Article initialement publié le 29 janvier 2021

« On a perdu nos deux infirmières. Et on a qu’une seule assistante sociale. Je n’ai jamais vu une situation sociale aussi alarmante ! Les familles sont dans une grosse détresse. La pauvreté explose ! ». C’est avec ce message de détresse posté sur Twitter le 5 janvier 2021, que Colline Charpentier, professeur d’histoire-géographie à Saint-Denis, tente d’alerter sur la situation de son collège.

Dans un climat social et économique déjà difficile et aggravé par la crise sanitaire, la Seine-Saint-Denis est confrontée à une pénurie d’assistantes sociales dans ses établissements scolaires alors que les besoins explosent. « Depuis 4 ans, il n’y a plus de créations de postes d’assistantes sociales dans le 93, mais aussi partout en France », s’alarme Karine Riou, assistante sociale et représentante CGT Educ’ Action pour l’académie de Créteil.

Les assistantes sociales submergées par la charge de travail

« On est débordées. Il y a des collègues qui sont en demi-poste sur des établissements, à moitié dans l’un et à moitié dans l’autre, alors qu’elles devraient être à temps plein dans un seul lieu », pointe Ouanissa Ayadi, assistante sociale dans un collège à Saint-Denis.

« D’autres collègues qui devraient avoir du renfort dans un poste sur un établissement se retrouvent toutes seules. Ça crée une forme de lassitude et même de souffrance qui fait que les gens partent », poursuit la travailleuse sociale.

Une situation de flux tendu à l’origine d’un épuisement professionnel pour bon nombre d’assistantes sociales. « Avec la crise qu’on connaît depuis le mois de mars, des situation sociales qui étaient déjà auparavant dégradées, explosent, avec des gens qui n’ont plus d’emploi, plus de quoi se nourrir, ou qui ont des problèmes de santé. On ne peut pas faire face ! », déplore Karine Riou.

Pour autant, face à la situation de certains parents d’élèves, la solidarité s’organise malgré tout chez les assistants sociaux. « Des enseignants ont récupéré des denrées alimentaires offertes gracieusement. On a créé une cagnotte, été faire des courses, mis en place des colis de première nécessité au collège parce que les gens nous appelaient au secours, en nous disant qu’ils ne mangeaient plus ! », détaille Ouanissa Ayadi.

Des carences sociales dans les établissements amplifiées par l’épidémie

Une situation chaotique qui provoque l’inquiétude puisqu’aucune nouvelle création de postes n’est prévue pour cette année. On compterait près de 2500 assistants sociaux pour 12,5 millions d’élèves de la primaire au lycée. Karine Riou souligne que depuis septembre 2020, six établissements du département se retrouvent sans service social pour les élèves. «Ils ont estimé que dans certains établissements ‘favorisés’ ce n’était plus nécessaire. À la CGT Educ’action, on estime qu’il faudrait une cinquantaine de postes.»

On veut des assistantes sociales partout et pas qu’on enlève un poste quelque part pour le mettre ailleurs.

Madame Bouvier* (qui a souhaité rester anonyme), est assistante sociale dans un lycée de Seine-Saint-Denis. Elle désespère devant les bricolages pour couvrir le département. « Comme il n’y a plus de créations de postes au niveau national, on prend les assistantes sociales des zones qui sont censées être plus pourvues, comme le 93, pour couvrir les secteurs prioritaires, notamment les zones rurales de la Seine-et Marne. » 

« Il y a des postes pourvus dans des établissements, mais ce sont des temps partiels qu’on a mis bout à bout. Ce ne sont pas de vrais postes », ajoute Ouanissa Ayadi. Karine Riou s’insurge : « On veut des assistantes sociales partout et pas qu’on enlève un poste quelque part pour le mettre ailleurs, ça n’a pas de sens dans notre travail ! ».

L’éducation des élèves sacrifiée

Pour la professeur d’histoire-géographie Colline Charpentier, la paupérisation dans le département pénalise les élèves dans leurs études. « Ils pensent à autre chose en particulier leur position sociale. En termes de travail, c’est compliqué. »

Des élèves ont l’impression d’être mis de côté.

Avant de poursuivre : « On voit qu’il y a des enfants qui sont dans une situation sanitaire très dégradée chez eux. Dans nos cours, même si ça se passe relativement bien, on sent que le suivi est beaucoup moins présent parce que l’assistante sociale est débordée. Ils ont l’impression d’être mis de côté.  »

Nicolas Thibaud, professeur de français au collège Marcel Cachin au Blanc Mesnil, et syndiqué CGT Education, observe que la pénurie d’assistantes sociales contraint les enseignants à assumer un nouveau rôle.

« On se retrouve à remplir des dossiers de bourses avec eux, à recevoir les parents pour leur expliquer à quelles aides sociales ils ont droit, à accompagner les enfants dans des situations précaires. On n’est pas du tout formés. Ça peut aboutir à des cas difficiles pour les collègues et les enfants, qui n’ont pas accès à un niveau de conseil égal à celui que pourrait fournir une assistante sociale. »

Le rôle essentiel des assistantes sociales

Des assistants sociaux mesestimés. En dépit d’une décision du tribunal administratif en juillet dernier, les assistants sociaux ne touchent toujours pas la prime destinée aux fonctionnaires exerçant dans les REP+. Malgré une légère augmentation salariale, leur rémunération est encore inférieure aux autres fonctionnaires de catégorie A. Pour dénoncer leurs conditions de travail, les travailleurs sociaux ont manifesté avec les autres personnels de l’éducation, le 26 janvier à Paris pour demander une revalorisation salariale et des créations de postes.

S’il n’y a pas d’assistante sociale, personne ne va aller vers eux.

Un manque de reconnaissance à tous les niveaux, alors que le besoin n’a jamais été aussi urgent face au décrochage scolaire. « Il y a à la fois des facteurs scolaires, des gamins qui sont en échec depuis longtemps, mais aussi des facteurs sociaux, des gamins qui sont à la rue, à l’hôtel, ou qui ont des problèmes chez eux. Il faut donc forcément un regard social et des interventions sociales les plus rapides possibles », détaille l’assistante sociale Bouvier, avant d’ajouter :

« Si les jeunes veulent me parler, je peux aller les voir à l’extérieur. Je suis même déjà allée devant un arrêt de bus pour discuter avec certains d’entre eux ! S’il n’y a pas d’assistante sociale, personne ne va aller vers eux ».  

Sollicitée à plusieurs reprises, l’académie de Créteil n’a pas retourné nos demandes d’entretien.

Hervé Hinopay

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