A chaque période de vacances scolaires, certains établissements ouvrent leurs portes aux élèves volontaires. D’après l’Éducation nationale, en 2012, 71% des établissements qui participaient à l’école ouverte, étaient situés en zones urbaines sensibles (ZUS) et/ou relevaient de l’éducation prioritaire. Reportage.

Au lycée Jacques Brel de La Courneuve, les couloirs sont désespérément vides et calmes en ce jeudi matin. Il faut pénétrer un peu dans l’établissement pour entendre les quelques élèves présents. Rien d’anormal : nous sommes le premier jour des vacances de la Toussaint. Comme à chaque période de congés scolaires depuis 2005, Noël excepté, le lycée propose des stages d’accompagnement scolaire. Pour ces vacances d’automne, deux journées ont été programmées pour les élèves volontaires. Au menu : pour les  seconde, travail sur l’argumentation, écriture d’invention, renforcement en mathématiques; pour les élèves de première, atelier autour du commentaire composé ou entrainement à l’oral en préparation du baccalauréat de français. Pour cette session de la Toussaint, une quarantaine d’élèves s’est inscrite. « Le climat apaisé dans l’établissement vient aussi de ces moments privilégiés d’accompagnement des élèves, explique Christine Thiebot, la proviseure de l’établissement. Nous nous sommes rendus compte, en examinant les bulletins de notes de troisième de nos élève de seconde, qu’il y avait des manques. Les ateliers ont pour objectif d’y remédier ».  Ces stages durant les vacances, ainsi que les cours du soir proposés de 18h à 20h en semaine toute l’année, sont rendus possibles grâce à une enveloppe budgétaire accordée par le rectorat qui permet d’organiser les séances et de rémunérer les professeurs.

Ce dispositif s’appelle « L’école ouverte ».  Créé au début des années 1990, il a pour objectif d’accueillir des jeunes qui ne partent pas en vacances au sein des établissements des territoires considérés comme socialement défavorisés. Basée sur un principe de volontariat pour les enseignants comme pour les élèves, l’école ouverte propose à la fois du soutien pédagogique et des activités extra-scolaires. En 2015, 7, 3 millions d’euros y ont été consacrés.

« On a toute la vie pour dormir et avoir des vacances »

Dans la classe 002, huit élèves de seconde écoutent religieusement leur professeur. En face de l’enseignante de lettres, Françoise Cespedes, que des filles. « C’est l’argumentation qui leur pose le plus de problèmes. Je fais avant tout en fonction de leurs demandes, de leurs besoins tout en restant dans le cadre ». Ce matin, chacune a dû écrire un paragraphe argumenté. L’une après l’autre, elles lisent leurs productions. « Ca commence à La Courneuve et ça finit à Stains vos phrases ! », s’agace très gentiment l’enseignante. Rires des élèves. C’est leur premier jour de vacances mais toutes, sans exception, disent ne pas regretter de s’être levées tôt. « On a toute la vie pour dormir et avoir des vacances, vous savez. Avoir le bac, étudier, avoir de bons résultats, c’est bien plus important. Et à la maison, il y a trop de tentations ! », explique Farah, 14 ans. « Il y a des lycées qui ne proposent même pas ce genre de stages. Nous, on a cette chance« , poursuit sa camarade Oumou. Seules des filles sont présentes, un hasard? « D’autres élèves, des garçons notamment devaient venir mais ils ont eu quelques soucis personnels », répond l’enseignante. Oumou a son explication. « Les filles sont plus déterminées, plus volontaires, plus sérieuses, on poursuit plus d’études que les garçons. Et moi je ne veux dépendre de personne plus tard ». Toutes acquiescent et affirment, comme un seul homme, la nécessité d’être indépendantes.

Il y a l’avenir et puis le présent, plus urgent. Pour Sihem, 15 ans, ces stages sont une nécessité. « Le français, ça n’est pas trop ma tasse de thé. J’ai besoin de ces ateliers pour m’améliorer car au lycée la matière devient compliquée. En argumentation, par exemple, je ne me sens pas à l’aise ». Même chose pour sa camarade Ourfani. Abijah, 16 ans, a aussi des difficultés liées à son parcours. Originaire du Sri Lanka, elle vit en France depuis quatre ans seulement. « J’ai besoin de ces stages. J’assiste aussi aux cours du soir, c’est important pour moi, pour progresser car j’ai du retard ». Encouragements et félicitations de ses camarades. « C’est une fille sérieuse, qui se donne beaucoup, qui travaille beaucoup », lance Sara à Abijah, visiblement émue par ces messages de soutien.

« On ne vient pas du 7ème arrondissement nous »

Ces stages proposés par l’Education nationale sont gratuits : rien n’est déboursé par les familles. Un critère non négligeable pour les élèves. « On n’a pas d’argent pour bénéficier de cours privés comme certains. Alors, pour nous, ce type de stages c’est important aussi pour ça. On sait que si on a des questions précises, c’est le moment pour les poser à la prof », affirme Sihem. « Avec mes difficultés, mes parents avaient proposé que je prenne des cours privés mais je leur ai dit qu’il y avait des stages à l’école. Pareil pour les cours du soir. Je fais ça depuis le début du mois d’octobre et ça m’apporte quelque chose », confie Abijah. « On ne vient pas du 7ème nous madame, poursuit Sara, on est de la Courneuve. Et puis, moi je préfère apprendre à l’école. Les professeurs, je les connais ». Ce qui plaît avant toute chose, c’est le travail en petit groupe. « En classe, on est 29, 30 élèves. Là, on n’est même pas 10. Il n’y a pas d’agitation, pas de bruits, pas de personne qui retarde ou perturbe le cours », détaille Farah. Toutes acquiescent. « On peut se concentrer, prendre le temps de poser les questions que l’on souhaite au professeur« , poursuit Sara. « De toute façon, j’ai dit que je ne voulais pas plus que 10, 11 élèves par séance. Il faut que ça soit vraiment bénéfique. Avec plus d’élèves, il n’ y a quasiment plus d’intérêt« , explique Françoise Cespedes. Bientôt la pause. Quelques élèves sortent des gourmandises de leurs sacs et les distribuent, à leurs camarades et à leur enseignante.

« On est venu ici parce que la prof est super »

De cette classe jaillit un profond respect pour l’enseignante de lettres. « Si je suis venue ici, c’est aussi parce que Mme Cespedes est une super prof », affirme Sara immédiatement rejointe par ses camarades. « On l’aime beaucoup, elle prend le temps de nous expliquer. On a beaucoup de chances de l’avoir ». Françoise Cespedes a expérimenté ces stages au printemps dernier. « J’avais juré que je n’en ferai pas et puis, j’ai commencé à Pâques l’année dernière. J’y ai pris goût. On a un rapport différent avec les élèves, plus ouvert ». Pas facile parfois de faire comprendre l’esprit de ces ateliers. « Certains me demandent d’aller plus vite ou de voir de nouvelles choses, mais ce n’est pas le principe de ces stages. Je ne peux pas avancer pour ces élèves et créer un décalage avec le reste de la classe. C’est aussi un moment pour faire prendre conscience de la nécessité de s’accrocher au lycée et qu’il ne faut pas avoir peur d’avoir des exigences« . Ces stages, un plus financier pour les enseignants? « Oui, nous sommes rémunérés en plus pour ces heures mais ce n’est pas ce qui me motive, je ne le fais pas pour ça ».

« On a de la chance d’être là  ! »

Pour la quarantaine d’élèves du collège Edouard Vaillant de Gennevilliers qui a décidé de venir malgré le temps humide et gris, le rendez-vous est fixé à 9h30 tapantes ce lundi. Leurs camarades font peut-être grasse matinée, mais tant pis, ils sont là, malgré tout, plein d’énergie et déterminés. « On ne nous a rien imposé ! C’est nous qui avons décidé d’être là« , répond Emmanuela, 11 ans, pleine de maturité. « C’est vrai qu’on se lève tôt tous les jours, qu’on amène nos cartables et qu’on travaille, rajoute Adam, sourire jusqu’aux oreilles, mais on fait aussi des activités et c’est mieux que de rester à la maison à ne rien faire« . A ses côtés, Waiyade, 12 ans, acquiesce et poursuit. « Et puis, grâce à ce soutien scolaire, on n’oublie pas nos cours, ça nous permet de réviser et de ne rien zapper pendant les vacances ». Takoi quant à elle, voit cet investissement au sein de son collège comme un privilège. « Les places étaient limitées, il fallait vite rendre l’autorisation parentale aux professeurs pour avoir une place. On a de la chance d’être là ! ».

Ce lundi matin, en salle 109, un petit groupe d’élèves travaillent sur les biographies d’Henri Barbusse et d’Edouard Vaillant : Edouard Vaillant pour le nom du collège et Henri Barbusse, du nom de la rue où se trouve l’établissement. C’est dans des dictionnaires mis à leur disposition que les jeunes adolescents doivent dénicher les informations. « C’est intéressant de travailler avec des dictionnaires aussi gros. Depuis la rentrée, les quelques recherches qu’on a pu faire c’était sur internet« , explique Zouhir.

Tous sont élèves en classe de sixième de ce collège de 850 élèves situé dans « le village », un quartier aux allures provinciales de cette ville des Hauts-de-Seine. « Quelques semaines après la rentrée, il était important pour nous qu’ils se retrouvent entre eux pour vraiment trouver leurs marques, si cela n’était pas déjà fait. Nous souhaitions aussi qu’ils retrouvent l’esprit plus intime de l’école élémentaire, la relation quasi-exclusive avec le professeur », explique Christiane Ferrer, la principale de l’établissement.

« Le dispositif pourrait bénéficier à bien plus d »élèves »

Leïla Houche, professeure de français, coordonne le projet « école ouverte » à Edouard Vaillant.« Pour moi, il est essentiel de travailler avec eux dans de telles conditions. Le fait d’avoir uniquement des petits groupes composés de 8-10 enfants rend le travail plus agréable et permet aussi de vraiment repérer les difficultés ». Convaincue par ce principe, elle considère qu’il pourrait bénéficier à bien plus d’élèves. « Dix par classe c’est génial, mais l’établissement est grand. On pourrait accueillir davantage de groupes. Pas plus de cent  élèves par contre. Néanmoins, cela ne pourra se faire qu’à condition d’avoir plus de professeurs, donc plus de moyens ».

Ces stages ne sont pas toujours jugés satisfaisants. Sophie Vénétitay, professeur de sciences économiques et sociales et co-secrétaire au syndicat de professeurs SNES-FSU dans l’Essonne, regrette que dans certains établissements, ces ateliers d’accompagnement aient perdu leurs objectifs initiaux. « Depuis quelques années, ces ateliers servent à rattraper les cours ratés pendant l’année, certains chefs d’établissement anticipent même et comptent sur eux pour rattraper les cours ratés à cause des absences, des non-remplacements des professeurs, des postes non pourvus ».

Au collège  Edouard Vaillant, les après-midis de l’école ouverte sont consacrés à la réalisation d’activités extra-scolaires : création manuelle, artistique et informatique, sorties culturelles, autant de moments où élèves et professeurs partagent des moment privilégiés. Ce lundi après-midi ce sera sortie cinéma. Il y a quelques jours ils se sont rendus à la patinoire municipale. « C’était drôle de voir que les profs aussi peuvent tomber », sourit Syrine.
Sarah ICHOU

Articles liés