Afin de dénoncer l’insuffisance du protocole sanitaire instauré par l’Education nationale depuis la rentrée de novembre, des professeurs de collèges et de lycées se mobilisent, un peu partout en France, à l’appel des représentations syndicales de la CGT, FSU, FO, notamment.

À Villepinte en Seine-Saint-Denis, c’est également le cas. Brigitte, professeure au collège Camille Claudel, explique qu’il est tout simplement impossible de respecter les consignes sanitaires. « On nous a demandé d’accueillir 24 élèves par classe, alors qu’elles font moins de 40m2, et parfois ce n’est pas aéré. Il y a des salles où les fenêtres sont condamnées, où il n’y a qu’une seule petite fenêtre. Une seule désinfection des mains est accessible le matin à 8h20 », pointe l’enseignante.

On dénonce aussi les conditions dans lesquelles travaillent les agents d’entretien qui sont clairement déplorables. 

La professeure pointe aussi l’emploi du temps infernal des agents de nettoyage qui tentent de désinfecter les locaux de l’école, sans renforts humains. « On dénonce aussi les conditions dans lesquelles travaillent les agents d’entretien qui sont clairement déplorables. On leur demande beaucoup de travail dans un temps limité. Ils ne sont pas assez pour pouvoir tout nettoyer. C’est cela que je ne comprends pas. On appelle ça un protocole sanitaire renforcé, mais pour moi, il est plus que léger au vu de la situation actuelle. »

Julien, enseignant au collège Les Mousseaux, à Villepinte aussi, syndiqué Sud éducation, partage ce constat. «Nous ne comprenons pas pourquoi les mesures prises ont été si légères depuis le début. Pourquoi on n’a eu que quelques petits aménagements qui ont été mis en place et pas quelque chose de beaucoup plus radical, alors que l’épidémie s’accélère, que des places dans les hôpitaux se réduisent ? »

Les 6e, 5e mangent à l’école une semaine sur deux, et les 3e, 4e également. Ça a été mis en place depuis le début de l’année mais ça n’a pas empêché les contaminations pour autant.

Le professeur désemparé ajoute : « dans le collège, il n’y a pas assez d’espace pour respecter la distanciation sociale. Environ un quart de mes collègues ont été testés positifs avec des symptômes du Covid. Les récrées sont échelonnées. Les 6e, 5e, 4e et 3e ne vont pas en recrée en même temps. La pause méridienne est aussi un peu échelonnée : les 6e, 5e mangent plutôt une semaine sur deux, et les 3e, 4e également. Ça a été mis en place depuis le début de l’année mais ça n’a pas empêché les contaminations pour autant. »

Des poignées de fenêtres enlevées pour éviter les contacts inutiles. Des mesures trop insuffisantes pour les enseignants.

Les enseignant·e·s fustigent les incohérences criantes du gouvernement et son impréparation, alors que le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, affirmait pourtant que tout se déroulerait « normalement ».  Pour renforcer leur mouvement social, de nombreux professeurs, un peu partout en France, ont décidé de se syndiquer, ou d’invoquer leur droits de retrait depuis le lundi 2 novembre. La FCPE a organisé une opération “collège mort” en invitant les parents à ne pas envoyer leurs enfants dans les établissements scolaires concernés.

Nous sommes très angoissés de nous contaminer nous-mêmes, que les élèves se contaminent entre eux, ramènent le virus à la maison et infectent leurs parents.

Cette insécurité face au virus suscite une très grande crainte parmi les enseignants de la Seine-Saint-Denis. Le département a été le plus touché par l’épidémie pendant la première vague. Brigitte, du collège Camille Claudel, confie : « On est très anxieux quant à la propagation du virus dans le département. Il y a des parents d’élèves qui travaillent dans les hôpitaux qui nous racontent comment ça se passe. Nous voyons un peu les chiffres. Nous avons aussi le souvenir du premier confinement ».

« Dans la classe d’ une collègue, il y a jusqu’à quatre membres d’une même famille qui sont morts lors de la première vague. Nous sommes très angoissés de nous contaminer nous-mêmes, que les élèves se contaminent entre eux, ramènent le virus à la maison et infectent leurs parents », s’inquiète l’enseignante.

Julien embraye : « D’une part, on craint pour la sécurité de nos élèves et de tous les personnels qui sont au collège. Et d’autre part, nous sommes en colère face au peu de réponses qu’on obtient suite à nos alertes et à ce protocole sanitaire extrêmement insuffisant. »

Les professeur·e·s tiennent à poursuivre la continuité pédagogique mise à mal par la Covid

Pour les enseignant·e·s, il s’agit d’éviter à tout prix que les élèves ne prennent davantage de retard après le premier confinement. « Les lycées vont continuer à être des clusters, des lieux de propagation du virus. Dans deux, trois semaines, un mois, voyant que rien ne change le gouvernement va peut-être décider de tout fermer et on va revenir à du distanciel complet. On a vu ce que ça a donné pendant la première vague, et on sait que pour nos élèves ce n’est pas bon. Pédagogiquement, les dégâts ont été très importants », relève Brigitte.

« On doit pouvoir trouver une solution hybride, c’est- à-dire pour garder le lien avec nos élèves, car on veut que nos collèges restent ouverts mais dans des situations où on ne met pas en danger notre vie pour aller travailler le matin », poursuit Brigitte qui compte sur le passage aux demi-groupes, annoncés par le ministre de l’Éducation Nationale, pour permettre un meilleur enseignement.

Une très grande angoisse prédomine aussi chez les parents. « Tous les parents que nous avons pu rencontrer ont peur pour la santé de leurs enfants. Donc, ils nous soutiennent dans l’action ‘collège mort’. », indique Julien.

Avant de mettre en évidence l’engagement des enseignant·e·s:  « La mobilisation est massive puisque nous sommes plus de la moitié des collègues, à avoir décidé de ne pas assurer notre mission de service public à cause des consignes sanitaires. Pour être dans le collège depuis quelques années, c’est un peu de l’inédit. J’imagine que c’est lié à des questions très graves, de sécurité et de santé, notamment. »

Brigitte souligne l’investissement des parents : « Les parents nous soutiennent. Ils ont rédigé une motion pour le conseil d’administration du collège, pour le rectorat. »

Les élèves ne sont pas très bien informés et suivent beaucoup les rumeurs sur les réseaux sociaux.

Pour de jeunes collégiens, la situation s’avère confuse et difficile à appréhender, notamment au niveau des enjeux. Brigitte détaille : « les élèves confondaient un peu tout. J’ai pris le temps de leur expliquer pourquoi on était en grève, quelles étaient nos revendications. Les 3èmes et 4èmes comprennent très bien les incohérences, comme par exemple ne pas pouvoir aller au cinéma, ou à la librairie. Ils ne sont pas très bien informés et suivent beaucoup les rumeurs sur les réseaux sociaux. »

Dans cette période compliquée où les annonces ministérielles s’enchaînent sans moyens ni résultats, Julien nous révèle son désarroi : « On a l’impression d’être abandonnés, d’être envoyés au front et que l’Etat et les pouvoirs publics ne répondent pas à nos attentes, et mettent en danger avec un protocole insuffisant, les élèves et les personnes des établissements scolaires. Ils doivent s’occuper de la situation de façon sérieuse, efficace et répondre à l’ampleur de la problématique. »  

Hervé HINOPAY

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