« L’échec, c’est d’abandonner », lance Thomas Vuibert, ancien élève du lycée Suger à la vingtaine d’élèves rassemblés dans le CDI de l’établissement. « Tant que vous essayez de trouver votre voie, il suffit d’y croire. L’important, c’est d’avoir le bac et de bons résultats, même si vous voulez faire un métier manuel« . Pour la quinzième conférence de l’année, cet ex-étudiant en médecine, reconverti élève de la prestigieuse école de pâtisserie Ferrandi, est l’invité de l’association des anciens élèves du lycée Suger. 

« Vous avez des questions pour Thomas ? » demande David Chhean, fondateur de l’association et modérateur de la soirée. « Oui« , répond un élève. « Tu sais faire quoi à manger ? » Rire général. « C’est le Ramadan, j’ai faim »,  glisse le lycéen. La discussion se poursuit plus sérieusement pendant une dizaine de minutes. « Comment tu as fait pour changer d’orientation ? », demande l’un. « Est-ce que tu étais un bon élève au lycée ? », poursuit une autre. Il est 19 heures lorsque la rencontre s’achève mais les lycéens ne sont pas pressés de partir. L’intervenant se prête volontiers au jeu des questions/réponses. « L’initiative de David apporte aux élèves ce que nous n’avons pas eu, explique Thomas Vuibert. Et donner une heure de son temps, ça n’est pas grand chose ».

L’entraide comme réflexe

C’est en 2015 que David Chhean, 26 ans, diplômé de l’école de Management de Grenoble, une des meilleures de France, cofonde l’association avec son ami Ali Aliche. Tous deux ont obtenu leur bac en 2010 à Suger. À travers une permanence au lycée, des parrainages et des rencontres où des anciens viennent raconter leur parcours, l’association donne un appui aux élèves et leur apprend les codes du monde professionnel. Au sein de l’établissement de Saint-Denis, l’association a déjà répertorié 400 alumni. « Certains n’ont pas eu le bac, d’autres ont fait une grande école… c’est un réseau sur lequel s’appuyer », explique David Chhean. 

« Il aurait été facile de continuer sa route sans regarder en arrière, affirme David. Mais je me souviens à quel point j’ai galéré pour obtenir un contrat en alternance. Devoir envoyer des centaines de CV, ce n’est vraiment pas marrant. Le jour où j’ai obtenu mon alternance chez EY, l’un des plus grands cabinets d’audit du monde, j’avais envie de pleurer. Toute mon énergie vient de ce jour-là : j’ai voulu redonner une partie de la chance que j’ai eue ».

Son diplôme en poche, David décide de rester en Seine-Saint-Denis et de se consacrer à plein temps au travail associatif. « Ça donne vraiment un sens à ma vie« , confie-t-il. L’association n’a à ce jour pas de financement, rapporte le jeune homme, qui puise dans ses fonds propres quand c’est nécessaire. Il espère toutefois en vivre et aimerait que ce genre d’initiatives devienne un réflexe : « En plus des activités de base, manger, boire, travailler, aimer sa famille, j’aimerais créer une nouvelle activité : redonner aux nouvelles générations. »

« Avec ces conférences, on voit que même quand on vient de Suger ou de banlieue, on peut réussir »

Les conférences organisées par l’association des anciens de Suger permet de réunir des alumni aux parcours très divers : journaliste, entrepreneur, éducatrice spécialisée, comédien, sportif, conseiller politique… Dans un établissement où le taux de réussite au bac est de seulement 61% en filière littéraire, l’association fait-elle une différence ? A l’unanimité en tout cas, les élèves sont enthousiastes. « Aujourd’hui, j’ai appris qu’on pouvait changer de métier », se réjouit Sabrina*, élève de première S. Sa camarade Nassima* renchérit : « On est content que quelqu’un vienne nous dire ces choses. Et comme ce sont des gens qui viennent d’ici, on est plus à l’aise qu’avec quelqu’un d’extérieur ». 

« Ces conférences nous permettent de comprendre concrètement ce qu’il y a après le bac, et du coup, ça nous fait moins peur. Moi, ça m’a vraiment motivé à améliorer mes résultats, souligne Karim*, élève en terminale ES. Nous sommes souvent stigmatisés, nous avons l’impression d’être tout en bas. Avec ces conférences, on voit que même quand on vient de Suger ou de banlieue, on peut réussir ». Nathalie*, élève en terminale L, partage l’avis : « Le parcours des anciens nous inspire beaucoup. Et l’écart d’âge avec eux est moins grand qu’avec les profs, on s’identifie plus facilement à eux ».

Pour beaucoup de ces élèves, les épreuves du bac approchent à grands pas. Où se voient-ils après ? En marketing, commerce international, langues, sciences, ou « diriger » pour l’un d’entre eux. En bon millenials, ils n’ont pas d’idée de métier précis. David Chhean, lui-même, encourage les élèves à prendre leur temps et à chercher leur chemin, plutôt que de se focaliser sur le but. « On sait qu’aujourd’hui on change souvent de métier au cours de sa vie. Et il ne faut pas oublier que la désillusion est souvent violente entre les fantasmes et la réalité opérationnelle », rappelle-t-il.

Créer un sentiment d’appartenance et une culture de l’excellence

Ce que David Chhean veut avant tout donner aux élèves, c’est un sentiment d’appartenance et une culture de l’excellence. « Le but est de créer chez eux un réflexe de réseautage, pour qu’après le bac ils continuent, notamment entre eux« . Il se sent lui-même très proche des élèves. « Je leur fais des feedback sur leurs résultats pour qu’ils aient une volonté de s’améliorer tous les jours. Un jour, l’un d’eux m’a présenté comme son parrain. La symbolique est très forte. »

Stéphane Larrieu, proviseur du lycée Suger, approuve l’initiative, qu’il a veillé à stimuler : « Avec les anciens, il y a davantage de possibilités de transfert. Ces interventions dynamisent la réflexion des élèves, elles les décomplexent. Ca contribue à leur donner de l’ambition, de la motivation, à casser le plafond de verre ».

David Chhean (à gauche ) avec son ex-collègue Alexandre Appert, ancien élève d’un lycée parisien

Objectif : des réseaux d’alumni dans tous les lycées de France

Aujourd’hui, David Chhean, avec son ami et ex-collègue Alexandre Appert, ancien élève d’un lycée parisien, a l’ambition d’étendre le modèle à la France entière avec le projet Alumni de Lycée. Le but : aider les anciens élèves d’autres écoles à monter le même type d’association dans leur établissement pour « faire du lycée le tout premier réseau professionnel ». Pour ce faire, David et Alexandre démarchent en ce moment les établissements. « On leur fournit une solution clé en main et toute la méthodologie pour qu’ils puissent créer leur propre association« . À ce jour, une trentaine d’anciens d’autres lycées se sont montrés intéressés. « Notre mission d’ici la fin de l’année 2018 est d’atteindre 500 lycées sur les 4 200 qui existent en France ».

Un projet ambitieux dans un secteur où il n’est pas facile de bousculer les habitudes. Mais l’union faisant la force, David s’est entouré d’acteurs du monde de l’éducation, de l’associatif, de l’entreprise, qui lui donnent conseils et soutien. Parmi eux, l’association Article 1, l’association d’alumni de l’ESSEC, Loïck Roche, directeur de la Grenoble Ecole de Management et vice-président de la Conférence des Grandes Écoles, qui trouve l’initiative « intelligente et saine car solidaire« . Hippolyte Courty, ancien prof d’histoire au lycée Suger devenu entrepreneur et président de l’Arbre à Café, estime l’initiative « vraiment nécessaire« , et Corinne Thouvenin, présidente de Yes Akademia, y voit, elle, un « chaînon manquant dans le système actuel ».

À Suger, les premiers intéressés en sont convaincus. Après le bac, ils reviendront s’investir dans l’association des anciens élèves de leur lycée. « Ah oui, c’est obligé, s’exclame Nassima*. J’attends même ça avec impatience ».

Sarah SMAÏL

*Prénom modifié

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