Alors qu’à gauche comme à droite, des voix dénoncent le travail insuffisant des professeurs, chaque année certains d’entre eux quittent définitivement l’enseignement sans plan B, et surtout, sans économies sous la main. Ils passent d’une vie confortable avec la sécurité de l’emploi, à une forme de précarité absolue. Pourquoi font-ils ce saut, comment le vivent-t-ils ? Un mois s’est écoulé depuis la rentrée. J’ai voulu interroger une ex-professeur de l’éducation nationale. Emma B. a une quinzaine d’années d’expérience dans le 93, elle a accepté sous couvert d’anonymat d’expliquer les raisons de son choix.

« J’ai commencé à travailler dans le 93 dans un lycée d’Aubervilliers. Au départ, j’ai eu un vrai plaisir à enseigner. Les relations humaines avec les élèves par exemple, faites d’échanges, étaient ce que je préférais le plus. Mais contrairement à ce que les gens affirment sur les profs, enseigner ce n’est vraiment pas de tout repos. » Parmi les côtés négatifs de la mission d’enseignant, Emma B. cite, entre autres, les rapports avec collègues, parfois, selon elle, un peu enfermés dans leurs disciplines et leurs certitudes ; la lourdeur administrative, ensuite; le contact, enfin, avec des « élèves pas toujours faciles ». A cela s’ajoute un sentiment d’enfermement: « Couloirs, sonneries, néons font que tu te sens en prison. Les élèves à la fin de leur cycle, sortent eux, mais les profs y restent à vie ! Quand tu es dans l’éducation nationale tu n’as pas de sorties possibles. »

Ces dernières années, raconte-t-elle de sa petite voix calme, les aspects négatifs de son travail étaient devenus de plus en plus pesants. Aussi, c’est avec soulagement qu’elle a demandé cette année un congé sans solde. Lorsque je lui demande si l’enseignement lui manque, elle me répond, enthousiaste: « Pas du tout ! Historiquement, l’instit était respecté par l’ensemble de la société. Ce n’est plus le cas. Ce n’est pas parce qu’on va demander à des élèves de se lever à l’entrée du professeur en classe que cela va arranger les choses. Simplement, la société ne valorise plus le travail des profs. En 15 ans, j’ai vu la dégradation de la situation des enseignants, l’augmentation du nombre d’élèves, la baisse du nombre d’heures de français et dans les matières générales, la disparition des heures de groupe en lycée professionnel. Et puis il y a le salaire, trop bas, d’autant plus que pour alléger mon stress, je m’étais résignée à me mettre à temps partiel. »

Des profs qui, comme elle, souffrent de stress, elle dit en connaître énormément. « Nombreux sont ceux qui prennent des anxiolytiques et des antidépresseurs, affirme-t-elle, ou boivent pour ne pas craquer tandis que d’autres font du sport pour décharger leur angoisse. » Emma B. dit aller mieux depuis qu’elle a cessé de travailler. Elle a retrouvé le sommeil sans somnifères. Elle vit pour l’instant d’un petit pécule, prévoit de partir à l’étranger. Elle a dans l’idée, aussi, d’ouvrir un commerce, de faire les marchés. Bref, n’importe quoi, excepté ce métier où « tu donnes beaucoup et ne reçoit pas forcément en retour ». Alors que je m’en vais de chez elle, je vois sur le sol son sac qui traîne au fond du salon. Il est ouvert. On peut y voir ses livres de cours qui doivent être là depuis le mois de juin. Pour elle, c’est sûr, l’école est finie !

Axel Ardes

Axel Ardes

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