C’était bien l’une des ses craintes. Plus de 15 jours après la rentrée, Alex, 18 ans, n’est toujours pas inscrit au lycée. Pour seulement deux petits points, le jeune homme est contraint de repasser son bac cette année. Problème : il n’y a pas de place pour lui en Terminale, dans son lycée, l’établissement Rosa-Parks de Montgéron dans l’Essonne. Ils sont au moins une quinzaine du même établissement à connaître cette situation. Sans classe pour les accueillir, les lycéens n’ont pas d’autre choix que de suivre l’année par « modules ». « Tous les élèves de Terminales ES non inscrits de Rosa-Parks seront bien repris au lycée, mais dans une classe MOREA [Module de Représentation à l’Examen par Alternance, ndlr]« , affirme Sophie Vénétitay, enseignante en sciences économiques et sociales (SES) dans ce même établissement et secrétaire générale du SNES dans l’académie de Versailles, syndicat majoritaire dans les collèges et lycées du 91.

Ce dispositif d’aide à l’insertion, qui fait partie de la mission de lutte contre le décrochage scolaire, a été mis en place depuis plus de dix ans dans chaque académie par l’Éducation nationale. Il s’adresse à des jeunes ayant échoué deux fois à l’examen du baccalauréat et désireux de le préparer de nouveau. Les élèves ne disposent que de quelques heures de cours par semaine avec des enseignements à distance.

Ces classes MOREA n’avaient déjà pas les faveurs de ces recalés du bac le 12 septembre dernier. Ce jour-là, une quinzaine d’élèves scolarisés au lycée Rosa-Parks en 2016/2017 ont manifesté devant la direction des services départementaux de l’Éducation nationale à Evry. Parmi leurs revendications, le refus de suivre l’année par « modules ». L’inspection académique s’est alors engagée « à régler toutes les situations d’ici la fin de la semaine ». La DSDEN 91 affirme que « de nombreuses solutions ont été apportées. (…) En complément des ajustements de juillet, des moyens supplémentaires ont été mis à disposition dans plusieurs lycées pour régler définitivement toutes les situations ». Lesquels ? Aucune précision n’est apportée.

« Ce n’est pas en allant en cours une semaine par mois qu’on réussira mieux »

Alex, 18 ans, toujours sans affectation.

« Nous ne serons pas dans une classe à plein de temps. On doit travailler chez nous et se rendre quelques journées par mois au lycée. Ce n’est pas idéal pour travailler. Je préférerais une classe normale ». Alex, un grand gaillard longiligne, regrette déjà l’année passée. « Les modules de repréparation de l’examen par alternance ne sont pas des classes normales, explique Sophie Vénétitay. Les élèves ne préparent que les épreuves qu’ils représentent, parfois selon des modalités particulières. Un peu de cours en présentiel, une peu de cours en ligne, ou bien uniquement sur des périodes dédiées ».

L’élève qui a échoué à l’épreuve du baccalauréat conserve les notes qu’il a eues dans les matières qu’il a déjà validées. Il ne doit repasser que les autres. Avec les MOREA, les candidats choisissent eux-mêmes les épreuves qu’ils repassent à la fin de l’année. Rares sont ceux qui prennent le risque de repasser des épreuves qu’ils ont réussies. Surtout s’il faut pour cela se coltiner une nouvelle fois tout le programme. Résultat : des emplois du temps à trou, un accompagnement en pointillé. « Ça peut convenir à certains élèves bien organisés, mais pas à d’autres », poursuit Sophie Vénétitay.

« On a déjà échoué une fois en étant encadrés toute l’année, ce n’est pas en allant en cours une semaine par mois qu’on réussira mieux »

Du haut de ses 17 ans, Leïla Nabili, petite brune aux cheveux bouclés, considère son avenir avec anxiété. « En sachant qu’on a déjà échoué une fois en étant encadrés toute l’année, ce n’est pas en allant en cours une semaine par mois qu’on réussira mieux, lâche-t-elle, dépitée. Franchement, je craque là : me dire que je suis déscolarisée, je ne peux pas, j’ai encore besoin d’aller à l’école ! » proteste Leïla. Son année de Terminale économique et sociale (ES) à Montgeron s’est soldée par un échec au bac, à 0,5 point près.

Pour elle comme pour les autres, les deux solutions qui se profilent sont donc les MOREA ou le bac en candidat libre. « Toutefois, le cadre et la régularité des cours font cruellement défaut aux élèves candidats libres, insiste Sophie Vénétitay.  Il y en a certains qui nous disent qu’ils le passeront sous cette forme mais ils décrochent peu à peu ».

Un décret d’octobre 2015 autorise pourtant les lycéens à redoubler dans leur établissement d’origine 

C’est leur grande préoccupation du moment. Comment se préparer le mieux possible pour repasser l’examen et décrocher leur premier diplôme alors qu’ils n’ont, pour le moment, pas de place en Terminale ? Après avoir été recalé de peu, Alex a essayé de se réinscrire au début du mois de juillet. « Dans mon lycée, ils m’ont dit : ‘Pour le moment, on ne sait pas s’il y a de la place, il faut attendre le mois d’août’. Alors je suis allé à Epinay-sous-Sénart et à Draveil. Mais ils m’ont fait la même réponse : il n’y a pas de place », rapporte le jeune lycéen.

En septembre toujours rien. Ni a Rosa-Parks, ni ailleurs. « Un texte de 2015 autorise les lycéens à redoubler dans leur établissement d’origine fait remarquer Sophie Vénétitay. Mais le problème, c’est qu’il n’est pas respecté ». En effet, depuis le 26 octobre 2015, un décret modifie l’article D. 331-42 du code de l’éducation et précise que « tout élève ayant échoué à l’examen du baccalauréat (…) se voit offrir, à la rentrée scolaire qui suit cet échec, en vue de préparer cet examen, le droit à une nouvelle inscription dans l’établissement dont il est issu ».

Une cinquantaine d’élèves sans lycée

Leïla et Alex sont loin d’être des cas isolés. Selon nos informations, une cinquantaine d’élèves sont dans la même situation sur le secteur Montgeron, Brunoy et Epinay-sous-Sénart, ce que confirme l’inspection académique de Versailles. « Si l’on ajoute les autres filières et l’ensemble du département, ce chiffre est bien évidemment bien plus important. Les élèves sont découragés », assène Sophie Vénétitay.

Un tableau pas si étonnant selon elle : « Quand ils préparent la rentrée scolaire de l’année suivante, le rectorat et l’inspection académique calculent le nombre de places qu’il doit y avoir en Terminale en ne comptant que les élèves qui passent depuis la classe de première. Ils n’anticipent absolument pas d’éventuels redoublements. Pour nous, c’est une façon de faire des économies », déplore la représentante syndicale. Aux yeux de la loi pourtant, l’État est tenu de scolariser ces jeunes : « Tout élève qui, à l’issue de la scolarité obligatoire, n’a pas atteint un niveau de formation sanctionné par un diplôme national (…) doit pouvoir poursuivre des études afin d’acquérir ce diplôme (…), dispose l’article L122-2 du code de l’Éducation ».

Alban ELKAÏM

Crédit photo : Patrice BRETTE

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