Avec le recul, j’ai sous-estimé l’importance de l’année de terminale. Ce qui comptait, c’était le baccalauréat, et décrocher le précieux sésame pour l’université. Mon eldorado. J’ai été bercé par les illusions du système français, à savoir qu’un diplômé est une élite ; et qu’une élite ne tombe jamais en désuétude. Je n’avais ni grand-frère, ni grande sœur, ni parents capables de m’éclairer, quand bien même je pensais que tout était clair. Alors, sur le minitel (pour ceux qui connaissent) et mon dossier d’orientation, j’ai choisi le droit parce que d’une part j’étais nul en sciences et que, d’autre part, j’aimais bien le côté prestigieux de la discipline. Pour faire quoi ? On verra en cours de route.

Au bout de six mois, les cours de droit constitutionnel m’avaient complètement épuisé. Ca ne m’intéressait pas. J’avais besoin de quelque chose d’autre. Au milieu de ces procureurs juniors, j’avais l’air complètement perdu. Une seule solution, la réorientation dès la première année, parce que si je restais, je me condamnais. Ou ils finiraient par me condamner, ce qui revient grosso modo au même.

J’ai trouvé refuge en histoire « grâce » à une conseillère d’orientation. J’avais une aversion profonde pour ces gens depuis le collège, quand une de ces illuminées avait proposé à mes parents de m’envoyer faire de la métallurgie. Mais là, j’étais dans l’urgence. Il me fallait un conseil, un chemin, une voie. « L’histoire, me dit-elle, est surtout réservée à ceux qui se destinent à l’enseignement mais c’est un cursus de culture générale qui vous ouvre d’autres portes ». Parfait. C’est tout à fait ce qu’il me faut.  Cinq ans et une maîtrise plus tard, je me souviens des quolibets de mes potes sur mon « CAP Louis XIV » ; ticket gratuit pour ce qu’on appelait il y a encore quelques années « ANPE ». A l’époque, je ne le ressentais pas comme ça. J’étais persuadé qu’avec un bac+4, sur le marché du travail, j’étais une denrée rare. Une perle. C’est ce qu’on m’avait pourtant laissé croire.

Visiblement, j’ai été berné. Des bac+4, il y en a des milliers au chômage, avec comme compagnons d’infortune leurs aînés, les bac+5. Comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, le chômage des jeunes devient l’une des problématiques majeures en France. Autrement dit, à moins d’être un sacré veinard, je risque  d’être souvent refoulé à l’entrée. Tenue correcte exigée. Oui, une maîtrise d’histoire équivaut presque à se pointer devant le DRH en jeans baskets. Deux ans de recherches intensives, et quelques petits boulots que j’aurais pu faire avec mon brevet des collèges, ont fini de me convaincre de la gravité de ma situation. Mettre de la salade sur un pain toasté ou ranger de la lessive sur un étalage ne nécessite aucune connaissance particulière, seulement un minimum de condition physique.

Le moral est au plus bas. Je n’ai pas la « gueule de l’emploi » : en plus du faciès, pas de place pour les intellos. Avec la crise, je n’ai même plus le luxe de décrocher un entretien. Je suis un pestiféré. Les états généraux de 1614 ou la Révolution russe de 1917, tout le monde s’en contrefout. En fait, je crois qu’on se méfie. « S’il est assez fou pour avoir fait de l’Histoire, qu’il persiste dans son hérésie », doivent se dire les recruteurs. « Qu’il fasse prof bon sang ! » Et si je ne veux pas ? Vous y avez pensé, à ça ? J’ai bien mis en avant mon esprit de synthèse et mes qualités rédactionnelles. Mais je suis un marginal.

Comme dans ces films de conspiration, c’est à la fin du complot que tous les éléments reviennent d’un coup en pleine figure. D’abord, je suis tombé au plus mauvais moment. L’université française est à l’agonie, gisant dans une mare de médiocrité. Ici, vous pouvez tout étudier, même l’anthropologie des habitants de l’Atlantide. Mais personne ne vous dit clairement que c’est un suicide. Ensuite, les mentalités n’évoluent pas dans le bon sens. Dans le privé, il y avait pour moi des postes taillés sur mesure. J’aurais sûrement dû mentir, me présenter avec un bac+2 et quelques expériences bidonnées pour faire valoir mes chances. Je ne voulais pas. Et surtout, je ne savais pas. Mon bout de papier bardé de tampons – mon diplôme – est en fait bel et bien ce qu’il paraît être, à savoir un simple bout de papier bardé de tampons. Entre nous, il n’a pas franchement d’utilité concrète ; si ce n’est me permettre de répondre de temps à autre aux questions de Julien Lepers. Et encore.

Au cours d’une réunion d’anciens élèves à laquelle j’ai assisté il y a une semaine, beaucoup parlaient de quitter la France. C’est malheureux. On devrait sensibiliser les jeunes beaucoup plus tôt concernant le chômage. C’est une situation à laquelle tout le monde doit être préparé. La crise économique a bon dos. Les politiques se font une joie de justifier leur inertie par les aléas du CAC 40 ou du Nasdaq. A ce rythme, c’est parti pour durer. Même les vœux des futurs présidentiables sont teintés de défaitisme. Alors, pour vaincre le chômage, rien de tel que la prévention. Je ne parle pas d’un stage en supérette en classe de troisième ; plutôt de véritables structures d’orientation, capables d’analyser, puis de communiquer avec clairvoyance les opportunités par secteur. Car le chômage n’est pas qu’un échec à l’échelle politique, c’est aussi le symbole d’un pays qui à terme, n’aura même plus quoi faire rêver ses jeunes pousses.

Ramsès Kefi

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