Auteur de nombreux ouvrages sur l’égalité filles garçons et ancien directeur de l’Iufm, Jean-Louis Auduc revient sur la polémique et l’amalgame autour de la théorie du genre qui s’est invitée à l’école primaire. 

La récente rumeur autour d’une théorie du genre enseignée dans les écoles a fait couler beaucoup d’encre. Au cœur de ce débat, de nombreuses questions ont agité intellectuels, politiques, parents d’élèves, écoles et familles. Depuis une vingtaine d’années, Jean-Louis Auduc travaille sur les origines de l’échec scolaire, dans son livre SOS les garçons, il avance : « l’échec scolaire a un sexe » et il est masculin ! Les causes sont de trois ordres : l’entrée dans le métier d’élève, l’absence de rite de sortie de l’enfance pour les garçons et enfin l’absence de référent masculin du à la montée en flèche des familles monoparentales, homoparentales et recomposées. Selon lui, pour résorber le problème des inégalités filles garçons, « il faut pousser filles et garçons au-delà de leurs potentialités ». Eclairage par Jean-Louis Auduc, agrégé d’histoire et ancien directeur d’IUFM, spécialiste de la question des inégalités filles garçons.

Bondy Blog : Que pensez vous des ABCD de l’égalité ?

Jean-Luc Auduc : En fait, si on veut combattre pour l’égalité, le principal enjeu c’est l’enjeu du stage de troisième, si vous le laissez à la liberté de l’élève ce qui est le cas actuellement, c’est une aberration ! On fait des ABCD de l’égalité et on laisse l’élève seul devant le stage de 3ème : alors oui il est évident que la fille a des tas de métiers visibles devant elle (magistrat, médecin, pharmacien, vétérinaire…) tandis que le garçon, pour lui, tous les métiers sont invisibles sauf le policier. En fait, à partir du moment où un métier se féminise il devient un modèle pour les filles et elles vont s’y développer et il y a une reproduction, l’exemple le plus frappant ces cinq dernières années c’est le métier d’architecte qui s’est ultra féminisé ! Une des critiques que je formule à l’égard des ABCD de l’égalité, c’est que l’on dit à la fille : « tu peux être aviatrice et ingénieure » et au garçon « aide-soignant » sans lui présenter les métiers qualifiés et aujourd’hui les plus féminisés en termes de flux que sont les métiers d’avocats, de magistrats, où on est entre 85% et 90% de filles. Moi j’aimerai qu’on dise aux garçons, vous pouvez être magistrat, chirurgien, dentiste etc, tous ces métiers que l’on rencontre dans l’espace commun.

Au cœur de la polémique sur l’enseignement d’une éventuelle théorie du genre à l’école, plusieurs questions ont été soulevées notamment sur l’existence à proprement parler d’une telle théorie sur le genre ? 

Alors il y a des études sur le genre mais il y’a aussi des Prosper Enfantin au XIXe siècle, des théoriciennes américaines au XXe qui pensent qu’on peut indifférencier filles et garçons, que l’on pourrait créer dès l’enfance un homme nouveau. Je suis contre la théorie du genre, contre le fait de penser qu’on peut façonner un être indifférencié. Moi je me bats depuis des années pour dire que le Concile de Chalcédoine de 394 qui a déterminé qu’existait des anges sans sexe est terminé ![rires]. Alors oui, il y a des hommes et des femmes qui se construisent avec des différences biologiques mais aussi des différences dues à leur environnement. J’ai très peur d’un monde d’ici 20 ans où tout ceux qui s’occupe de l’humain seront des femmes, tous les métiers ultra-techniques seront l’apanage des hommes. L’enjeu, c’est de pousser filles et garçons, chacun avec leurs caractéristiques, le plus loin possible dans leur potentialités et de se séparer des assignations à résidence créées par la position sociale, par l’ensemble des médias

Pour moi, ce n’est pas une théorie à vocation égalitaire, c’est une utopie permanente dans toutes les sociétés de vouloir créer un homme nouveau, ou une femme nouvelle, ou un être n’ayant pas de sexe mais elle est vouée à l’échec alors ne lui accordons pas d’importance ! On ne combat pas l’égalité en niant les différences biologiques puisque l’enjeu c’est que les différences sociales soient abattues mais ça c’est beaucoup plus compliqué, c’est pas de l’utopie.

Est-ce-que que le débat sur cette supposée volonté du gouvernement de faire entrer la théorie du genre dans les écoles est un mythe, de la manipulation de ceux qui le prétendent ?

La théorie du genre, on la doit à Jules Ferry qui indifférenciait l’élève en ne reconnaissant pas les garçons et les filles. Mais en France, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne un certain nombre de ceux qui ont été passionné par les utopies américaines ont dit : il n’y a ni hommes, ni femmes, on l’a vu dans le mouvement homosexuel et transsexuel. Cette utopie américaine d’indifférenciation et de création des sexes a trouvé un public dans des mouvements très minoritaires visant au changement de sexe, mouvement transsexuel. Ils se sont présentés comme l’avant-garde de notre société sans sexe indifférencié. D’une certaine manière, la visibilité des transsexuels, des drag queens, ou travestis, a donné à penser. Ils se sont beaucoup exprimés à l’occasion du mariage pour tous. Pour ma part, je ne crois pas à la construction d’un homme dont on éliminerait les données biologiques.

Mais est ce que le gouvernement a essayé de faire entrer tout ça dans les programmes de l’éducation nationale ou est-ce un fantasme ? 

Les programmes des ABCD de l’égalité n’ont aucun rapport avec la théorie du genre puisqu’ils ne sont pas sur l’indifférenciation, ils sont sur le combat de ce qui s’appelle les stéréotypes. Quand on parle d’un stéréotype, c’est vraiment une création sociale, ce n’est pas une création biologique.

Il y a donc un amalgame qui est fait ?

Oui et cela vient de trois éléments : premièrement nous avons connu en France une indifférenciation c’est-à-dire que nous parlons de l’élève, on parle du jeune et non de filles ou de garçons. Deuxième élément, en France, la mixité fille garçon est une coutume et non une obligation scolaire. Notre système éducatif n’est pas une culture de bon travail sur la question car comme le dit le rapport de l’Inspection générale remis à Monsieur Peillon en septembre 2013, le défaut français, est que nous n’avons pas pensé la mixité. Troisièmement, les enseignants n’ont jamais appris a communiquer avec les familles y compris sur les points chauds. Sur ces questions du sexe garçon-fille, on est à la limite entre le public et l’intime et l’enseignant à l’heure actuelle et notre société de Facebook et de Twitter n’a pas assez travaillé sur cette séparation entre le public et l’intime.

Est-ce que les ABCD de l’égalité sont une infiltration dans l’éducation des parents ?

Non les ABCD de l’égalité, c’est je dirai un excellent objectif mais c’est une pédagogie qui pour moi est critiquable.

Pourquoi c’est un dispositif pédagogique critiquable ?

Il y a trois grandes critiques que je fais sur les ABCD de l’égalité. Premièrement, elle prétend combattre les stéréotypes mais elle en rajoute sur l’identification. Je vous invite à consulter le site, il n’y a que des femmes qui interviennent, par rapport à l’assignation à résidence, les seules compétentes dans l’éducation des enfants sont les femmes puisqu’il n’y a aucun homme qui intervient, tous les textes concernent les femmes ; il n’y a pas un texte sur l’échec scolaire masculin, les difficultés de lecture des garçons.

Deuxième élément, je pense que ça ne développe pas les potentialités de chacun parce que comme je le disais, l’enjeu ce n’est pas d’assigner des métiers qualifiés aux filles et déqualifiés aux garçons. Il y a un aspect revanche qui ne va pas dans le sens de l’égalité, il faut leur montrer les métiers valorisants (profs, conservateurs du patrimoine…) qui sont aujourd’hui des métiers ultra féminisés. L’enjeu ce n’est pas de dire aux garçons, vous pouvez faire un CAP, c’est de pousser filles et garçons le plus loin possible dans leurs possibilités.

Troisièmement, il y’a pas d’articulation avec l’apprentissage de la lecture. Les ABCD de l’égalité devraient être totalement liés à un travail de pédagogie différenciée garçons filles car nous avons un échec scolaire masculin important et des filles en réussites. Le non traitement de la réussite scolaire des garçons les amènent à recourir à des rites de transgression (violence, harcèlement sexuel vis-à-vis des femmes…) pour montrer que ce sont des mecs comme il n’y a pas de rites de sorties de l’enfance. Donc je suis pour l’égalité mais pour y insérer de la pédagogie différenciée. Vous savez, je crois, comme pour la laicité, à la pratique de l’égalité dans la classe. On pourrait faire ça dans l’apprentissage de la lecture, dans l’apprentissage des maths, dans le travail sportif et tout.

Quand le ministre de l’Education dit vouloir : « Déconstruire la complémentarité des sexes », c’est un peu du charabia, qu’en pensez-vous ?

Pour moi agir pour l’égalité c’est pousser le plus loin les potentialités de chaque personne donc je me place dans une situation de liberté, d’égalité, de fraternité donc la notion de complément ne me plait pas, par contre je récuse la notion de complément. Je suis pour l’égalité des possibles plutôt que l’égalité des chances parce que c’est une situation dans laquelle je dis aux uns de courir un 100 mètres et aux autres de courir un 110 m haie. L’égalité des possibles c’est justement enlever les barrières à l’école.

Les politiques devraient simplifier les expressions employées a cet égard ?

J’aime bien les expressions très simples. Pour moi déconstruire le complément, plus simplement, ça veut dire que chacun doit avoir les mêmes possibles dans une situation différenciée rapport au milieu social ou par rapport au sexe. Ca, c’est un charabia des sociologues si on veut faire peur aux familles. Comme disait l’ami Boileau : « ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement… ».

Mais autour de l’hystérie déclenchée par des personnalités comme Farida Belghoul, Alain Soral, il y’a quand même eu un absentéisme important dans les écoles à cause de cette rumeur diffusée par textos, est ce de la désinformation, de la manipulation ?

J’ai lu les Sms. La leçon que j’en tire c’est que nous avons une école qui ne vulgarise pas ce qu’elle est, on ne présente pas les programmes aux parents. Mais on reste quelques fous à dire : « il faut vulgariser ». Nous avons une école qui est un délit d’initiés ! Sur cette question d’égalité hommes femmes elle est traitée de trois manières : elle est traitée en primaire avec les ABCD de l’égalité, en collège en éducation civique et en première à la fois en SVT et ce qu’on appelle l’éducation civique juridique et sociale. En France nous faisons partie de ces pays où l’on ne peut pas, sur la question des femmes, par exemple, présenter une brochure de quatre pages, simple, pour les parents en disant voilà ce que l’on fait en élémentaire, au collège et lycée.

Les parents ne sont pas mis au courant de ce qui passe a l’intérieur des salles de classes et pour vous l’origine de l’hystérie provient d’un manque de transparence sur ce qu’il se passe à l’école ?

Madame Farida Belghoul a sorti des textes concernant les élèves de première sur les questionnements en éducation civique, sur l’orientation sexuelle en disant aux parents qu’il s’agissait des programmes de l’éducation nationale. Alors oui, ce sont les programmes de l’éducation, mais elle a oublié de dire que ce n’était pas les programmes d’élémentaire ou de maternelle mais des programmes de première. Moi j’aimerais que dans l’enseignement de toutes les matières, du français, des maths de la physique, on dise : voila ce qu’on fait en primaire, en collège, en lycée. Et bien entendu que l’on aborde des questions sur l’orientation sexuelle, sur le couple différemment quand les élèves sont majeurs ou quand ils ont 6 ans. Vous voyez bien ce qu’il s’est passé avec l’Education nationale, si elle avait mieux communiqué, et pas seulement en disant que c’était faux…

Donc en fait ce qu’elle a sorti comme documents ne s’adressait pas aux maternelles mais bien aux lycéens ? C’est de la désinformation…

Il ne s’adressait pas aux maternelles, elle l’a d’ailleurs reconnu dans un débat. En fait, elle profite du vide sidéral de l’Education nationale pour communiquer. Moi je suis extrêmement critique sur le fait que l’on ait une Education nationale qui ne sache pas communiquer.

Donc sur les ABCD de l’égalité il y aurait du avoir plus de transparence ?

La responsabilité de l’enseignant c’est de donner le plan de vol aux parents, ils sont aussi paniqués que moi par rapport a l’école. Ce qu’on a vu à l’occasion des ABCD de l’égalité, comme les enseignants n’avaient pas donné le plan de vol ,il a suffit d’un bruit pour que l’ont soient paniqués. Donc la meilleure des solutions est de donner aux parents le plan de vol de ce qu’on va faire.

C’est peut être un mal pour un bien cette hystérie…

C’est ce que j’ai essayé de dire au ministre. Je n’en sais rien (rires).

Vous trouvez que les ABCD de l’égalité ont un excellent objectif mais que la pédagogie s’avère contre productive. A votre avis, comment combattre ces inégalités, faut il déconstruire les stéréotypes à l’école ou cela se joue ailleurs ?

Je crois que l’école donne des repères mais elle est dans une situation de coéducation avec la famille. L’école doit donner des faits, s’avancer sur un terrain solide qui sont les faits de la science, transmettre des valeurs universelles que les parents ne pourront remettre en question. Mais il ne suffit pas de dire « Egalité » pour qu’elle soit réelle. Pendant 150 ans, la République a dit égalité, suffrage universel et les femmes n’avait pas le droit de vote ! (rires) En revanche, le jardin secret de leur éducation, je n’ai pas à y pénétrer. A l’heure où nos hommes politiques mélangent tout entre public et intime et où nos élèves oublient leur intime sur Facebook, Twitter et c’est une bonne question à aborder…

Finalement, il y a une limite à ne pas dépasser dans la transmission de valeurs ?

Considérer qu’un homme et une femme sont égaux, pour moi c’est une digue. Le racisme c’est pas une opinion c’est un délit donc il y a des digues. Mais sur l’application des digues, la manière dont je vais le vivre je vais pas effectivement aller regarder si c’est la fille qui passe toujours l’aspirateur où si c’est le garçon qui le passe. Je ne pénètre pas dans les chambres à coucher.

L’école doit jouer un rôle dans la transmission de valeurs, quel est rôle de la famille ?

Le rôle de l’école est de construire un futur commun collectif mais en tenant compte de la diversité des personnes et de leurs racines c’est pour cela que je suis aussi bien contre l’assimilation et l’indifférenciation. Le problème est qu’aujourd’hui il n’y a plus la famille, il y a les familles et un certain nombre de familles sont plus démunies vis-à-vis de leurs enfants c’est-à-dire que vous avez avec la famille recomposée, monoparentale et cela va accentuer l’absence de référent masculin.

Et cela joue-t-il un rôle dans les inégalités hommes femmes ?

Ah oui énormément. Parce que cela identifie la mère à l’éducation. Je crois qu’aujourd’hui il faut tenir compte aussi que nous avons des familles qui ne sont pas semblables donc de ce point de vue, l’enseignant n’a pas à porter de jugement sur telle ou telle famille, mais doit prendre des précautions. Moi j’ai fait un travail avec les familles d’enfants adoptés j’ai vu des choses effrayantes faites par des enseignants. Comme le garçon d’origine asiatique à qui l’on demandait de raconter son pays alors qu’il avait été adopté à l’âge de 6 mois en France…

Comment résumer le processus à suivre pour réduire ces inégalités hommes-femmes ? Quelle(s) solution(s) peut-on y apporter ?

Pousser au plus loin possible de leurs potentialités les garçons et les filles pour qu’ils ne soient pas assignés à résidence, à une fonction spéciale, précise, qu’ils puissent avoir de l’espoir dans le futur sans rien s’interdire. Ce qui est la garantie d’un vivre ensemble harmonieux où ils partagent ensemble notre société. Aujourd’hui on a un partage inégalitaire, il faut tendre à plus d’égalité dans le partage dans la vie professionnelle, familiale, homme femme. L’école ne peut pas tout faire toute seule si la société dans son ensemble ne construit pas ça et je pense qu’il y a la famille car c’est le noyau, il y a l’école et toute la société. On a tort de découper le gamin en tranches de salami : la tranche où il est à l’école, au club sportif. A l’heure des municipales, c’est un beau projet éducatif territorial que celui de l’égalité homme femme, car on retrouve les assignations à résidence dans les jeux qu’on propose dans les centres de loisirs…

Les médias ont il un rôle à jouer dans tout ça ?

Bien évidemment, il faudrait éviter que l’éducation à l’affection ce soit L’île de la tentation ou Les chtis à Cancun. Je pense que la téléréalité a fait beaucoup de mal sur cette question des rôles, en considérant les personnes comme des objets. Pour moi c’est une dérive aussi forte que l’indifférenciation que de réduire des personnes à des objets. Je crois que c’est un vrai enjeu dans la société, dans l’école, de reconnaître la personne dans ce qu’elle est.

Une égalité totale : utopie ou réalisable ?

Il faut toujours tendre vers un objectif, nous avons une société qui est une société d’espoir quand on voit les progrès en 30 ans, c’est prodigieux.

Myriam Boukhobza

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