La question du devoir de mémoire, en relation avec la Shoah, est sur toutes les lèvres. Le président de la République, en faisant son annonce le 13 février devant le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), s’attendait peut-être à moins de remous, notamment dans le corps enseignant. Hélas pour lui, les « profs » sont en colère. J’ai rencontré deux « instits » de Bondy pour leur demander leur avis sur cette initiative présidentielle. Ils s’expriment ici sous couvert d’anonymat, devoir de réserve oblige.

Mes faibles connaissances des programmes de l’école élémentaire me poussent à en demander plus sur ce sujet. Qu’en est-il aujourd’hui de l’enseignement de la Shoah ? « C’est au programme d’histoire et depuis longtemps, m’explique-t-on. On l’aborde en disant que c’est un génocide, on parle de la déportation, mais pas seulement des juifs, on aborde tout le contexte politique et historique de l’époque (…) On peut traiter la Shoah au moyen de la littérature, par exemple avec le Journal d’Anne Frank. »

L’un des instituteurs décrit sa façon de procéder : « Je mets le génocide des juifs en parallèle avec d’autres génocides, le génocide arménien par exemple. J’enseigne qu’à d’autres périodes de l’histoire, des persécutions se sont produites, à travers les guerres de religions notamment, et en particulier lorsqu’on chassait les protestants. »

Revenons au 13 février. Première réaction, alors, des deux « instits » : le choc. « C’est lamentable, c’est de la récupération en période électorale, c’est populiste à souhait, ce genre de chose me révolte. (…) Tu ne peux pas jouer à ce point la carte émotionnelle. Parce que c’est enlever tout contexte idéologique et politique à ce qui s’est produit, contexte qui permet de comprendre l’histoire. Tu as besoin d’avoir du recul. Si tu reste dans l’émotionnel, dans l’individualisation du problème, tu es dans la réaction, et je ne pense pas que cela permette aux enfants de saisir le passé. »

Cette empathie mémorielle voulue par le président de la République à propos de la Shoah en CM2, ne reçoit donc pas le soutien des deux instituteurs : « Etre responsable de la mort d’un enfant, lorsqu’on est soi-même enfant, c’est choquant, c’est horrible. » Et d’indiquer que même, quand, en classe, le rapport pays pauvres-pays riches est évoqué, et que le droit des enfants est expliqué, certains élèves sont choqués.

Nos interlocuteurs sont convaincus que l’initiative de Nicolas Sarkozy n’aboutira pas. « Tous les pédopsychiatres sont contre (…) L’idée qu’il a lancée n’a pas été réfléchie. Si elle était malgré tout mise en vigueur, dans ce cas là il faudrait faire la même chose avec l’Algérie, l’Arménie, la Tchétchénie. La France doit être plus honnête avec son passé. » L’un des deux enseignants estime que « de toute façon, ce genre d’annonce est faite sans jamais nous consulter, c’est comme le samedi matin supprimé ».

J’oppose aux deux instituteurs la remarque du ministre de l’éducation nationale, selon laquelle un lycéen sur deux ignore ce qu’est la Shoah. Réponse immédiate : « Enfin bon, un lycéen sur deux ne sait pas qui est Clovis non plus. S’il y a quelque chose à revoir, c’est l’enseignement de l’histoire en générale. » Quant à savoir, question dans l’air du temps, comment le petit « Mohamed » d’aujourd’hui appréhende en général la déportation du petit « David » d’hier, la réponse se veut sans équivoque : « Il n’y a pas de problème, le vrai problème ici, dans les collèges et les lycées, c’est la guerre d’Algérie, car le passé colonial n’est pas assumé en France. »

Et si l’idée du président de la République est inscrite au programme de la rentrée prochaine ? « Si on m’impose ce jumelage enfant juif déporté-enfant de ma classe, je refuserai de m’y plier, dit l’un des instituteurs. Je procéderai avec les méthodes que j’ai employées jusqu’à présent. » Son collègue tente de trouver une issue : « La finalité, c’est quoi ? C’est que les enfants aient cette connaissance de la déportation ! Qu’ils en aient conscience, c’est le plus important. Mais je suis contre la façon de faire préconisée par Nicolas Sarkozy. Dix ans c’est trop jeune ! »

Yoann Defaix

Yoann Defaix

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