Des berlines allemandes aux vitres teintées. De jeunes têtes blondes qui s’y engouffrent. Des adolescents faisant démarrer difficilement leur moto dernier cri. Bienvenue dans l’un des 43 établissements privés de Seine-Saint-Denis. A une époque où l’école publique française est régulièrement décriée et stigmatisée, les institutions privées sont souvent considérées comme les derniers remparts d’une éducation synonyme de réussite et d’efficacité. Efficacité dans les grands examens permettant une entrée « au tapis rouge » dans les grandes écoles si prisées par les familles des classes moyennes françaises. Pour parvenir à cet objectif, ces familles ne lésinent pas sur les moyens et délèguent leur confiance aux écoles privées. Pourtant, cette confiance peut paraître comme étant souvent aveugle.

L’école privée est  logée à la même enseigne que ses consœurs du public : celle des mêmes coupes budgétaires de la part de l’État, renforçant notamment la difficulté de renouvellement du corps enseignant.

Dans cet établissement, cette carence en enseignants est comblée depuis de nombreuses années par le recrutement de ce que l’on nomme des délégués auxiliaires. Ceux-ci sont encore la plupart du temps en fin d’études avec uniquement le diplôme minimal requis pour enseigner, à savoir la licence ou le Master avec la nouvelle réforme en vigueur depuis deux ans. Un délégué auxiliaire nommé A.M. m’expliquait son entretien d’embauche : « Comme pour tout emploi, j’avais envoyé mon CV et ma lettre de motivation. J’avais reçu un coup de fil le lendemain de la part de la secrétaire du directeur. Elle me donna rendez-vous l’après-midi même. Le directeur m’a accueilli en me proposant mon emploi du temps. Il m’a juste demandé si l’emploi du temps me convenait. J’ai répondu par l’affirmative et je me retrouvais le lendemain devant une trentaine d’élèves sans manuel, sans formation, sans rien ! A partir du moment où le poste est à pourvoir, ils recrutent le premier arrivant. Le directeur ne m’a posé aucune question de connaissances ou de méthodes alors que je m’étais préparé au préalable. C’était hallucinant ! Je me demandais où j’avais débarqué et pour moi, c’était une chance unique. Enfin, c’est ce que je pensais…»

Réputé pour son enseignement de haut niveau et un taux maximal de réussite au baccalauréat, l’établissement en question ne se vante pas de ces méthodes de recrutement quelque peu « légères ». Ainsi, les enseignants ne doivent absolument pas indiquer leur parcours et surtout ne mentionner sous aucun prétexte qu’ils n’ont pas obtenu le précieux diplôme du CAFEP équivalent du CAPES pour le privé.

Ce mensonge généralisé devient nécessaire pour ne pas mettre à mal la réputation d’excellence qui pourrait être ternie par la présence d’enseignants non diplômés. De plus, ces mêmes enseignants se voient confier de nombreuses responsabilités auxquelles ils semblent peu préparés comme le confirme ce même délégué auxiliaire : « Lors de ma première année, j’ai été professeur principal d’une classe de seconde. Je devais gérer des éléments aussi difficiles que l’orientation avec des filières que je ne connaissais absolument pas. En plus, l’établissement avait  des consignes très strictes car il fallait limiter le nombre d’élèves en classe scientifique afin d’éviter la surcharge des classes. Les parents pensent souvent que dans le privé, ils vont trouver des classes avec 17-18 élèves. C’est de moins en moins le cas dans le privé. Les bâtiments sont trop exigus et la demande de plus en plus forte.»

La moyenne d’élèves par classe est en effet de 33 élèves au collège pour s’accentuer à plus de 40 élèves au sein des fameuses premières S si convoitées. En outre, un autre enseignant décrit des conditions de travail rendues difficiles par le manque de matériel notamment dans les matières scientifiques avec seulement deux salles de laboratoires servant pour la physique-chimie et les sciences de la vie et de la terre (SVT) : « C’est une catastrophe ! Avec les classes toujours plus surchargées, je ne peux plus assurer une préparation au Bac idéale. Les élèves sont trop nombreux, doivent se partager le matériel et quelquefois n’arrivent pas à effectuer les manipulations dans l’heure qui est impartie. Pour le Bac, cela aura des répercussions néfastes. » Une autre enseignante en éducation physique et sportive met également en lumière le manque d’installations dont elle dispose : « Sous prétexte qu’il est privé, notre établissement n’est pas prioritaire pour récupérer les gymnases et autres terrains de sports de la ville. Ainsi, nous passons toujours en dernier derrière les écoles publiques. Dans notre matière, l’école privée a toujours été le parent pauvre ! Nous n’avons pas de vestiaires, pas de terrain interne à l’école ; les élèves sont obligés d’aller au gymnase en bus avec leurs propres moyens. Les conditions sont difficiles, je plains les élèves. Quand je pense qu’ils payent pour ça !»

Cela semble d’autant plus difficile à admettre pour les enseignants que cet établissement a réalisé cet été des investissements onéreux avec l’achat de huit Tableaux Numériques Interactifs d’une célèbre marque japonaise coûtant chacun plus de 5000 euros ainsi qu’une cinquantaine de tablettes graphiques disponibles pour tous les enseignants au sein de la salle des professeurs représentant un investissement de plus de 60 000 euros. Ainsi, ce type d’investissements semble correspondre à une logique tape-à-l’œil susceptible de plaire et de correspondre aux demandes des parents. Une déléguée auxiliaire d’anglais M.C. nous fait comprendre le manque de pertinence caractérisant selon elle cette forte dépense : « Je peux comprendre la direction dans leurs investissements, ils veulent paraître modernes aux yeux des parents. Eux aussi ont une part de responsabilité mais le problème c’est qu’ils ne pensent pas à la gestion de ces outils au quotidien pour nous. Par exemple, la tablette graphique ne sert pas à grand-chose dans notre métier : l’accès à Internet y est limité. Nous  ne pouvons pas y chercher des documents de façon efficace ni même organiser des cours. La plupart du temps, ces tablettes sont utilisées pour des recherches personnelles. Donc, on pourrait tout de même très bien s’en passer. Quant aux Tableaux Numériques Interactifs, ils sont difficiles d’utilisation et peu utiles dans mon cours. La plupart des collègues ne les utilisent même pas ! On aurait besoin d’un matériel plus basique mais du coup, les parents penseraient qu’on n’investirait pas pour leurs enfants.» À suivre.

Martin Boglie

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