pour maintenir à flot la situation actuelle en prenant en compte la hausse du nombre d’élèves. Faites une interview à Saint-Denis sur la façon dont a été gérée la rentrée dans le premier degré, sur l’absence de remplaçants ainsi que sur les personnes recrutés, qui n’ont aucune formation. Vous verrez bien que le gouvernement ne fait pas tous les efforts qu’il peut pour faire réussir les élèves de ce pays.

Que manque t-il au collège Paul Éluard ?

Premièrement des réponses. On a l’impression d’être méprisés. Ça fait deux semaines que les élèves n’ont pas cours et le ministère et le rectorat ne nous contactent pas, n’envoient aucune réponse à nos demandes, donc on se demande à quel jeu ils jouent.

Comment ont réagi les parents lorsqu’ils ont appris que le personnel ferait grève ?

On a fait deux réunions avec à chaque fois entre 100 et 200 parents et ç’a été extrêmement fructueux. Ils sont inquiets, comme nous, ils partagent nos inquiétudes pour l’avenir de leurs enfants, même ceux qui vont partir ont souvent des petits frères et des petites sœurs qui vont subir les conséquences de ce qu’on nous impose aujourd’hui. Les parents sont inquiets pour le quotidien de leurs enfants et les cours qu’ils ratent aujourd’hui. On fait des cours à distance pour qu’ils puissent travailler chez eux. Soyez assuré que les efforts seront faits si on obtient gain de cause pour rattraper le temps perdu. Si on obtient gain de cause…

Ajayi Olufemi

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