Deux élèves du lycée d’Alembert d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ont été privés d’un voyage scolaire et sportif à Tulkarem, dans les territoires palestiniens, début avril. De nationalité étrangère, ils ont dû faire une demande de visa auprès de l’Ambassade d’Israël à Paris qui n’a pas instruit les dossiers. Récit.

Quand nous avons rencontré Djaffar Coulibaly et Khabeb Jertila, ils étaient encore très éprouvés et énervés par ce qui leur est arrivé. Les deux lycéens, de 17 et 18 ans, sont élèves de Première au lycée professionnel d’Alembert à Aubervilliers : le premier en commerce, le second en vente. Djaffar et Khabeb sont deux mordus de football, jouent en club, le premier aux Lilas FC, le second au FCMAd’Aubervilliers. Tous deux appartiennent à la section sportive football du lycée.

En novembre 2016, leur professeur leur fait part d’un projet scolaire. « On nous a dit qu’un grand voyage allait être organisé en Palestine pour 14 footballeurs. L’objectif était de rencontrer des jeunes de notre âge qui jouent aussi au foot, explique Djaffar. On gagnait match sur match, « Paname foot » écrivait même sur nous et notre projet les intéressait. La FSGT 93 (la fédération omnisport de Seine-Seint-Denis) nous a repérés. Ils ont d’abord parlé du projet de voyage avec notre professeur de sport qui a co-organisé le voyage, avec l’accord du proviseur évidemment ». Le voyage doit avoir lieu du 31 mars et le 9 avril, Djaffar et Khabeb, comme leurs camarades, sont tout excités. La FSGT 93 prend en charge l’ensemble des frais, 50 euros seulement devaient être avancés par les familles.

Ce voyage s’inscrit dans le projet « Je joue je rencontre le Monde », initié par la FSGT 93. Objectif : promouvoir l’égalité de l’accès à la pratique sportive comme droit fondamental et comme moyen d’échanges et connaissances interculturels. Le projet avait déjà commencé quelques mois auparavant. En 2016, 14 footballeurs palestiniens de Tulkarem et 6 handballeuses palestiniennes de Jénine sont venus en région parisienne. Le voyage des Français correspond à la deuxième étape.

Appréhension et impatience

Une première réunion d’information est organisée avec les parents. « Au départ, certains d’entre eux n’étaient pas d’accord car ils craignaient un peu pour notre sécurité. Notre professeur les a rassurés en leur expliquant que le voyage allait être très encadré ». Puis, les réunions se sont enchaînées. Une équipe féminine de handball de Clichy-Sous-Bois, 6 jeunes filles, est également sélectionnée par la FSGT 93 pour participer au voyage. Une nouvelle rencontre est organisée à Bobigny, dans les locaux de la fédération pour faire un point sur l’organisation du séjour. « Notre professeur d’histoire était de la partie. Elle nous a demandé d’amener un cahier pour prendre des notes sur place parce que ce voyage allait enrichir ce qu’on apprendrait. On nous a demandé d’écrire tout ce qui nous venait par la tête lorsqu’on évoque la Palestine. Sur le tableau il y avait les mots ‘guerre’, ‘bonjour’ écrit en anglais, en français et en arabe. On a aussi mis nos comptes Instagram, pour que les jeunes là-bas puissent nous contacter. On était très impatient ! », raconte Khabeb. Des photos de cet échange sont envoyées aux jeunes Palestiniens et une vidéo de présentation du groupe de footballeurs français est réalisée.

À la suite de cette réunion, il est demandé aux joueurs de la section sportive d’Alembert d’organiser un tournoi avec des élèves de CM2 d’Aubervilliers. « C’était pour prouver notre motivation à partir, à faire partie de ce projet. Toutes les écoles d’Aubervilliers étaient concernées », explique Djaffar. Puis, pendant des semaines, « la routine, les cours, les entraînements, les potes, d’ailleurs ils nous disaient ‘Mais t’es ouf d’aller en Palestine, t’achètes la mort ou quoi ? « Mais, moi je n’étais pas du tout stressé à l’idée de partir là-bas. Les profs savent ce qu’ils font, je leur fais confiance à 100% niveau sécurité », affirme Khabeb.

Demande de visa rejetée

La partie administrative commence alors. Les passeports des participants sont récupérés par les professeurs qui se chargent des démarches pour leurs élèves. Djaffar et Khabeb ne disposent pas de la nationalité française. Ce sont d’ailleurs les deux seuls du groupe à être dans ce cas. Djaffar est né en Côte d’Ivoire, Khabeb en Tunisie. « Je ne me souviens même plus quand je suis arrivé en France, j’étais tout petit, mais vraiment petit », tente de se rappeler Djaffar. Même chose pour Khabeb.

Les deux élèves doivent se rendre à l’ambassade d’Israël pour faire une demande de visa. Djaffar s’y rend une première fois, mercredi 15 mars. « J’y suis allé avec Yohan, encadrant de la FSGT 93, c’était juste avant les championnats de France. J’avais bien préparé tous mes papiers. Dès l’entrée, on nous a fouillés comme jamais, j’ai cru que j’allais déjà prendre l’avion ! On a pris un ticket, on a attendu 45 minutes. Une dame nous a alors reçus et m’a demandé pour quelles raisons je souhaitais aller en Palestine. Je lui ai alors expliqué que ce voyage était un projet scolaire, qu’on y allait avec ma classe pour un tournoi de foot et d’échanges avec des jeunes Palestiniens. J’ai bien insisté qu’il s’agissait d’un projet scolaire et Yohan était là pour en témoigner. Elle a alors pris mon passeport, est allée faire un tour derrière ses bureaux, puis est revenue en me disant « Ce ne sera pas possible, votre raison n’est pas valable ». Elle m’a alors dit qu’il fallait une autre raison », se souvient Djaffar. Il y est retourné alors une seconde fois accompagné de l’un de ses parents, quelques jours plus tard, cette fois avec Khabeb. « C’est Djaffar qui est passé en premier. C’était la même dame qui l’a reçu, celle qui lui avait dit que le premier motif n’était pas valable. Elle l’a encore une fois recalé et m’a demandé ensuite à moi : ‘Vous êtes ensemble ? Vous êtes dans la même situation ? Ce sera pareil’. Elle n’a même pas regardé mon dossier ! », s’insurge Khabeb.

Contacté, le service de presse de l’ambassade d’Israël en France explique que le bureau des visas a indiqué aux demandeurs de se tourner vers la représentation palestinienne à Paris pour effectuer les démarches administratives. « C’est la procédure pour ce genre de voyage : les demandeurs ont visiblement mal compris ce que les services leur ont dit, il n’y a évidemment aucune volonté de discriminer ». 

Yohan Massot de la FSGT93 qui a accompagné les deux élèves est pourtant catégorique. « À aucun moment, cela nous a été indiqué comme ça. On ne nous a jamais demandé de nous rendre à ce bureau, il n’a jamais été fait mention de cette procédure et dans les deux cas, il nous a été refusé de déposer notre demande. La même personne qui nous a reçus nous a demandé une invitation du ministère de l’Intérieur israélien, ce que nous ne pouvions pas récupérer car nous n’avions aucun contact sur place ».

« On va passer nos vacances à Auber, oublie »

La date du voyage approche. Khabeb fait sa valise. Djaffar a prévu de la faire la veille pour le lendemain, « c’est vite fait une valise ». La veille du départ, c’est jeudi. Comme tous les jeudis, l’équipe se retrouve au stade André Karman pour l’entraînement. Celui-ci était consacré à un dernier point avant le voyage. Les profs donnent les dernières informations, distribuent les maillots floqués. « Dès le début on avait senti qu’ils étaient bizarres, se souvient Khabeb. Là, ils nous préviennent qu’ils ont une mauvaise nouvelle à nous annoncer, que pour des raisons administratives, Djaffar et moi, on risque de ne pas partir, mais qu’ils attendaient des retours, que ça pouvait encore s’arranger ». Djaffar enchaîne. « Dès qu’ils ont dit ça, je savais que c’était mort. À la fin, ils sont venus nous consoler en expliquant que ce n’était pas perdu blabla, mais je savais, direct j’ai dit à Khabeb « on va passer nos vacances à Auber, oublie ».

Le jour J, leurs profs leur expliquent par téléphone qu’ils ne peuvent pas prendre l’avion. « Les profs étaient super mal pour nous » se remémore Khabeb. « Ça a été extrêmement compliqué de leur annoncer qu’ils ne pouvaient pas partir. On a espéré jusqu’au dernier moment que le consulat de France à Jérusalem débloquerait la situation », se souvient Julien Gout, professeur d’éducation physique et sportive au lycée d’Alembert.

« Khabeb et Djaffar ont clairement vécu une discrimination en raison de leur nationalité »

Clément Rémond, co-président du comité de Seine-Saint-Denis de la FSGT93, ne décolère pas de ce qui s’est produit. « Khabeb et Djaffar ont clairement vécu une discrimination en raison de leur nationalité. L’ambassade d’Israël n’a même pas instruit leur dossier ! Ce sont deux jeunes qui sont investis dans ce projet, soutenu par la Commission européenne et par le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, c’est incompréhensible ! »  

« C’est une grosse déception, poursuit Julien Gout, surtout par rapport à l’investissement qu’ils ont au quotidien au sein de la section sportive football du lycée et plus particulièrement celle qu’ils ont eue lors de l’organisation des tournois pour les classes de CM2 d’Aubervilliers ».

Clément Rémond prend alors contact avec le Quai d’Orsay et le Consulat général de France à Jérusalem. « Malheureusement, ils n’ont rien pu faire, les délais étaient trop serrés mais ils nous ont soutenus dans notre démarche », tient à rappeler Clément Rémond. Ce dernier souligne que le Consulat général de France à Jérusalem a pris la demande très au sérieux et fait remonter l’affaire au Quai d’Orsay. « Nous avons soutenu ce projet et nous continuerons à le faire », nous indique le service de presse du ministère des Affaires étrangères. Malheureusement, les démarches administratives à l’ambassade d’Israël sont parfois exigeantes et contraignantes. Nous regrettons ce qui s’est produit. Ce que nous conseillons, c’est de nous alerter suffisamment en amont pour que nous puissions essayer d’agir. Pour ce cas précis, les délais étaient bien trop courts ». 

« S’il faut juste un bout de papier pour être comme les autres, y’a pas de souci ! »

Selon Clémont Rémond, le Consul a bien indiqué lors d’une réception donnée dans les murs du Consulat sur place en honneur au groupe de jeunes, qu’« il n’était pas normal que l’ambassade d’Israël n’ait pas instruit les demandes de visas de Khabeb et de Djaffar ».

Depuis cette histoire, Khabeb a demandé sa nationalité française. « Chez moi tout le monde est français : mes frères, mon père etc. Moi je n’avais pas fait les démarches, mais là je les ai commencées. En fait, je suis Français ! J’ai toujours grandi en France, j’étudie en France, je parle français, bref comme tous mes potes ici. S’il faut juste un bout de papier pour être comme les autres, y’a pas de souci ! ». Djaffar, lui, est encore trop fâché par la situation pour envisager quoi que ce soit. Julien Gout ne veut pas en rester sur cette affaire malheureuse. « Nous sommes déterminés à poursuivre ce projet d’échange et à permettre à Khabeb et à Djaffar de prendre part à un prochain déplacement ».

Sarah ICHOU avec Nassira EL MOADDEM

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