Du 15 janvier au 30 avril, ce n’est pas la période de vacances scolaires pour la zone C, non, non. C’est en fait la période durant laquelle tous les étudiants (ou futurs étudiants) dans l’enseignement supérieur peuvent effectuer une demande de bourse sur critères sociaux. Alors que certains touchent une bourse car ils sont fils de cadres (oui, oui, ça existe!), moi je touche une bourse car je suis fille «d’ouvrier» (comme quoi, le principe d’égalité dépasse même mes cours de droit). Dois-je en avoir honte? Je ne pense pas.

Entre boursiers c’est assez drôle, on se comprend plutôt bien avec notre langage à nous: –  «T’es à quel échelon toi?» – «4» – «Waouh ça va pour toi t’as un salaire! Et toi?» – «1» – «Ahhhh dur ça!». Plus l’échelon est haut moins les parents gagnent de sous, plus la bourse est conséquente. Il faut dire qu’il y a une certaine ambiance entre boursiers. C’est carrément un réseau qui se crée. On n’a pas besoin de citer la bourse pour comprendre que l’on parle d’elle. Par exemple, «eh salut, dis moi tu l’as reçue?».  Il faut dire que dans le groupe des boursiers, il y en a toujours un(e) qui a le rôle d’avertisseur (généralement ça tourne) et qui consulte tous les matins son solde pour avertir tout le reste du groupe via un message groupé «qu’elle est là!», enfin arrivée dans nos comptes assoiffés.

Chaque année, on se réunit entre boursiers comme des actionnaires à Wall Street pour débattre sur l’évolution des montants de chaque échelon un peu comme si l’on discutait du CAC 40 ou du DOW JONES: – «Eh l’échelon 5 c’est 450 euros nan? – «Mais nan tu rigoles cette année c’est 433,90 euros!»

Maintenant qu’on est en plein dans les inscriptions universitaires (452,57 euros l’année de Master 1 à Paris 1), être boursière s’avère être assez avantageux (nous ne payons que 4,57 euros de frais soit… un grec-frites sans boisson). Avec le passage au dixième mois complet de bourse, je n’ai plus qu’une envie : mettre «J’aime Laurent Wauquiez» sur Facebook.

Même si pour certains, la bourse n’est pas suffisante, pour moi elle constitue un véritable «laisser passer», un peu comme la «Gold Card American Express» (pas à ce point mais quand même, la classe!). Pour certains de mes camarades, elle finance tout, sauf les livres de droit (vacances, forfait mobile, vêtements, sorties…). De quoi faire des envieux…

En effet, de plus en plus de formations payantes sont accessibles aux étudiants boursiers tels que les tests ou diplômes de langues. Désormais, l’accès aux Grandes Écoles est également possible: Sciences Po, HEC, des écoles de renommée qui élargissent ma perspective de formation. Lorsque j’annonce à mon frère qu’avec la bourse, je serai dispensée des 9 000 ou encore des 13 000 euros de frais d’inscriptions en intégrant ces écoles, il me répond que je ne devrais pas montrer que je suis boursière. De quoi me remettre en question.

Pourtant, tout mon entourage le sait déjà: ma famille, mes amis, mon banquier, les impôts, même mes chargés de Travaux Dirigés sont au courant lorsque je remplis ma fiche de renseignements, alors pourquoi le cacher? C’est vrai que parfois, je me demande quel est l’intérêt que mon prof sache que je sois boursière. Ca s’trouve, il va arrondir ma moyenne (ou la baisser peut-être).

Il faut rappeler que pour obtenir la bourse, malgré la diversité des situations, trois grands critères  permettent d’obtenir le jackpot (à savoir, l’échelon 6 qui équivaut à 460 euros par mois (oui j’ai suivi le cours de Wall Street hier soir…) : le revenu des parents, le nombre de frères et sœurs (ceux qui sont étudiants vous rapportent plus de points) et la distance entre le domicile et l’université. Du coup, je me dis que les non boursiers doivent penser que mes parents ne travaillent pas, que je suis issue d’une famille nombreuse, et que j’habite au fin fond de la banlieue. Par ailleurs, la bourse est soumise à une condition d’assiduité sous peine de remboursement alors autant ne pas trop rigoler s’il y a un risque d’avoir le Trésor Public sur le dos. Là aussi, je crois que les non boursiers doivent penser que je suis une fille très assidue et régulière au niveau de mes présences.

Je ne pense pas qu’il soit écrit «boursière sur critères sociaux» sur mon front, mais je n’ai aucune honte de l’être si c’est un moyen pour moi de réussir autant qu’une autre personne. Aujourd’hui, je m’estime chanceuse, les frais d’inscription d’universités étrangères étant hors de prix, de pouvoir étudier ici de la même manière que les autres. Alors si l’attribution de la bourse se fait selon un barème précis, je tiens à indiquer que mon ambition quant à elle, ne s’échelonne pas…

Emira BK

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