Alors que certains ont la chance de pouvoir se confiner chez eux sans avoir à travailler ou à payer de loyer, beaucoup, malheureusement, sont dans le cas inverse. Devoir composer entre une charge de cours parfois alourdie, des modalités d’examens encore opaques et un petit job qui se transforme en travail à temps plein, c’est devenu le quotidien de nombreux étudiants. Beaucoup sont ceux qui, depuis les annonces d’Emmanuel Macron, le 16 mars dernier, ont du mal à joindre les deux bouts. Entre la charge de travail, la charge horaire et la charge mentale, ils racontent.

Travailler ou étudier : le dilemme cornélien

En temps de pandémie de Covid-19, la vie ne s’arrête pas pour tout le monde. Certains parents ne sont pas toujours en mesure de fournir un apport financier à leurs enfants et, parfois, c’est eux qu’il faut aider en allant travailler. « Mon salaire me permet de subvenir à mes besoins les plus importants et de participer aux financements des charges de la maison », explique Djibril*, étudiant en Licence 3 d’Économie et de Gestion. Une situation qu’il arrive toutefois à gérer, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde.

Beaucoup d’étudiants ont vu leurs heures de travail doubler, passant parfois d’un temps partiel à un temps plein. C’est le cas de Salomé, en Licence 2 de psychologie, qui travaille dans un hypermarché et a dû « un peu » délaisser les cours pour passer d’un contrat étudiant à un temps plein. « J’ai un loyer à payer tous les mois, les charges, les courses, l’essence… Mon 6h30 par semaine ne me rapportait pas énormément, explique-t-elle. J’ai vu une opportunité d’être plus à l’aise financièrement pendant quelques temps et mettre de l’argent de côté ».

D’autant plus que son université les laisse dans « le néant » par rapport à leurs dates et modalités d’examens. « Ça ne m’aide pas non plus à réviser sérieusement », poursuit-elle. Ainsi, par exemple, au sein des universités de Caen ou de Rennes, les étudiants n’ont qu’une seule certitude : celle d’être prévenus de la date de tenue des examens au moins 15 jours avant.

Je n’ai pas pu tenir le rythme et j’ai finalement complètement lâché les cours 

Pour beaucoup, il devient très vite difficile de suivre les deux, et un choix devient très vite inévitable. « Les premiers jours du confinement, je travaillais la nuit, raconte Elliott, en Licence 2 de Physique. Mais je n’ai pas pu tenir le rythme et j’ai finalement complètement lâché les cours ». Même scénario pour Fyna*, étudiante en Licence 2 de LLCE Anglais, indépendante financièrement depuis l’âge de 18 ans, sa mère ne pouvant l’aider, qui a finalement arrêté de suivre les cours pour se consacrer à son travail de réceptionniste.

Fatigue, surmenage, psychose engendrée par le confinement, beaucoup d’étudiants salariés rencontrent des difficultés pour travailler régulièrement et sérieusement. « Depuis le début du confinement, je travaille à temps plein chez Carrefour et je fais de la mise en rayon tôt le matin, explique Chloé, en Licence 1 de Mathématiques. J’ai parfois des difficultés à me mettre à étudier à cause de la fatigue ».

Un équilibre difficile à trouver

Certains, comme Sarah*, en Licence 2 de Droit, constatent une charge de cours encore plus importante que d’habitude. Rattraper les travaux dirigés, les mettre en forme, les comprendre seule, tout cela demande beaucoup plus d’heures qu’en temps normal. « Ce n’est pas la même chose de lire quatre PDF de quinze pages chacun et de suivre le cours en amphi ».

Pour compliquer encore la tâche, ses horaires de caissière changent toutes les semaines. « Mon job me prend à chaque fois une bonne partie de la journée, je ne peux pas étudier pendant ce temps-là et ça casse mon organisation ». Elle reconnaît commencer à perdre pied, une situation qu’elle qualifie elle-même de « burn-out » en devenir. C’est pour cette raison que la jeune fille a pris un arrêt maladie « il y a quelques jours », une décision qui lui permet de se recentrer sur ses études.

Dans d’autres cas, moins préoccupants mais tout aussi épineux, il faut décider quoi suivre et quoi abandonner. C’est ce qu’a dû faire Willen, étudiante en M1 économie et salariée chez Carrefour, qui a délaissé ses cours pour ne travailler que son mémoire, même si « le tuteur n’est pas très réactif par mail ». Un choix qui lui permet de ne pas prendre plus de retard sur son travail de recherche, beaucoup plus conséquent que pour les travaux dirigés. Passée de 8 heures de travail à 25 heures en tant que caissière durant les dix premiers jours du confinement, la jeune femme n’a pas pu trouver d’autres solutions.

On nous fait sentir qu’on doit être là pour les clients et que si on ne le fait pas, personne ne le fera donc on est dans une situation d’angoisse

Charge mentale, horaire et sanitaire

Si on ajoute à une charge horaire importante des mesures sanitaires qui ne sont pas toujours respectées au travail et la fatigue qui s’accumule, il devient effectivement difficile pour certains étudiants de se concentrer pour suivre les cours et réussir. Lauren, étudiante en école de commerce, a déjà du mal à gérer la charge de travail des cours et de son job dans une chaîne de restauration rapide où elle s’occupe de gérer les commandes pour les livraisons à domicile.

Mais ce qui l’inquiète aussi, ce sont les conditions de sécurité sanitaire. « Le directeur m’a donné un masque et m’a dit, tiens, c’est pour la semaine », dévoile-t-elle. Pourtant, pour être efficace, un masque chirurgical, doit en théorie se changer en moyenne toutes les trois heures, le FFP2, plus performant, jusqu’à quatre heures. « Les mesures mises en place ne sont pas du tout suffisantes, mais on est obligés de travailler, car sinon on n’est pas payés ».

Ainsi, le stress provoqué par cette crise sanitaire, qui se répercute sur le mental des étudiants, est exacerbé au travail. Et même dans le cas où les patrons mettent en place des mesures de protection strictes, qui soulagent les personnes interrogées, beaucoup de clients ne sont pas regardants et n’en font qu’à leur tête. « Il y en a certains qui ne respectent pas les distances de sécurité, dénonce Chloé. Certains se déplacent chaque jour pour acheter un article seulement, et reviennent le lendemain, et tout cela sans protection ».

Sarah* raconte qu’à sa caisse, des vitres en plexiglass ont été installées. L’idée est « bonne », mais malheureusement, « elles sont très mal installées et les clients sont très peu regardants : ils donnent régulièrement des coups dedans ».

Après une journée pareille à surveiller les moindres faits et gestes des clients, à calculer chaque mouvement et interaction pour éviter la contamination, l’épuisement guette au coin du rayon. « On nous fait sentir qu’on doit être là pour les clients et que si on ne le fait, pas personne ne le fera donc on est dans une situation d’angoisse, poursuit Willen. Personnellement sur cette période [durant les premières semaines de confinement] j’ai très peu bossé mes cours car j’étais épuisée mentalement et physiquement ».

Pour Lauren, travailler en temps de pandémie, c’est un poids qui affecte beaucoup le moral et, de surcroît, la motivation. « Il y a une charge mentale à cause du virus. Certains collègues ne respectent pas bien les gestes barrières, refusent de travailler avec un masque car ils trouvent ça dérangeant ». Pas étonnant qu’à la fin de la journée, la dernière chose qu’on ait envie de faire est de travailler un cours.

Anas DAIF

*Les prénoms ont été changés

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