Les 29 et 30 novembre à l’Espace Paul Eluard de Stains se tenait la troisième édition des Etats généraux de l’éducation dans les quartiers populaires. Cette année, l’initiative était portée par plusieurs collectifs d’habitant(e)s, de Montpellier à Stains en passant par le Blanc-Mesnil et Créteil. Ces collectifs se mobilisent localement toute l’année sur les questions d’éducation, notamment de discrimination scolaire et de mixité sociale à l’école. Pendant ces deux jours, au programme, une projection du film La vie scolaire, une pièce de théâtre imaginée et interprétée par les collectifs eux-mêmes, plusieurs tables rondes… Mais surtout, la volonté commune de dépasser les nombreux constats d’inégalités déjà très largement partagé par les collectifs. Et ce, quitte à investir pleinement le champ politique à l’avenir.

Des actes, pas que des constats

Derrière ces collectifs pendant l’évènement, disons-le tout de suite, ce sont des femmes, presque exclusivement, qui sont présentes. Parce qu’elles sont des mères préoccupées par l’avenir de leurs enfants avant tout et parce qu’elles sont sûrement un peu fatiguées de se justifier, elles balayent l’interrogation de la composition des collectifs d’un revers de la main : « les femmes ont été invisibilisées pendant longtemps » mais elles sont pourtant bel et bien là. Et leurs grands-mères déjà avant elles étaient déjà là. Ce qui ne veut pas dire que les pères ne sont pas là, la précision est donnée tout aussi promptement. Ce qui veut surtout dire que, loin d’être démissionnaires, les parents des quartiers populaires veillent.

Parce que comme l’indique le maître-mot de l’événement « les états généraux de l’éducation, ce sont des actes ! » Toutes ces femmes veillent avec la même énergie qui fait que Yamina Aissa Abdi, venue du quartier des Izards à Toulouse, continue de chercher à professionnaliser l’association dans laquelle elle s’investie, Izards Attitude. Pour pouvoir avoir un temps plein au sein de l’association, qui soutient les familles dans leur rôle éducatif comme les initiatives des femmes dans le quartier. Malgré les droits de retrait exercés entre autre par la régie de quartier, dernier désengagement en date au coeur de sa cité, elle continue les recherches de subvention ou de locaux. Et il faut dire que les constats se ressemblent, aux Izards comme au Petit Bard à Montpellier, comme dans d’autres quartiers à Marseille ou en Seine-Saint-Denis. Au nombre des partages les plus frappants, la situation des centaines d’élèves qui ont eu cours pendant 17 ans dans des préfabriqués, à Marseille.

Mais les collectifs ne veulent pas seulement poser des diagnostics. Les combats quotidiens pour professionnaliser leur lutte constituent déjà une partie du diagnostic. Ces femmes aussi participent aux constats en imaginant et en interprétant ensemble une pièce de théâtre. Un peu comme on écrirait une lettre à la République, avec une phrase de lancement qui donnera le ton : « Nous, habitants des quartiers populaires accusons l’Etat de non-assistance à nos enfants en danger ! ». Au-delà de ces constats, les collectifs veulent surtout que soit reconnue l’expertise citoyenne des parents sur les questions d’éducation et défendent fermement l’idée d’une co-éducation.

Une banque de stages, une visite du quartier pour profs et CPE…

Pour leur troisième édition, ils ont eu le temps de se multiplier et apportent tout autant de preuve de cette expertise citoyenne. Pour comprendre comment se construit progressivement leur légitimité, il faut regarder de près les éléments qui ont conduit à leur création. Ils se ressemblent, tout comme les constats posés. Au départ pour ces mères souvent, une forme d’engagement et d’investissement à travers des structures comme la FCPE, qui a pu se solder par « des expériences fâcheuses ». Ensuite, la volonté de se parler aussi entre habitants. Pour être reconnus et identifiés par les institutions scolaires.

Les voix et les analyses des représentantes des collectifs se mêlent, non sans un fond d’agitation et de saine révolte mais elles se rejoignent sur l’essentiel. Dans les quartiers, les Accueils Jeunes ou les centres sociaux, ça ne suffit pas. Avec les collectifs, tout part du bas, du terrain. Par ici, on raconte par exemple la création d’une plateforme qui se présente comme une banque de stages disponibles pour les élèves de 3ème : « parce que le réseau dans les quartiers, c’est une seconde nature ». Une plateforme, pas seulement pour un stage mais pour outiller les élèves, qu’ils sachent ce qu’est un CV, qu’ils aient une perspective d’avenir. Un autre collectif raconte que la CPE de l’établissement voisin a été invitée à venir visiter leur quartier. Pour qu’elle puisse mesurer le cadre de vie des élèves, comprendre qu’ils sont déjà fatigués en se levant le matin parce qu’il y a du bruit la nuit, bref se rendre compte de ce qu’il se passe.

Politiser la légitimité des parents

Parmi les invités à débattre à l’une des tables rondes aux côtés des collectifs, il y a notamment l’historienne Laurence De Cock et le sociologue Choukri Ben Ayed. Au coeur des préoccupations dans les discussions comme dans les interventions du public, la légitimité des parents justement et la rupture d’égalité. On évoque l’importance des mouvements initiés par les femmes dans les quartiers, comme Mamans Toutes Egales ou Front de Mères à Bagnolet et l’importance de politiser la question de la légitimité des parents. Au fil des échanges, on parle aussi solutions concrètes. Par exemple, l’expérimentation des espaces parents dans les écoles.

Quoi qu’il en soit, ces collectifs, capables de rassembler des références à Kery James et France Gall dans une même journée de mobilisation, il ne faut pas les attendre l’année prochaine pour une quatrième édition des états généraux. C’est la conclusion qui semble faire consensus. Les constats de chacun de ces collectifs ne leur suffisent plus et leurs représentantes ont préféré évoquer les pistes politiques plus dures et plus radicales.

D’abord des audits d’actions des maires sur les questions éducatives. Se constituer avec la forme juridique nécessaire pour porter plainte ? Oui, s’il le faut. Un collectif national ? Pourquoi pas. Et quand on leur demande si leur présence à Stains pour la troisième édition des états généraux a un lien avec a plainte récente du maire de Stains Azzédine Taibi, elles réfutent. L’une de représentantes finit pourtant par trancher : « Mais je vais vous dire ! Et même si ça avait un lien ? » L’éducation est un sujet éminemment politique que les acteurs de cette 4e édition des EGE avaient décidé de ne pas laisser aux politiques.

Anne-Cécile DEMULSANT

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