Dhramvir Singh est une graine d’entrepreneur. A 22 ans, il est le gestionnaire du Campus Formations et Métiers et du futur lycée déjà baptisé par la presse locale comme « le lycée sikh de Bobigny ». Implanté au cœur de la Cité de l’Etoile sur un terrain de 8000 mètres carrés qui regroupe le campus et une pépinière de 50 entreprises, une troisième promotion de BTS vient d’y faire sa rentrée. Le lycée privé hors contrat avec l’Etat et laïc des « 5 Etoiles » devrait, lui, ouvrir sa première classe de seconde à la rentrée 2010 avec un objectif annoncé de 700 élèves d’ici 2016. Et si chacun pourra venir étudier sans camoufler sa croix, ôter kippa, son turban, son voile ou que sais-je encore, aucun enseignement religieux n’y sera professé. Un établissement laïc à sa façon…

Et en laïcité, Dhramvir s’y connait, genre docteur ès agrégé en la matière. En 2004, à peine âgé de 17 ans, il devient malgré lui le porte-parole de la communauté sikh quand son frère, son cousin et leur ami sont expulsés du lycée Louise-Michel de Bobigny à cause de leur turban, que leur religion leur interdit d’ôter en public. Dhramvir se retrouve aux premières loges d’une agitation politique autour des questions de laïcité et des signes religieux ostensibles qui résonnent alors bien au-delà de nos frontières.

Puis il porte plainte avec l’avocat de la famille auprès du tribunal administratif pour discrimination. « Quand on touche à la foi ou à l’intégrité de quelqu’un, ça le radicalise. Ça favorise le repli sur soi. C’est bête… », analyse aujourd’hui le jeune homme. « En France, au nom de la laïcité, on fait tout et n’importe quoi. Récemment, un jeune sikh danois en voyage en France à l’occasion d’un échange scolaire, a été interdit d’entrer dans un bowling au nom de la laïcité… Au bowling ! », déplore-t-il.

Mais l’affaire de 2004 ne rappelle pas que de mauvais souvenirs à ce grand barbu élancé au sourire ultra-bright : « L’exclusion des jeunes lycéens nous a permis de sortir de l’anonymat. Elle a donné une identité à la communauté sikh de France. » Et puis elle a boosté le projet de lycée que son père Gurdial rêvait de créer depuis longtemps. A la tête d’une florissante entreprise de BTP, monsieur Singh père est aujourd’hui l’unique bailleur de fond du campus de la rue de L’Etoile. Arrivé en France avec 100 dollars en poche dans les années 70, Gurdial Singh, c’est le rêve américain version Bobigny à lui tout seul (mais ça, c’est une autre histoire et un prochain post pour le Bondy Blog).

« Quand l’affaire de l’exclusion a éclaté, mes parents n’ont pas compris : mon grand-frère et moi avions passé notre bac dans le même lycée sans jamais avoir eu à enlever notre turban », reprend Dhramvir. Dans son enfance, il ne se rappelle pas avoir souffert de quelques discriminations que ce soient. « Au contraire. Je me souviens de cette institutrice qui était venue à la maison apprendre à faire le chignon que portent les enfants sikhs pour le refaire à mon petit frère durant son séjour en classe verte. »

Mais du côté l’administration, tout n’a pas été aussi simple : « Au moment de faire ma carte d’identité – car je suis Français –, tient-il à souligner d’un ton assuré, il a fallu que je pose tête nue. Mais à l’époque, j’accordais moins d’importance à ces questions. J’étais jeune. Le regard de certains sur nous a changé à partir du 11 septembre 2001. Suite aux reportages sur Ben Laden ou l’Afghanistan, j’ai commencé à entendre des remarques sur la barbe et le turban des Sikhs. Pourtant, notre religion n’a rien à voir avec les talibans ou les musulmans. »

Huit ans plus tard, le voici numéro 2 et cheville ouvrière d’un campus et d’un lycée qui ne demandent qu’à prendre leur envol, pour devenir un lieu d’études et de formation (presque) comme les autres et ouvert à tous.

Sandrine Dionys

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