Jérémie Fontanieu enseigne à Drancy (93) les sciences économiques et sociales et a fait le pari de faire réussir tous ses élèves au bac. Sa pédagogie : instaurer un cercle vertueux prof, parent et élève. Portrait.

Dans une brasserie de Beaubourg, nous rencontrons Jérémie Fontanieu, professeur de sciences économiques et sociales au lycée Eugène Delacroix de Drancy. Il a fait parler de lui dans les Cahiers Pédagogiques pour sa méthode d’enseignement : un mélange d’ancienne et de nouvelle école pour faire de l’institution républicaine « un ascenseur social dans les quartiers ». Il est en retard, il s’en excuse maladroitement. Un peu tendu, il se gratte le menton, avant de se lancer. Il parle avec passion. Son verbe, sa voix et sa verve pulvérisent la glace. Les connexions se font. On arrive même à faire abstraction du timbre électrique de Britney Spears qui essaie de nous court-circuiter.

Du haut de ses 25 ans et de ses 3 ans d’expérience dans l’enseignement, « Monsieur Fontanieu » nous livre un constat lucide mais pas abattu sur la jeunesse. « Les gamins ont une approche consumériste. Ils se disent : ‘’ L’école est là pour me servir, c’est un passe temps. J’espère que les profs ne vont pas être relous ’’ ». Il se remémore : « Je me disais la même chose. Avec mes potes on écrivait sur les tables et on faisait des conneries à longueur de journée…» un sourire espiègle teinté de nostalgie atténue la gravité de son propos.

photo 3Il poursuit : « C’est le lot de tous les ados, ce n’est pas spécifique au 93. Sauf que ce qu’il y a d’horrible, voire injuste, c’est que moi mes parents étaient bourgeois. Je voyageais. J’avais des livres à la maison. J’avais fait des rencontres qui faisaient que le jour du bac j’accélérais sur la fin et j’étais diplômé. Reproduction sociale ! Mes parents sont bourgeois, je deviens bourgeois. Je réussis Science-po. Sauf que dans le 93, les gamins n’ont rien pour se rattraper. C’est comme le film de 50 Cent Réussir ou mourir. Soit ils réussissent scolairement, soit ce sera vraiment difficile par la suite ».

« Les cours sont un train qui passe par là »

Le professeur de SES voit grand et parie sur un taux de réussite de cent pour cent au bac parmi ses élèves de terminale. Pour cela il mise sur un pacte de responsabilisation: « La première phrase que je fais noter aux élèves c’est l’école ne vous doit rien. Monsieur Fontanieu ne vous doit rien. Les cours sont un train qui passe par là. Soit vous montez dedans soit vous ne le prenez pas et vous vous débrouillez ensuite ». Pour l’agrégé de sociologie, la responsabilisation de ses élèves passe par le travail, un pilier fondamental. Ainsi met-il en place des questionnaires à choix multiples avec un système de notation exigeant. Au départ il a essuyé une fronde des élèves. Non seulement il maintient les questionnaires à choix multiples, mais il menace bientôt d’appeler les parents pour les prévenir des résultats quand ils sont mauvais. Comme au jeu de la roulette russe, c’est le plus déterminé qui l’emporte. Le prof est entré en contact avec « les darons » pour obliger les lycéens à se mettre à réviser. Ces derniers sont sous pression à l’école et à la maison grâce à une collaboration parents-enseignants.

Le pédagogue qu’il est tient tout de même à ne pas être qu’un oiseau de mauvais augure : « Ils finissent par se mettre au boulot, les résultats s’améliorent. Au départ l’appel était vécu comme une sanction et puis quand je voyais qu’un élève progressait, j’appelais également pour le signaler. J’envoie aux parents deux sms par semaine. Ils sont au taquet et il y a une confiance qui s’installe ». Sa méthode n’est pas révolutionnaire sinon qu’il se sert du cercle proche des élèves pour instaurer  « un triangle vertueux » école, élèves, parents. Avec les collègues, il y a d’abord eu des interrogations parce que se transmettre régulièrement les informations ne va pas forcément de soi. Mais petit à petit, les enseignants de mathématiques, de philosophie, d’histoire-géographie le rejoignent : les nouvelles circulent de plus en plus (absentéisme, manque de travail, progression) et même des projets de cours collectifs émergent en français et en philosophie. Les lycéens voient bien que les professeurs s’allient contre l’échec scolaire, et cette détermination alimente la leur .

« Quand il y a des transgressions, je suis hyper strict, je réagis comme un réac »

Malgré les critiques (paternalisme, démagogie et promotion de la réussite personnelle, le jeune enseignant mesure l’impact de son action sur ses étudiants qui en redemandent. Il a réussi à créer dans ses classes un esprit de groupe qui favorise l’émulation et la solidarité entre camarades. « Avec les terminales il fallait que je travaille sur le team building, le team spirit. C’est pour ça qu’au début de l’année on a fait fait un weekend d’intégration. Samedi : ministère de la justice et le Louvre. Dimanche : fête de l’Humanité. L’idée c’est que si les gamins sont contents de se retrouver en classe ça va les motiver contre l’absentéisme et faire en sorte que l’ambiance de classe soit bonne. Ils sont intéressés, ils prennent des notes, ils posent des questions. Et moi je fixe le cap avec des règles strictes pour que le groupe puisse bien vivre ».

photo 4En bon capitaine, il fixe la barre haute afin de leur inculquer l’excellence et l’ambition. Quitte à jouer le père fouettard quand il le faut : « Quand il y a des transgressions, je suis hyper strict, je réagis comme un réac. Je suis nazi sur l’horaire et je n’hésite pas à donner des heures de colle. J’envoie un sms aux parents. Ils savent qu’en classe ils sont chez moi. Les élèves doivent se tenir au niveau du langage, du comportement et de l’attitude. Je dis à mes élèves pour moi t’es un banlieusard. T’es la France de demain et tu dois représenter. Tu dois être exemplaire pour faire taire ceux qui te voient comme un sous français. Donc aie honte de ton comportement quand tu n’es pas à la hauteur de ce que tu devrais être. Et je me rends compte qu’en étant exigeant, eux-mêmes le deviennent ». L’étymologie du terme « élève » retrouve alors ses lettres de noblesse. L’étudiant est en effet amené à « s’élever » vers le chemin de la connaissance et de l’excellence.

Le thésard en philosophie morale s’interroge sur ce que c’est qu’être « une bonne personne » ou « un bon prof ». Pragmatique, il conclue : «  Je ne suis pas un bon prof.  Je suis un enseignant qui met des choses en place et qui essaie d’obtenir des résultats. Les sociologues comme Bourdieu décrivent le monde. Nous on invente un autre. Ce n’est pas parce que le monde existe qu’on ne peut pas en inventer un autre. J’ai la conviction qu’ils peuvent tous y arriver. J’ai la conviction qu’on peut être un banlieusard lettré. Je me dis que c’est possible de garder cette énergie, cette puissance et d’avoir son bac. C’est possible de devenir cadre en oubliant pas d’où l’on vient et en restant ‘street’ ! Un autre monde est possible ».

Pour Jérémie Fontanieu,  socio et philo sont des armes précieuses pour comprendre le monde et l’énergie de la banlieue est une des clés qui permet de le chambouler. Ce « big-bang académique » tant souhaité il n’en est « qu’un acteur parmi tant d’autres ». Il est sûr d’une chose c’est qu’« il se passe quelque chose à Eugène DelacroixLa dynamique est et sera collective, si on travaille entre collègues et avec les parents, les élèves acquièrent une puissance stupéfiante ».

A suivre…

Balla Fofana

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