« Moi je voulais entrer en master de psychologie clinique. J’ai juste choisi des villes qui étaient à grand maximum six heures de train de chez moi, parce que j’avais besoin de rentrer chez moi pour voir ma famille. J’ai postulé un peu partout et hier j’ai essuyé mes trois derniers refus donc je sais que je n’aurais pas de Master à la rentrée », confie avec dépit Fleur. Cette jeune étudiante originaire de Poitiers sort d’une licence d’une de psychologie et et rêve d’exercer en tant que psychologue. Une ambition aujourd’hui confrontée à la dure réalité de la sélection.

Pour comprendre le labyrinthe dans lequel sont bloqués de nombreux étudiant·e·s il faut revenir cinq ans en arrière. Annoncée en grande pompe, la loi de décembre 2016 offrait la possibilité pour les universités de sélectionner les étudiant·e·s et les admettre en M1 (1ère année de master) après un concours ou l’examen de leur dossier.

Aucun étudiant ne devait se retrouver sans solution : 5 ans plus tard, le constat est loin des plans

Une « avancée » dont se félicitait à l’époque Najat Vallaud-Belkacem alors ministre de l’Education Nationale et son secrétaire d’Etat chargé de l’Enseignement Supérieur Thierry Mandon. Ce dernier déclara lors de l’adoption de la loi à l’Assemblée Nationale : « [Le texte] offre des garanties de clarté et de continuité aux établissements et aux étudiants ». Avant de poursuivre : « Aucun diplômé de licence souhaitant poursuivre ses études en master ne sera sans solution, sans choix, sans droit. ». Une déclaration qui sonne aujourd’hui comme une blague de mauvais goût.

Cette réforme est d’autant plus dramatique pour les étudiant·e·s en droit pour qui l’accession au M1(première année de Master) leur offraient la possibilité de passer divers concours : avocature, magistrature, ou administratif. Comme l’explique le professeur Rémy Dandan, enseignant et avocat au barreau de Lyon : « À mon époque, la sélection se faisait entre le Master 1 et le Master 2. Il y avait alors déjà une sélection importante qui était faite, mais elle n’était pas aussi triste que celle opérée aujourd’hui en sortie de troisième année de licence. » se remémore-t-il.

Je suis littéralement en train de regretter mes trois dernières années

Avant d’ajouter : « En effet, en dépit de ne pas avoir été admis en Master 2, les étudiants pouvaient quand même concrétiser un projet professionnel conforme à leurs attentes avec leur diplôme de Master 1 puisque l’année du Master 1 était ouverte de droit à tous les titulaires d’une licence en droit. Ça n’est pas anodin car en droit l’essentiel des examens et concours nécessaires à l’accomplissement des projets professionnels des étudiants ne sont ouverts qu’à la condition d’être titulaire d’un Master 1 en droit ».

Les ‘bons dossiers’ font aussi face aux refus

Etudiante en droit à l’Université d’Assas à Paris, Jade qui aspire à être avocate ou juriste dans le domaine des affaires, avait suivi cette actualité d’un regard lointain : « je me disais ‘Ok il faut pas que tu te gourres, il faut pas que tu te casses la gueule et ça ira quoi. Si tu bosses comme une acharnée mentale ça ira, c’est vrai que c’est une sélection comme une autre’. Je savais que ça allait être rude mais ça m’a pas affolé plus que ça quoi ».

Après s’être vue refuser les universités de Paris-Saclay, de Nanterre et de la Sorbonne, la parisienne porte un regard assez critique sur ses années en licence : « je suis littéralement en train de regretter mes trois dernières années, parce que je me dis que j’aurais tellement dû partir à l’étranger me faire trois ans en Bachelor (équivalent britannique de la Licence) puis revenir en France passer des concours et faire une école de commerce », concède-t-elle, amère. Elle poursuit : « Là au moins avec les concours d’entrées il y aurait eu une vraie sélection, là ce qu’on vit aujourd’hui c’est pas une sélection, c’est un bordel sans nom ! ».

A l’instar de Jade, Lauryn ne s’était pas réellement inquiétée pour son avenir après l’entrée en vigueur de la loi de 2016. La valenciennoise avait rejoint une licence en administration économique et sociale après l’obtention de son bac, un choix somme toute logique selon elle. « Au lycée j’avais fait un bac ES avec la section internationale britannique donc j’avais un bon niveau d’anglais. Mais je voulais lier l’anglais et l’économie donc la licence A.E.S était parfaite pour moi, surtout qu’elle était assez généraliste. » détaille-t-elle.

Une partie de moi me dit ‘Vas-y continue !’ et l’autre qui me dit ‘J’en peux plus’ et vraiment là je n’en peux plus

Le cursus lui a donc permis la découverte de certaines matières dont le marketing pour lequel elle développe une certaine appétence. La nordiste poursuit ses études avec succès sans se soucier des bouleversements de la réforme à venir : « la réforme j’en pensais rien puis de toute façon j’étais même pas au courant ! Après je ne me faisais pas non plus trop de soucis parce que j’avais un bon dossier, puis même par rapport à Parcousup j’avais pas eu trop de problèmes donc ça me faisait pas plus peur que ça honnêtement » .

Et pourtant malgré un dossier plus qu’honorable et un stage où ses ambitions d’exercer dans le marketing s’en trouveront plus que renforcées, les espoirs de Master pour la jeune femme se fracassent aux portes de ses voeux : « Je visais un master à l’I.A.E de Lille (Institut d’administration des entreprises) de marketing ‘buisness to buisness’ parce que j’ai un bon niveau en langue. »

La lassitude face à la notation, au ministère, après une année compliquée

Vous l’aurez compris Lauryn ne rejoindra pas Lille l’an prochain à son grand regret, elle qui avait pourtant surnagé dans cette année où bon nombre d’étudiants ont lâché, exprime aujourd’hui sa lassitude : « Au début j’avais envie de me battre, je me suis battue pour avoir ma licence pour au final finir avec rien… J’ai la flemme en fait, j’en ai marre. Une partie de moi me dit ‘Vas-y continue !’ et l’autre qui me dit ‘J’en peux plus’ et vraiment là je n’en peux plus. J’en ai marre et je comprends pas cette sélection », lâche-t-elle avec un sentiment d’impuissance.

Loin de cette situation dramatique, Margot n’en reste pas moins insensible à ce qu’il se passe en France. Actuellement en stage à Barcelone depuis mars, l’étudiante en langues étrangères appliquées s’est fendue d’un tweet relayé massivement qui résume assez bien sa situation et celle de milliers d’autres :

Elle s’en explique : « Les professeurs… un scandale. Ils s’en moquent, disent que c’est faux, que nous sommes notés à notre juste valeur. Alors je ne plains pas, j’ai déjà eu un 20/20 ou un 15/20, c’est arrivé une fois en trois ans car j’avais des professeurs compétents qui existent bel et bien, mais la majorité sont comme mon tweet que j’ai fait ». Celle qui envisage de rester du côté de la Catalogne à la fin de son stage, contrainte par les refus de ses candidatures, n’en reste pas moins consciente de sa chance : « Je prévois de rester à Barcelone où je vis actuellement depuis mars (en stage de mars à juin) donc j’y reste tout l’été. J’ai trouvé un travail et je compte aussi postuler en master là-bas. Donc avec un plan B à Barcelone, je le vis bien, mais d’autres n’ont pas cette chance. » 

Quand la fac a fermé on est passés en total distanciel mais on a passé les partiels en présentiel, autant dire que les résultats n’ont absolument pas suivi.

Alors le bien-fondé de cette loi pose aujourd’hui question chez les étudiant·e·s. Cette réforme qui pousse certains étudiant·e·s à revoir toutes leurs perspectives d’avenir à la baisse et qui engendre des choix d’orientation par défaut chez d’autres semble très loin des ambitions novatrices qu’elle semblait vouloir atteindre. « La réforme aurait été bonne si elle avait été prise dans l’intérêt de l’Université au sens noble, dans l’intérêt de l’enseignement supérieur en tant qu’ambition et pas en tant que budget, et évidemment si elle avait été prise dans l’intérêt des étudiants », estime Rémy Dandan.

Selon lui : «Les conséquences de cette réforme sont désastreuses, et que le bénéfice de la réforme pour les étudiants est nul. Si les professeurs et les étudiants la dénoncent, c’est qu’elle n’est pas légitime. L’enseignement n’est pas une dépense, c’est une richesse. » 

Aussi, n’oublions pas que Lauryn, Fleur, Jade et Margot et les étudiant·e·s sortent d’une année, disons-le, désastreuse en raison notamment des cours en distanciel comme le raconte Jade : « Les cours à distances, je crois que tu me paies je le refais pas ! J’ai tellement galéré dans mes révisions que je n’avais plus d’envie ». Lauryn continue : « Quand la fac a fermé on est passés en total distanciel mais on a passé les partiels en présentiel, autant dire que les résultats n’ont absolument pas suivi. J’avais l’impression qu’on nous demandait l’impossible : suivre des cours de 3h sur son ordi puis même de rester 6h sur son ordi c’était impossible mais vraiment impossible », martèle-t-elle.

Chercher à économiser sur la qualité de l’offre étudiante, c’est brader notre avenir

« Alors imaginez ces étudiants, qui après tant d’efforts, voient leur année sanctionnée par un refus d’admission en Master, avec des réponses qui saluent leur bon niveau, et qui en même temps invoquent et dénoncent un manque de de capacité d’accueil synonyme de manque d’investissement du Ministère dans l’avenir du pays. Dans certains Master les taux d’acceptation sont de l’ordre de 5 % », conclut le professeur le professeur de droit Remy Dandan.

Ajouté à cette organisation bancale un sentiment d’abandon du gouvernement et plus particulièrement de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement Supérieur dont l’inaction et le silence sur la situation actuelle sont encore pointée du doigt.

Toutes et tous attendent des actes de ce gouvernement, Rémy également : « Si le gouvernement arrête de croire en sa jeunesse, qu’il ne s’étonne pas de la voir partir, elle et son talent. Les étudiants d’aujourd’hui composeront la France de demain. L’avenir on mise dessus, on y investit. Pour que la France de demain soit prospère, il faut miser et investir sur l’avenir. Chercher à économiser sur la qualité de l’offre étudiante, c’est brader notre avenir », exprime-t-il.

Alors vers qui se tourner ? Peu de solution pour nos étudiantes interrogées, certaines trouvent de l’appui et du soutien auprès de leur professeur à l’image de Jade : « Nos professeurs nous en parlaient en amphi, et les chargés de TD aussi. Ils ont tous le même regard là-dessus c’est une catastrophe cette réforme ! ». Rémy Dandan doit également faire face à des étudiants qui désespèrent de jour en jour.

Un mot revient souvent à la bouche des étudiant·e·s déspéré·e·s : « le recours ». C’est d’ailleurs ce qu’a tenté Lauryn sans vraiment trop y croire : « Honnêtement je suis un peu perdue, j’ai utilisé la voie du rectorat mais vu qu’il y a 50 000 critères je suis même pas sûre que mon dossier soit accepté. Le rectorat ne me donnera une réponse que fin août si jamais mon dossier est accepté mais en attendant je sais pas quoi faire ». « C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 », déclarait l’an dernier Emmanuel Macron, être étudiant en 2021 semble l’être davantage.

Félix Mubenga 

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