À la rentrée 2022, le ministère de l’Éducation nationale met en place le programme PHARE, un plan de prévention du harcèlement à destination des écoles, des collèges et des lycées. Ce programme vise à lutter contre le harcèlement scolaire de manière active en impliquant élèves, professeurs, personnels des établissements (infirmières, psychologues) et parents.

Pourtant, Sabrina et Sophie, enseignantes dans deux collèges de Seine-Saint-Denis, affirment que PHARE n’a pas encore été mis en place dans leur établissement. Diverses initiatives ont été adoptées par leurs collèges respectifs pour lutter contre le harcèlement, impliquant la vie scolaire, les CPE et les infirmières. Des actions de sensibilisation ont été réalisées, telles que des affichages, des messages de soutien (voir photo), en impliquant les élèves.

Certains jeunes, appelés sentinelles (bien que dans le programme PHARE le nom soit identique, ceci relève bien d’une mesure prise par les collèges), ont été formés pour détecter les cas de harcèlement. Mais, selon les enseignantes, ça n’a pas été très concluant. L’efficacité de la médiation dépend souvent du profil des élèves chargés de repérer les cas de harcèlement. En cas de moqueries répétées ou de bagarres, la vie scolaire intervient pour gérer la situation et déterminer s’il s’agit d’une dispute ou de harcèlement.

Un gouvernement plus dans la réaction que dans l’action

Mi-juin, suite au décès de Lindsay, le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, annonce la mise en place d’« une heure contre le harcèlement scolaire » dans tous les collèges de France. Dans son établissement, Sophie toujours pas reçu de directive claire pour la mise en place de cette heure dédiée. Dans le collège de Sabrina, « elle a été ajoutée dans l’emploi du temps. »

Lancer ça en fin d’année, n’a aucun sens

Si Sophie considère que cette heure de sensibilisation est une façon pour le ministre de montrer sa prise de conscience face au problème, elle estime que « lancer ça en fin d’année, n’a aucun sens. »

« On a des élèves en voyage scolaire, explique-t-elle. Il y a des conseils de classes qui sont déjà passés, des examens en cours. Ce n’est pas du tout une bonne idée de lancer ça en fin d’année. » Pour elle, il faut s’emparer du problème « à la rentrée et tout de suite mettre les choses au clair. »

Le harcèlement scolaire à l’ère des réseaux sociaux

À l’ère des réseaux sociaux, un nombre infini de vidéos, messages et témoignages pullulent. « Il y a une responsabilité des parents par rapport aux réseaux sociaux. Comment ça se fait qu’un gamin, à 12 -13 ans, ait un portable, qu’il soit déjà sur Facebook. Je m’inquiète de voir comment ils contrôlent », explique Sabrina.

L’existence du harcèlement scolaire en tant que tel est probablement aussi vieille que l’école. Mais, aujourd’hui, le calvaire s’étend en dehors des établissements. « Oui, il est passé à un autre niveau à cause des réseaux sociaux… Le harcèlement peut commencer sur les réseaux sociaux et se propager à l’école. Ça prend davantage d’ampleur parce que c’est plus continu », s’inquiète Sabrina.

Sur les réseaux sociaux, les harceleurs se sentent tout-puissants

De son côté, Sophie estime que « sur les réseaux sociaux, les harceleurs se sentent tout-puissants », parce qu’ils peuvent continuer en dehors du cadre scolaire et échapper plus facilement à la vigilance des équipes éducatives. « Il y a une responsabilité de la société dans son ensemble, il faut que tout le monde s’empare de ce problème et arrête de faire comme si ça n’existait pas », assène-t-elle. Pour elle, l’évolution de la lutte contre le harcèlement scolaire est trop lente. « Les réseaux sociaux sont beaucoup plus rapides que la loi. » 

Toutes deux insistent sur l’ampleur du phénomène. « Les élèves, pour la plupart, ne savent pas ce qu’est le harcèlement, déplore Sophie. Ils pensent que c’est quand on se tape dessus. Mais, il y a du harcèlement verbal, du harcèlement moral, du harcèlement psychologique… Il ne faut jamais laisser passer une critique, une méchanceté. »

Un manque d’investissement de la part de l’État

En ce qui concerne l’efficacité des mesures dans son établissement, Sabrina affirme qu’elles portent leurs fruits. « Nous, on les a déjà sensibilisés. Ça fait 3 – 4 ans qu’on en parle assez régulièrement. »

Pour Sophie, les choses sont bien différentes, elle attend toujours les effets concrets du programme PHARE sur le terrain. « Le harcèlement, c’est comme si c’était tabou, tellement c’est peu pris en charge par le ministère. C’est un problème récurrent, mais avec les réseaux sociaux ça devient gravissime. C’est quasiment de la non-assistance à personne en danger. » 

On aimerait avoir davantage de moyens, de psychologues, de gens chez qui les élèves peuvent frapper 

En tant que professeurs en Seine-Saint-Denis (93), département dans lequel 62 % des établissements sont en REP (réseau d’éducation prioritaire) ou REP +, Sabrina et Sophie pointent un manque d’investissements de la part de l’État. « On aimerait avoir davantage de moyens, de psychologues, de gens chez qui les élèves peuvent frapper. »

En termes de solution, la balle est dans le camp de l’État, même si les deux enseignantes proposent des pistes. « Il faut absolument intégrer les élèves à l’ensemble des solutions qu’on pourrait mettre en place, parce que ce sont les premiers concernés », affirme Sophie. « Je ne pense pas que c’est l’école le problème, c’est même un lieu où l’on peut trouver des solutions », confirme Sabrina.

Salimou Danfakha et Thidiane Louisfert 

Articles liés