Comment payer les frais de sa rentrée universitaire quand la bourse qui doit vous permettre de vivre n’est toujours pas arrivée ? Témoignages d’étudiants en pleine galère. 

Ce que vivent les étudiants dont j’ai recueilli les témoignages que vous vous apprêtez à lire, je le vis aussi. Je suis étudiante à l’université Paris VIII, en Master de communication et je n’ai toujours pas reçu ma bourse sur critères sociaux. « Elle est destinée à aider les étudiants issus des milieux les plus modestes« , informe le site internet du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. La bourse est calculée sur critères sociaux en fonction des ressources des parents, du nombre d’enfants à charge du foyer fiscal et de l’éloignement entre le domicile et le lieu d’étude. La répartition des bourses est effectuée sur 8 échelons au total, du 0 bis au 7. Pour venir en aide, faut-il encore que la bourse soit versée surtout à un moment où nous en avons le plus besoin : la rentrée universitaire.

J’ai cherché à savoir si je n’étais pas la seule dans cette galère. Et bien non et ce n’est pas rassurant car parfois les situations sont critiques pour certains étudiants. J’ai échangé avec Liza, Camilla, Assia*, Chan et Jade. Tous sont issus de milieux modestes voire très modestes et sont tous boursiers. Les 5 étudiants affirment avoir effectué leur demande de bourse en temps et en heure. Pourtant, aucun d’entre eux n’a reçu sa bourse au moment venu. Cette situation les handicape.

Assia, 18 ans, Meaux : « Je ne sais pas ce qui bloque. Tout ce que je sais, c’est que j’ai besoin de cet argent » 

Assia a 18 ans. Elle a décroché son bac ES (avec mention !) en juin dernier. Bondynoise d’origine, elle a récemment déménagé à Meaux pour suivre ses études. Acceptée en classe prépa ECT, économique et commerciale option technologique, elle se dit « fière » : « C’est exactement cette prépa que je visais ». Issue d’une fratrie de cinq enfants – un grand frère et trois petits en bas âge-, la jeune fille a grandi dans une famille aux origines sociales très modestes. Aujourd’hui, ses parents ne travaillent plus : atteint d’une maladie, son père a été contraint de s’arrêter. Quant à sa mère, elle est au chômage. Assia est boursière depuis ses années collège. Cette année, Assia est échelon 7. Elle devrait recevoir un total de  5551 euros sur 10 mois, soit une bourse mensuelle de 550 euros.

32 kilomètres séparent Bondy de Meaux. Pour éviter de perdre du temps et de l’énergie dans les transports, Assia a fait le choix d’intégrer l’internat de sa prépa. Si la formation en elle-même n’est pas payante, le logement l’est évidemment. « Je dois débourser entre 400 et 500 euros par trimestre, c’est calculé en fonction des revenus de chacun », renseigne Assia. En quittant le domicile familial, Assia s’était jurée de s’assumer toute seule : « Je ne voulais pas demander un seul centime à mes parents, je sais que ce n’est pas simple pour eux. Je suis grande maintenant, je veux prouver que je peux être indépendante ».

Assia comptait donc sur sa bourse pour payer son premier loyer : « J’avais prévu de payer le premier trimestre avec ma première bourse. Ensuite, j’aurais mangé des pâtes pendant 1 mois comme on dit, en attendant le prochain versement ». Sauf que bourse il n’y a pas eu. Elle affirme avoir pourtant envoyé sa demande au mois de mars dernier. «  J’ai bien suivi toutes les étapes, effectué la saisie en ligne de mon dossier social étudiant, je l’ai ensuite renvoyé par voie postale. On ne peut pas dire que je n’ai pas effectué mon inscription à temps puisque le lendemain des résultats du bac, je faisais la queue pour m’inscrire ». Son premier loyer a été avancé par son grand frère, lui-même étudiant en école de commerce. « Il a 23 ans, il n’a pas tellement les moyens mais il a limité ses sorties pour payer ce premier trimestre ». Ces sous, Assia a bien prévu de les lui rendre. « C’est un crédit, pas un cadeau. Dès que je perçois ma bourse, je lui fait un virement ». Nous sommes le 20 octobre, Assia n’a encore reçu aucun versement du CROUS (centre régional des œuvres universitaires et scolaires). « Comment est-ce que je vis la situation ? On s’adapte ! Il y a sûrement pire que moi. Au moins mon frère a pu m’aider et j’ai un toit sur la tête. La situation est pesante et très frustrante. Je ne sais pas ce qui bloque, je ne comprends pas. Tout ce que je sais, c’est que j’ai besoin de cet argent ». Travailler en attendant ? Impossible, nous répond Assia. « Le rythme de la prépa est hyper soutenu, je ne peux pas me permettre de travailler à côté. J’ai des colles et des devoirs sur table toutes les semaines. Mon temps libre je le passe à réviser ».

Chan-Sinclair Dam, 18 ans, Sevran : « Mes parents ne sont pas au courant de la situation, ils pensent que tout va bien mais ma situation est extrêmement urgente »

Chan-Sinclair Dam, Sevranaise, a elle aussi obtenu son bac l’an dernier au lycée Albert Schweitzer du Raincy. La voici acceptée en licence de droit et sciences politiques à l’Institut catholique de Paris, une formation coûteuse : 3 500 euros l’année. « Mes parents souhaitaient payer mes études supérieures mais je n’aime pas vraiment cette situation, ça met la pression ». Pour éviter d’en rajouter, Chan avait prévu d’assumer l’ensemble des frais annexes. « Tous les extras liés à la vie étudiante ! De ma carte Navigo à mes week-end d’intégration en passant par mes repas ». Parmi ces frais, il y avait le paiement de ses livres. « A chaque cours, les profs font référence aux livres recommandés en début d’année. Clairement, c’est essentiel de les avoir pour réviser et compléter les cours ». Au total, Chan a fait le calcul : elle devrait en avoir pour 200 euros de livres.

Chan est boursière échelon 0 bis. Sur 10 mois, elle devrait percevoir un total de 1 009 euros. Elle comptait sur ces premiers versements pour payer ces bouquins. « Si jusqu’ici je bricolais pour les cours, pour les devoirs, là ça devient urgent ! Les premiers galops d’essai arrivent à grands pas, pour les réussir il me faut ces livres. Je les ai donc achetés. Je suis aujourd’hui à découvert ». « Mes parents ne sont pas au courant de la situation, ils pensent que j’ai touché ma bourse et que tout va bien. Je ne veux pas les inquiéter », assure-t-elle.

Alors, tous les jours, Chan appelle le CROUS pour savoir où en est son décision et rappeler « à quel point la situation est extrêmement urgente« . Encore hier, Chan explique avoir passé 25 minutes au téléphone avec eux. « On attend d’abord 1 000 ans et demi avant d’avoir quelqu’un au bout du fil si on a de la chance qu’un agent est libre, sinon on a attendu 25 minutes pour rien. Ensuite, si on a l’agent on lui réexplique la situation, il consulte le dossier et nous demande d’être encore un peu patient ».

Liza, Metz, 19 ans : « Pour ne pas risquer de perdre mon logement, j’ai fait un emprunt à mon grand frère »

Pour Liza, Jade et Camilla, la situation est désormais réglée. Ces trois étudiantes se sont, elles aussi, retrouvées dans des situations difficiles en raison du retard du versement de leurs bourses.

Liza habite Metz. Elle a 19 ans et dispose d’une bourse depuis le collège. Comme Assia, cette année, elle a quitté le domicile familial pour suivre ses études. « Mes parents habitent à 1 heure en voiture de Metz ».. Compliqué de faire ce trajet chaque jour. Aujourd’hui, elle paye un loyer de 450 euros par mois. Ses soucis avec le CROUS ont été réglés la semaine dernière seulement. « Je n’avais encore perçu aucun règlement de leur part, j’ai donc été en retard sur mon loyer. Pour ne pas risquer de perdre mon logement, j’ai fait un emprunt à mon grand frère qui est électricien ». Liza explique ne pas être étonnée par ce retard. « Cela arrive souvent. Quand ça ne nous concerne pas directement, ça concerne nos camarades de classe. Là, c’est le début de l’année, on peut penser que c’est pour des raisons de mise en place mais du retard en plein milieu de l’année, ça m’est déjà arrivé ». Liza n’est pas énervée, juste blasée. Son conseil ? « La patience, la patience et rien que la patience ! Avant, j’essayais d’appeler, je passais des heures au téléphone à m’arracher les cheveux. Maintenant, j’économise mes forces et j’essaye d’être zen, je me dis que ça ne change rien de s’énerver, ça n’accélère pas les choses. Quand je suis vraiment fâchée, j’envoie un mail pour extérioriser mais je suis sûre que personne ne le regarde ». 

Camilla Kechairi, Grenoble, 20 ans : « Le Crous veut que je prouve que mes parents ne perçoivent aucun revenu de l’étranger »

Camilla Kechairi a 20 ans, elle habite Grenoble. La semaine, elle est étudiante boursière en LEA (langues étrangères appliquées) anglais-arabe. Le samedi, elle est vendeuse chez H&M. Ce job cumulé à sa bourse lui permet de payer son loyer. Camilla ne vit plus chez ses parents. Ces derniers habitent trop loin de son lieu d’étude. « Habituellement, ça roule tout seul  mais cette année c’est surréaliste, c’est la première fois qu’ils me font ce coup-là », commente l’étudiante. « Comme tous les ans, j’effectue ma demande à l’heure. Comme tous les ans, en juillet, je reçois la notification de bourse conditionnelle. Sauf que là, on m’indique que mon dossier est en attente de décision parce qu’il faut que je prouve par un courrier que mes parents ne perçoivent aucun revenu de l’étranger. Déjà, je ne comprends pas le rapport avec mes parents alors que je ne vis plus chez eux. Ensuite, pourquoi me poser la question cette année alors que j’effectue une demande tous les ans. L’an dernier aussi c’était mes parents. Rien n’a changé dans notre situation familiale ». 

Elle poursuit, contrariée. « C’est la première fois que j’entends cette histoire. Autour de moi, tout le monde est étonné aussi. Je suis née ici. Mes parents ont toujours travaillé en France, ils ont toujours perçu des revenus ici. Je me suis sentie super mal, comme si j’étais la fille d’un voyou qui détourne des fonds… Qu’est-ce qu’elle veut dire cette question ? Est-ce qu’ils auraient posé la question et retardé la procédure si j’avais eu un nom de famille qui sonnait plus « français »?. Pour résoudre la situation, Camilla s’est rendue au CROUS de Grenoble. « Je leur ai fait part de mon indignation. Même l’employée de l’accueil ne comprenait pas. Elle était étonnée. Elle m’a expliqué que « généralement c’était pour les étudiants étrangers ». Je leur ai demandé de revoir le dossier et ça s’est finalement réglé ».

De toutes ces situations, nous avons essayer de parler avec le CROUS pour tenter de comprendre les retards de versement. Comme la plupart de ces étudiants, nous avons été, à chacune de nos tentatives, mis en attente pendant plusieurs minutes. Comme la plupart de ces étudiants, nous n’avons pas réussi à les joindre.

Sur Twitter, le CROUS de Créteil est relativement réactif. Je les ai moi-même contactés pour en savoir plus sur ma propre situation. « Bonjour, est-il prévu que nous recevions nos bourses avant l’été prochain », demandais-je.

Réponse sur un ton humoristique du community manager du Crous de Créteil :' »Oui, bien sûr, c’est prévu avant la fin de l’année universitaire ». « Pas sûre que cela soit approprié en pareilles circonstances.

Sarah ICHOU

*prénom modifié

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