Début septembre, un surveillant du lycée Suger de Saint-Denis (93) avait été agressé à l’entrée de l’établissement. Pour dénoncer les problèmes et le manque d’effectif, les professeurs avaient alors décidé de se mettre en grève. Un mois plus tard, les cours ont repris. Le Bondy Blog est allé faire un état de la situation. Reportage.

Les stigmates semblent avoir disparu et la vie avoir repris son cours au lycée Suger à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) ce mardi 4 octobre. Au niveau de la grille principale, deux surveillants filtrent l’entrée dans l’établissement scolaire. « Depuis la reprise des cours, il n’y a pas eu de problème », assure Moussa, surveillant au lycée Suger depuis trois ans. « Les élèves doivent nous montrer leur carte ou leur carnet de correspondance pour entrer dans l’établissement. C’est devenu un réflexe pour eux ».  Il y a un mois, le 5 septembre, quelques jours seulement après la rentrée, un seul surveillant, nouvelle recrue qui plus est, se trouvait à la grille pour contrôler toutes les entrées. Il a été violemment frappé par plusieurs individus extérieurs au lycée qui tentaient de s’introduire dans l’enceinte de l’établissement pendant la pause. L’agression s’était même poursuivie à l’intérieur du bâtiment impliquant des élèves de Suger. Une scène violente à la suite de laquelle 15 jours d’interruption temporaire de travail avaient été dispensés à l’assistant d’éducation agressé. Le jeune homme souffrait de plusieurs fractures au crâne et son nez avait été cassé. En protestation, les enseignants avaient décidé de se mettre en grève.

Après deux semaines de mobilisation pour dénoncer le manque de moyens et les problèmes de violence auxquels tous font face dans ce lycée de 1 300 élèves, les enseignants ont décidé de reprendre les cours mardi 20 septembre mais leurs revendications n’ont pas été suivi d’effets. Les enseignant grévistes réclamaient sept postes de surveillants supplémentaires en plus des huit déjà en poste à temps plein. Après concertation, le rectorat ne leur a accordé qu’un poste d’assistant d’éducation à temps plein et un poste de contrat unique d’insertion. Le poste de conseilleur principal d’orientation qui était vacant depuis la rentrée a été pourvu. Insatisfaits, les professeurs assurent rester unis et déterminés à poursuivre le mouvement sous d’autres formes. « Nous devions reprendre les cours dans le souci de ne pas pénaliser les élèves », assure l’un d’entre eux.

« On est les victimes collatérales de ces guerres entre quartiers »

Le lycée Suger a ouvert ses portes en 1994, en plein cœur du quartier du Franc-Moisin, sur un pari : celui du désenclavement et de la réussite au sein de ce quartier populaire. Ce lycée polyvalent propose aussi bien des filières professionnelles que générales. Son BTS audiovisuel, reconnu, permet de brasser un large public d’étudiants venant de toute la France. Aujourd’hui, ce pari semble être mis à mal par des rivalités entre des jeunes habitants du quartier du Franc-Moisin et la cité des 4 000 à la Courneuve. Personnel du lycée, élèves et parents sont régulièrement victimes d’intimidations, de vols et d’agressions.

Avec la reprise des cours il y a quelques semaines, les lycéens interrogés ce mardi affirment vouloir passer à autre chose. Certains trouvent « qu’on en a trop fait avec l’agression du surveillant même si ça reste grave ». Ce n’est pas le cas de Sarah*, 17 ans, qui dit « s’investir activement dans la mobilisation pour réclamer plus de moyens ». Mais cette élève de Terminale ne veut pas non plus prendre trop de retard alors qu’il y a l’échéance du baccalauréat à la fin de l’année. « J’essaye de ne pas trop penser aux problèmes de violences pour ne pas mettre ma scolarité en danger. On a malheureusement été habitué à ce genre de scènes. Ça ne devrait pas être le cas, c’est effrayant », déplore la jeune fille. « Nous sommes les victimes collatérales des ces rivalités de quartiers ». Lassée par tous ces problèmes, une élève de BTS, a décidé la semaine dernière d’arrêter son cursus au lycée Suger. Les enseignants craignent que d’autres lui emboitent le pas.

« L’information aux parents d’élèves est très déficiente »

Le 26 septembre dernier, un Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) s’est tenu à Saint-Denis pour faire un état des lieux de la situation au lycée Suger. Étaient présents la sous-préfète de l’arrondissement, des représentants du parquet et de la police, du rectorat, la proviseur du lycée, le maire de Saint-Denis, son adjoint à l’éducation ainsi que des parents d’élèves. Les professeurs, eux, n’auraient pas été conviés. « J’ai été choquée et déçue de ne pas voir les enseignants être invité. Ils auraient pu donner la température réelle de ce qu’il se passe au quotidien au lycée », explique Nadia Boussa, représente FCPE des parents d’élèves. Cette mère de famille estime que « peu de solutions concrètes » ont été annoncées lors de ce conseil local. A l’instar des professeurs, elle souhaite voir davantage de moyens humains au lycée estimant que les concessions faites, deux postes, ne sont pas suffisants. « On veut que nos enfants étudient dans de bonnes conditions et soient logés à la même enseigne que des élèves de Paris ou du 92″, insiste Nadia Boussa qui par ailleurs pointe du doigt un problème de communication de la part de la direction du lycée Suger avec beaucoup de « non-dits ». Un constat que partage également Jean-Jacques Clément, également représentant FCPE. « L’information aux parents d’élèves est très déficiente. Quelques parents ont reçu un SMS vendredi alors que l’agression du surveillant avait eu lieu lundi. Aucun courrier n’a été envoyé pour tenir au courant de la situation car on nous dit que cela coûte trop cher », déclare-t-il.

A la suite de ce conseil local, la promesse d’une présence policière plus accrue a été formulée. Selon certains témoins, des patrouilles sont organisées en fin de journée mais pour certains enseignants la solution ne peut pas venir des forces de l’ordre. « Il faut une présence intelligente. Les élèves ont besoin d’être rassuré par des visages de surveillants qu’ils connaissent et qui les connaissent. Un policier ne va pas forcément savoir faire la différence entre un élève du lycée et une personne extérieure. Le rapport ne sera pas le même », estime un professeur qui préfère garder l’anonymat. Du côté du rectorat, on assurait il y a quelques jours qu’un « assistant d’éducation n’est pas un vigile » et que ce n’est pas un problème de nombre mais « un problème de climat de quartier ». « Ce n’est pas facile à entendre mais il faut le temps de l’analyse et de la recherche pour trouver des solutions pérennes », poursuit cette source qui assure que des discussions sont menées avec les autorités académiques, la région, la mairie de Saint-Denis et les services de police.

Quel avenir pour le lycée Suger ?

Aujourd’hui, plusieurs professeurs craignent de voir les élèves déserter l’établissement scolaire au profit d’un nouveau lycée qui ouvrira ses portes sur la Plaine Saint-Denis à la rentrée 2017. « Les parents d’élèves n’ont pas envie d’abandonner« , tente de rassurer Nadia Boussar. « On fera tout pour que ce lycée soit un bon lycée pour les élèves mais on a besoin de toutes les instances et qu’on nous donne les moyens humains« , poursuit-elle. Même son de cloche chez les lycéens interrogés qui ne se voient pas quitter Suger pour l’heure. Pour eux, le lycée Suger est un bon établissement avec de bons professeurs; d’autres considèrent que les problèmes qu’ils subissent sont inhérents au département.

Un récent rapport du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) – une instance indépendante créée pour évaluer les politiques publiques en matière éducative – souligne les inégalités à l’école. Selon les experts, le système éducatif français tendrait à « donner moins à ceux qui ont moins » alors que les politiques d’éducation prioritaires visent un objectif inverse. Le rapport souligne par exemple des disparités au niveau du temps d’apprentissage pour les élèves et de niveau de formation des professeurs qui ont pour conséquences notamment des inégalités de résultats, d’orientation et d’insertion professionnelle. Selon le collectif d’enseignants le « Ministère des Bonnets d’âne », un élève de Saint-Denis perd plus de 400 journées de classe sur toute sa scolarité à cause des différents dysfonctionnements.

Kozi PASTAKIA

*Le prénom a été modifié.

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