Il y a quelques jours, un matin ordinaire de février, tout va bien. Quand la corne de brume sonne plusieurs fois de suite dans cette classe de grande section de Montpellier, les ennuis commencent. Confinés pendant vingt-cinq minutes, les petits supportent mal l’exercice. Lumière coupée, portes, fenêtres et volets fermés. L’institutrice a beau les faire jouer et chanter pour dédramatiser la situation, elle ne parvient pas à éviter deux crises de larmes. Elle non plus n’est pas du tout rassurée par la mise en scène : « Déjà qu’on nous rabâche régulièrement que les écoles et les crèches sont les prochaines cibles des terroristes. C’est flippant, ça en rajoute une couche ». Mais voilà, l’exercice est obligatoire.
On pourrait croire que les plus grands sont mieux armés. Probablement. Une professeure de lycée parisien raconte le déclenchement d’une opération similaire en janvier. « Les élèves sont tendus, un peu angoissés. Le moment est mal choisi, les examens blancs approchent. Le scénario mis en place peut varier, mais eux pensent surtout aux tueries de masse à la Merah ». L’intervention éclair du CPE dans sa classe ne rassure personne. Un peu pour blaguer, beaucoup pour respecter les consignes du rectorat, il explique aux élèves qu’une voiture piégée est garée au coin de la rue. La classe est disciplinée, coopère et suit le confinement. L’enseignante parle d’exercice sans gravité, les lycéens se remettent au travail dix minutes plus tard. Difficile pour elle de savoir si leur tension n’est liée qu’à la période de l’année, ou à cette nouveauté. Nouveauté qui porte un nom : PPMS.
Le dispositif sorti de nulle part
Avant la mise en place de ce Plan particulier de Mise en Sûreté du ministère de l’Éducation nationale, les mesures de prévention semblaient peut-être absurdes, mais presque inoffensives [Les mesures de prévention des attentats ne datent pas de la fin de l’année 2015. La plupart ont été mises en place après les événements de janvier dernier. D’autres sont plus anciennes, à l’instar du plan Vigipirate. Avant le mois de décembre et l’application du PPMS, la « prévention-attentat » était principalement jugée absurde et contre-productive].
Le PPMS va beaucoup plus loin, « trop loin » pour de nombreux professeurs. Il semble surtout sorti de nulle part. C’est ce document, accompagné de consignes coercitives, qui impose aux établissements l’organisation d’exercices de prévention des risques naturels, industriels et humains. Encore aujourd’hui, il n’en ai fait aucune mention durant la formation des enseignants et professeurs. La plupart d’entre eux, une fois dans la vie active, n’en entendent pas plus parler. Il y a bien quelques exceptions, mais cantonnées à des situations spécifiques : certains établissements jouxtants des zones industrielles chimiques ou nucléaires par exemple proposent aux élèves des exercices de confinement depuis des années.
Hors de ces cas très précis donc, lorsque les chefs d’établissement reçoivent les directives d’applications du PPMS en décembre 2015 ou janvier 2016, ils les transmettent à une équipe pédagogique abasourdie. La première date limite d’exécution était toute proche, pas de temps à perdre. « Nous avons reçu les documents une semaine avant le premier exercice, détaille une autre professeure de lycée. Nous avons fait une réunion pour le préparer, et avions comme consigne de n’en toucher mot aux élèves. Ça a vraiment été une grosse surprise pour tout le monde lorsque la corne de brume a retenti ».
Ces mauvais résultats, qu’ils soient traumatisants ou inutiles, ne sont pas systématiques. Ils se produisent lorsque le PPMS est appliqué à la lettre, c’est-à-dire de manière opaque et indifférenciée. « Opaque » d’abord, parce que dans plusieurs établissements, les subordonnés du Ministère tentent d’expliquer que les consignes ne sont pas liées aux attentats (bien qu’elles apparaissent au lendemain du 13 novembre) et que ce sont simplement les risques de tempête qui sont mieux pris au sérieux depuis. Quel hasard ! Tous les destinataires ne sont pas dupes, y compris les plus jeunes. « Indifférenciée » ensuite, parce qu’à priori, aucune distinction de traitement n’est prévue, quel que soit l’âge des enfants, leur implantation géographique, leur niveau de tension post-attentats ou encore leur discipline.
Le principe d’imprudence
Dans d’autres conditions, les effets positifs de ces exercices peuvent être nombreux. « Moi, je veux m’entraîner pour être prête en cas d’incident, résume une jeune institutrice des Yvelines, mais pas au détriment de la psychologie des enfants ». C’est sa première année d’enseignement, elle n’est même pas encore titularisée. En cas d’alerte, elle sait qu’elle est chargée de deux classes : la sienne plus celle de la directrice, qui doit rejoindre son bureau pour assurer la communication avec l’extérieur de l’établissement. Pour que tout se passe bien, l’institutrice est préparée par sa supérieure qui lui précise le jour de l’événement. Une attention prudente qui va à l’encontre des directives officielles.
Autre exemple dans un collège de l’Ain, une professeure est chargée d’une classe spécialisée un peu difficile, des élèves de 4e turbulents. Elle est prévenue en amont par un chef d’établissement « très humain », ils prennent le temps de discuter de la mise en scène de l’alerte attentat à venir. À son tour, elle brief longuement ses élèves et répond à toutes leurs questions. Là encore, ces précautions sont contraires au protocole du Ministère, qui impose la surprise totale. Alors, lorsque survient l’alerte, ils passent quinze minutes, porte verrouillée et volets clos, dans le noir et dans un silence à peine perturbé par deux ou trois rigolades. « Ils ont été hyper calmes durant l’exercice et vraiment sereins par la suite », insiste-t-elle.
Depuis les attentats de l’année passée, la plupart des enseignants s’accordent : les enfants ont besoin de réconfort. Dans plusieurs établissements, l’application du PPMS rassure finalement les élèves. Mais dans ces écoles, collèges et lycées-là, les membres de la vie scolaire, chefs d’établissement en tête, prennent des risquent à braver les interdits et à déformer les consignes des rectorats. « Heureusement que mon directeur est sympa et prêt à quelques concessions, conclut l’institutrice de Montpellier. Il se rend bien compte que les consignes ne sont pas cohérentes en l’état ».
Maxime Grimbert

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