Lits superposés, posters de l’Olympique Lyonnais et dessins de drapeaux tapissent les murs. C’est dans cette chambre d’adolescent que se dévoile, à travers les faits marquants de ses dix-neuf ans de vie, Samy Khalil Alain Fernand Morin.

Le magnétophone se met en marche. Samy prend la pose, prend la chose au sérieux. Son jogging Adidas et son rire trop souvent nerveux retirent de sa prestance, mais il s’en fiche. Trop souvent catalogué, il croit en une seconde chance.

« Le niveau ne baissait pas, mais il stagnait »

«Section d’enseignement général et professionnel adapté». Personne ne comprend réellement de quoi cela s’agit. Le sigle SEGPA parle plus. Cette section a accueilli Samy durant quatre années de sa vie, de la sixième à la troisième. Quatre années où il explique n’avoir pas fait grand-chose. «Un étouffoir» s’exclame-t-il avant de reprendre son souffle.
Il n’est pas arrivé là par surprise. Il s’y attendait. A tout juste 11 ans son avenir se voit déjà réduit à la « maçonnerie, la petite enfance ou la cuisine ». Lui se voyait commentateur sportif.

10301439_589542791165629_8052553818204068929_nL’étouffoir était inévitable. Au fil des années de primaire ses notes ont flanché. La moyenne, sésame pour entrer en générale,s’éloignait de plus en plus. Il ne cherche pas d’excuses, mais se souvient de son institutrice de CE2 : « Elle était un peu raciste, elle n’occupait que des élèves qu’elle aimait. Je n’étais même pas noté. Elle a été virée pour ça ».
En Segpa l’élève s’ennuie, mais ses notes explosent ! Moyenne d’histoire-géographie à 19,8. 17 en maths. Seul un maigre 7 en sciences vient ternir son bulletin.

Les professeurs sont démotivés. « Que de fautes ! Que de fautes !» s’exclamait même un instituteur lorsqu’une réponse se faisait désirer. Les élèves en classe de segpa ont des difficultés d’adaptation. Samy se plaint du fait que les instituteurs créaient des « cancres » : « Le niveau ne baissait pas, mais il stagnait. Ce n’était pas une vocation d’enseigner aux gens de Segpa ».

La déconsidération il la vit également dans la cour de récréation. « Il nous prenait pour des handicapés, des gogoles » ose-t-il. Sa revanche il la prend en cinquième lors d’un concours de géographie. « J’étais le seul élève de Segpa qui s’était inscrit. On se foutait de moi. J’ai gagné...». Il revit les moments, revit sa victoire. Les élèves refusaient d’admettre leur défaite face «à l’handicapé», ils tentent de le déstabiliser en lui posant des questions d’actualité auxquelles il répond sans broncher. Il était à présent le seul élève en Segpa qui « arrivait à traîner avec des élèves en générale ». Son exploit l’exalte.

Il faut dire que la géographie est sa passion. Très jeune il feuillette les pages de son atlas pour palier l’ennui. Des années plus tard le voilà qui enseigne à de jeunes enfants en moyenne et grande sections de maternelle les cultures du monde entier. Des parents viennent le féliciter, lui, Samy, moqué quelque temps auparavant. Au micro il s’excuse en se trompant sur la superficie de la Bosnie « C’est 51000, pas 50000 kilomètres carrés. » Il impressionne en contredisant les approximations de BFM TV.

« Courir vite c’est plus pratique pour échapper aux policiers »

Son rêve ? Partir au Kenya pour la culture et le sport. En effet, Samy est un grand sportif, plus joggeur du dimanche que coureur de jupons. Avec 3 minutes et 57 secondes au compteur sur 1500 mètres il est à quelques secondes des temps du championnat de France. Il jouera ceux d’Ile-de-France cette année. Ils ose espérer les Jeux olympiques, « avec beaucoup de travail ». Le sport lui redonne confiance en lui, l’aide à évacuer le stress. Mais même sur ce terrain là les critiques fusent : « Courir vite c’est plus pratique pour échapper aux policiers » lui lance un compagnon de course.

Samy est d’origine franco-algérienne. Au collège on le surnommait « la tige », en septembre dernier des policiers l’arrêtèrent dans la rue, car un « arabe fin et long » était recherché. En France on le voit bien souvent comme un Algérien. En Algérie on le voit comme un « parisien, un français ». Néanmoins il ne pense pas que les attentats du 7 janvier aient réellement accentué les amalgames et le racisme. « La 3e guerre mondiale dont certains parlaient n’aura pas lieu ».

Pour lui tout est clair : Il se sent plus français, car il vit en France, mais ne met pas de côté le pays de sa mère.
« Algérie France en face à face lors d’un match ? Je suis pour les deux. » Pourquoi devrait-il choisir un camp ?
Ni Mamadou Segpa ni Albert Einstein. Trop longtemps Samy a caché aux gens son passé en Segpa. Les moqueries avaient réussi à le couvrir de honte. Il se souvient des regards croisés lors des présentations à son CAP petite enfance. Aujourd’hui il s’assume et accepte la seconde chance qu’on lui offre.

Ni klaxonneur lorsque l’Algérie gagne un match ni 100% d’accord avec toutes les valeurs de la République. Comme beaucoup de gens, il ne souhaite être que simplement lui même.

Il est juste Samy Khalil Alain Fernand Morin.

Oumar Diawara

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