Aymen élève en classe de 6e a la trouille quand il va au collège. La trouille que les grands de 4e le frappe comme ils ont l’habitude de taper sur les petits quand ils jouent. La trouille, surtout depuis cette bousculade involontaire dans les escaliers. Le garçon bousculé lui a d’abord fait des menaces de mort : « J’vais t tuer, on va t’niquer à la sortie, tvawoir jvé t’… » Ce jour-là, devant ses copains Aymen a riposté d’un« bande de putes », histoire de montrer qu’il n’avait pas peur. Mais depuis, il a peur de devoir se battre, du regard des autres, et des moqueries.
Il vit dans l’angoisse permanente de devoir se battre contre celui qui entend bien régler ça par les poings. Les menaces quand elles sont proférées de cette façon, sont à prendre très au sérieux, il le sait. Tout le monde le sait au collège. Le souci pour Aymen c’est que ce genre d’info fait le tour du collège en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Dans ces moments-là tout le monde s’en mêle. A l’heure de Facebook et des Sms illimités, Aymen se sent harcelé par des messages du genre : « tu dois pas te laisser faire, faut que tu le frappes… Il a dit que ta mère c’est une p… » Ça, c’est le soir à la maison, au collège ça reprend de plus belle dans la cour, en classe on lui fait bien comprendre que s’il ne se bat pas, on dira de lui qu’il est une tapette et il sera « victimisé » 24h/24h.
Il ne veut plus aller au collège de crainte de perdre la face devant les copains, car il refuse de se battre pour si peu contre un gars de 4e qui fait deux têtes de plus que lui. Mais le problème, c’est que tout le monde attend cette bagarre. Alors les réflexions vont bon train : « Tu vas te battre ce soir, tu vas pas t’laisser faire quand même ? » Ses camarades sont là pour le « chauffer », histoire que la pression ne se relâche surtout pas. « En général les bagarres sont un spectacle très apprécié des collégiens, les garçons et les filles se valent à ce niveau-là », souligne la mère d’Aymen, qui, depuis cette affaire, a entrepris toutes les démarches possibles pour retirer son fils du collège où l’ambiance ressemble parfois plus à celle des prisons dans lesquelles seule vaut la loi des plus forts.
Le harcèlement a continué des jours durant. Le garçon qui veut en découdre ne cesse d’intimider Aymen et il a essayé de le frapper dans la cour. Heureusement, cette fois-ci, un surveillant était là pour intervenir. Une autre fois, dans la cour, le garçon est revenu pour le frapper et tous les élèves se sont mis autour d’eux et hurlaient : « Allez, battez-vous comme des chiens ! » Ça hurlait pire que dans une arène. Là encore, un adulte est intervenu. Ce n’est qu’une question de temps pour Aymen. Il le sait, ses camarades le savent, ses parents le savent mais ne peuvent rien pour protéger leur fils.
Ce quotidien, Aymen n’en veut plus. Il n’arrive pas à s’intégrer. Toute sa vie, on lui a répété que le dialogue vaut mieux que la violence. Que l’on doit s’expliquer avec des mots. Mais apparemment, beaucoup de ses camarades de collège n’ont pas les mêmes codes que lui. Sa mère explique : « Ils sont encore trop enfants pour affronter ces gosses du même âge qui sont livrés à eux-mêmes, dans la rue. L’enfant le vit très mal et refuse de retourner au collège. Il se sent en insécurité dans un lieu censé le protéger. Pour lui, ils sont fous. »
Aymen a compris avec cette histoire qu’il ne pourra pas continuer à côtoyer des ados du même âge que lui, si différents et précoces, que ce soit au niveau de la violence, des mots ou même de la consommation de drogue ou d’alcool. C’est pourquoi il veut à tout prix aller dans un internat. Internat dans lequel il espère beaucoup. Un peu comme une dernière chance. Voici le courrier qu’il a joint à son dossier de candidature.
« Je vous envoie cette lettre car je voudrais vous dire que pour moi, c’est très important d’aller à l’internat car mon école qui est située près de chez moi est un collège très turbulent, je ne peux pas me concentrer en cours et je ne peux pas travailler sérieusement, ma classe est une classe qui n’est pas très bonne, qui a une moyenne basse mais moi, j’ai 12 de moyenne générale. Vous pourrez le constater dans mon dossier, je voudrais évoluer car je ne veux pas me retrouver au chômage quand je serai grand, j’aimerais vous dire que cela serait une chance que j’aimerais plus que tout au monde. Je vous remercie de prendre le temps de lire ma lettre. »
Un état d’esprit qui me fait instinctivement pensé à cette mélodie. En 1984, un chanteur nous en parlait.
Au premier trimestre, Jamila avait des bonnes notes et des encouragements de la part de ses professeurs. Elle recevait des félicitations et on lui promettait un bel avenir dans le domaine littéraire. Elle excellait en français. A partir du deuxième trimestre, ses notes ont commencé à baisser, et elle ne faisait plus ses devoirs. Ses affaires disparaissaient régulièrement : compas, stylos feutres, feuilles de classeurs, une fois la trousse complète, les livres scolaires… Il a fallu que la maman mette la pression sur l’élève concernée pour pouvoir au moins récupérer le livre acheté comptant à Gibert Jeune.
La petite Jamila, élève de 6e, rapporte souvent les évènements à sa mère. Elle lui raconte aussi que des filles de 3e s’en prennent aux petites de 6e, dont elle, en les rackettant et en leur faisant subir d’autres violences. « J’ai trouvé de nombreux messages sur le portable de ma fille qui m’ont fait vite comprendre que des élèves organisaient des bagarres en montant les enfants les uns contre les autres. »
Quel procédé utilisent-ils ? « Ils leur suffit tout simplement d’aller trouver une fille et de lui raconter qu’une autre fille l’a insultée dans son dos et qu’elle n’arrête pas de la critiquer, de dire par exemple qu’elle est « moche » ou bien encore « qu’elle se la pète ». » Entendant les insultes imaginaires, les deux filles en question s’envoient alors de réelles insultes et à partir de là une bagarre est organisée à l’extérieur de l’école afin de régler le problème au moyen de la violence devant un maximum de spectateurs. Bien sûr, tout le monde est informé et convié au spectacle. « La dernière fois, en une soirée, la petite a reçu 42 messages l’incitant à venir affronter celle qui l’a insultée ou bien elle serait traitée de tapette ou de baltringue. »
La maman de Jamila ne veut pas de cette vie pour sa fille car chaque problème fait monter sa tension à 17 et ronge sa santé à petit feu. Une situation très difficile pour cette mère qui a déjà élevé des enfants, grands aujourd’hui, et avec lesquels elle n’a jamais eu de tels soucis à l’école. Elle ne comprend pas comment les choses ont pu changer à ce point d’une génération à l’autre. « Pour lui sauver la vie, je préfère la mettre à l’internat quitte à ne plus la voir la semaine. On crèvera peut être de faim mais au moins elle ne deviendra pas une délinquante paumée. J’ai trouvé un collège privé à deux mille euros par an. »
Nadia Méhouri