Latifa a 20 ans. À ses risques et périls, elle a quitté sa vie au Maroc pour étudier la gestion à la Sorbonne. Première nuit passée à l’aéroport, peu d’argent en poche, pas de logement mais une détermination sans faille.

« Je savais que c’était risqué mais il fallait absolument que je vienne ici ». Latifa est arrivée à Paris mercredi 27 septembre à l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle. C’était la première fois qu’elle prenait l’avion, la première fois qu’elle quittait son pays, la première fois qu’elle quittait ses parents. Originaire du Nord du Maroc, cette jeune fille est venue en France pour étudier.

Latifa grandit dans une famille pauvre. Aînée d’une fratrie de trois enfants, elle qualifie son enfance de « suffisante« . Elle cherche parfois ses mots mais maîtrise plutôt bien le français. « Oui, suffisant c’est bien ça. Financièrement, c’était très compliqué, et ça l’est toujours, mais on arrivait tout de même à survivre. Mes souvenirs d’enfance ne sont pas malheureux. Ils ne sont pas heureux non plus. Ils sont moyens. C’est pour ça que je dis que c’était suffisant ».

Maman est mère au foyer, papa travaille à la Poste. « Il distribue les colis dans les villes de la région.  Il commence sa journée à 3h30 du matin et termine à 17h. Il fait beaucoup trop d’heures. Ses heures supplémentaires ne sont pas payées. C’est injuste mais s’il décide de ne pas faire ces horaires, quelqu’un d’autre les fera à sa place », argumente-t-elle.

L’école, rien que l’école

Latifa est une excellente élève, des petites sections à l’obtention de son baccalauréat, elle a toujours été première ou deuxième de sa classe. D’où lui est venue cette détermination ? « Il y a un lien avec mon éducation, c’est certain. Petite, mes parents répétaient que l’école c’était très important. Seulement, ils ne me mettaient pas la pression, pas besoin », raconte-t-elle

« Si en France, l’enseignement public est connu pour être plutôt efficace, au Maroc il vaut mieux étudier dans le privé « , affirme Latifa. Impossible pour elle. Ses parents ne peuvent clairement pas assumer une école privée, « les prix varient entre 80 et 200 euros le mois en fonction des niveaux ».

Pas question de se plaindre, elle va à l’école et travaille beaucoup après les cours. « Je suis plutôt dure avec l’enseignement public parce que l’inégalité est frappante mais j’ai tout de même eu de très bons profs dans le public, ils m’encourageaient beaucoup ».

Très timide, Latifa a le souvenir d’une adolescence compliquée, socialement parlant. « Je n’avais pas d’amis, en fait. J’avais des camarades de classe, je m’entendais très bien avec tout le monde mais je ne partageais rien d’autre que l’école avec eux. C’est de ma faute, je refusais toute sortie, j’estimais que c’était du temps de perdu sur mes révisions ».

L’école, Latifa n’a que ça à la bouche. Si l’orientation post-bac pose problème pour beaucoup de lycéens, pour elle c’était clair : elle souhaitait rejoindre une grande école de management.

« Je ne veux pas faire un petit métier parce que je suis née pauvre. Non, je rêve en grand. Je veux réussir »

Latifa, 20 ans, étudiante marocaine, est venue faire ses études en France, non sans difficulté.

Avant d’envisager un avenir en France, Latifa étudie d’abord les possibilités au Maroc. Très vite, elle déchante. « En voyant mon père trimer et gagner à peine de quoi subvenir aux besoins de sa famille, en observant les plus grands obtenir des diplômes mais trouver des emplois inadaptés à leurs études, j’ai vite compris que je ne pourrais pas aller au bout de mes projets parce que j’étais pauvre. Je ne veux pas faire un petit métier parce que je suis née pauvre. Non, je rêve en grand. Je veux réussir ».

Après le bac, elle intègre une classe préparatoire aux grandes écoles de commerce. Le rythme s’accélère, Latifa intensifie les séances de travail à la maison. La première année est validée mais l’étudiante perd confiance en elle. « Je suis entrée dans une espèce de grosse déprime. J’ai consacré tellement de temps à l’école, je savais qu’il fallait que je me surpasse, mais je ne maîtrisais plus rien ».

« Pour la première fois, ma mère a trouvé un travail. L’argent était entièrement consacré à mes cours privés »

Le travail personnel ne suffit plus. Latifa cherche un job pour se payer un prof particulier, elle ne trouve rien qui ne corresponde à son emploi du temps à l’école. Ses parents sont forcés de constater que l’état de leur grande se dégrade. « Je mangeais beaucoup moins, je parlais peu, je ne rigolais plus », résume la jeune fille. « Si on avait plus de moyens, le problème ne se serait pas posé. Ils culpabilisaient beaucoup de ne pas pouvoir m’aider. Pour la première fois, j’ai vu mon père pleurer à cause de moi. Il ne pouvait pas travailler davantage. Ma mère a trouvé un emploi de cuisinière dans une cantine scolaire. C’était la première fois qu’elle travaillait. Elle gagnait environ 65 euros par mois. Cet argent était entièrement consacré à mes cours privés d’économie, de droit, de maths ».

Latifa n’a plus le choix : il faut se reprendre. Elle poursuit ses études et, dans sa lancée, décide de concrétiser son projet d’étudier à l’étranger.

« Pour venir étudier en France, 8 000 euros de garanties demandées »

Son école ne lui permet pas d’effectuer un échange universitaire comme en Europe. Elle passe par Campus France. Par ce biais, elle construit son projet d’études. Pour que le dossier soit validé, il faut que l’étudiant présente des garanties financières. « En venant en France, nous ne sommes absolument pas prioritaires pour les logements étudiants, par exemple. Ils veulent s’assurer qu’on pourra payer des loyers, des factures… » Selon elle, les garanties exigées doivent s’élever à près de 8 000 euros.

Latifa n’a pas cet argent. Bien qu’ils économisent pour lui permettre de prendre son envol, ses parents ne disposent pas de cette somme non plus. Que faire ? Renoncer à ce projet ? Hors de question. Une bonne amie de la famille, cheffe d’entreprise, propose de lui faire un prêt. Le dossier passe en commission, il est accepté. Latifa peut faire ses valises. Elle avait postulé dans différents établissements à Amiens, Paris, Toulouse, Lille… Finalement, direction Paris, Panthéon-Sorbonne plus précisément. Elle est acceptée à l’EMS, l’école de management de la Sorbonne, en licence de gestion. Tout est trop beau pour être vrai. Mais la cheffe d’entreprise a besoin de son argent plus vite que prévu. Elle est acceptée à Paris 1 mais ne dispose plus de l’argent nécessaire pour s’y rendre, si ce n’est l’équivalent de 600 euros d’économie de ses parents.

Tout arrêter ou prendre l’avion?

Ses derniers lui demandent de tout arrêter et de rester. « J’ai beaucoup réfléchi, la décision était dure à prendre. D’un côté, j’avais peur, j’avais conscience que je me mettrais en difficulté si j’acceptais de partir. De l’autre, je m’en serais voulu toute ma vie de ne pas saisir une opportunité pareille ». Elle décide de prendre l’avion.

Latifa a choisi la France mais elle n’y connaît personne. Pourquoi ce choix ? « C’était logique. Déjà pour mon évolution scolaire, professionnelle. Ensuite, et surtout, parce que c’est aussi dans ma culture. Le Maroc a été colonisé pendant longtemps par la France, ça laisse des traces : on apprend le français à l’école, on regarde parfois les informations françaises… »

« Première nuit à l’aéroport »

Bien qu’elle se soit renseignée sur les possibilités en auberge de jeunesse, la première nuit de Latifa se passe à l’aéroport. Elle ne dort pas, par crainte qu’il lui arrive quelque chose. Physiquement, Latifa est grande, très fine. Elle porte un appareil dentaire. Son cartable est toujours accroché à son dos. « On pense souvent que j’ai plus 15 ans que 20 ans. Ça me fait souvent sourire mais cette nuit-là, à l’aéroport je me suis dit que ça ne m’aiderait sûrement pas ». Ce sera la seule nuit que Latifa passera dehors.

Plusieurs rencontres ont permis d’éviter que cette situation ne se reproduise les jours suivants. Elle fait la connaissance d’abord de Mounia, dans les transports. Elles sympathisent. Mounia connaît bien cette situation, elle était dans le même cas de figure quelques années en arrière. Elle lui propose de l’aider, lui demande son numéro pour rester en contact. Latifa n’en a pas, elle n’a pas de puce française. Mounia lui en achète une. Ce ne sera pas sa seule dépense pour Latifa. Elle ne peut l’héberger mais lui paie une nuit d’hôtel, deux carnets de tickets puis finit par lui acheter une carte de transport. Pour que Latifa conserve ses quelques euros, Mounia lui paie aussi quelques repas, des fournitures scolaires. Latifa est gênée mais forcée d’accepter la situation. Elle promet à sa bonne étoile de la rembourser au plus vite.

Élan de solidarité 

Elle rencontre aussi par hasard une étudiante qui lui propose cette fois de l’héberger, dans sa chambre, en résidence universitaire. « Elle n’a pas le droit, elle prend le risque de se faire expulser mais elle insiste. Je m’y sens en sécurité ». Latifa rencontre ensuite deux autres étudiantes qui lui suggèrent, cette fois, de raconter son histoire sur les réseaux sociaux. Sensibles aux galères de Latifa, très vite, les internautes proposent de l’aider financièrement. Une cagnotte en ligne est créée. Plusieurs centaines d’euros sont collectés. Les solutions fusent : beaucoup proposent de l’accueillir, certains lui envoient des offres d’emploi, d’autres partagent leurs expériences, leurs idées pour aider cette jeune étudiante.

À l’heure actuelle, toutes les démarches administratives sont lancées. Latifa attend un logement universitaire. Elle a rencontré des assistantes sociales, s’est rapprochée de plusieurs associations caritatives. En attendant, elle loge toujours dans la chambre étudiante, avec cette inconnue devenue son amie. Par téléphone, elle rassure ses parents tant qu’elle peut. Les cours ont démarré. Malgré les circonstances, elle tente de se concentrer au mieux, travaille le plus possible. « Je ne peux plus reculer, je suis plus déterminée que jamais à réussir ». C’est tout ce qu’on peut lui souhaiter.

Sarah ICHOU

Crédit photo : Julien AUTIER

Articles liés