Grâce à la convention de jumelage du Festival IN d’Avignon et du collège Anselme Mathieu (84), qui compte près de 80% de familles en situation de précarité, des élèves sont sensibilisés à la pratique théâtrale. Nous sommes allés voir cela de plus près…

17 heures, dernier cours de la journée. Une salle parmi tant d’autres dans le collège Anselme Mathieu d’Avignon (84), classé « REP plus » comme Réseau d’Éducation Prioritaire. Deux fois par semaine, les lundi et jeudi, une salle est transformée  en scène de théâtre où se retrouvent les élèves de 3ème, pour un cours de théâtre. Une vingtaine d’élèves volontaires, dans le couloir, font leur entrée, les rires et les petites chamailles s’alternent, on est joyeux. « C’est le dernier et pas n’importe lequel », nous dit une élève, enthousiaste. On débarrasse la salle de ses tables, de ses chaises.

Ahlam, assistante d’éducation et comédienne, nous explique que le cours de ce lundi 30 novembre est particulier. Corinne Marques l’enseignante chargée de co-animer cette classe théâtre doit s’absenter pour un conseil de classe.

En cercle, au centre de la salle vide, les élèves se tapent dans la main en une sorte de ola footballistique  « On appelle cet exercice le passage d’énergie », nous dit Ahlam. « Cet exercice  permet de créer une cohésion de groupe, c’est très important ». La ola s’arrête, un moment, deux élèves se renvoient la tape entre eux, juste entre eux deux. On rit de nouveau. Petite remise à l’ordre… Et l’exercice reprend son cours.

Cette classe de théâtre est le fruit du jumelage opéré il y a de cela deux ans grâce, d’une part à l’ancien Ministre de l’Éducation Nationale Vincent Peillon et aux impulsions de Florent Briard, principal du collège, et d’Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon. Avec cette volonté de faire la « décentralisation des trois kilomètres », soit la distance séparant le centre-ville d’Avignon, écrin du Festival, de sa périphérie. Ce qui permet aux élèves des quartiers défavorisés d’Avignon de participer, eux aussi, à cette fête annuelle du théâtre. « Lors du dernier Festival, une parente d’élève avouait n’avoir pas mis les pieds au centre d’Avignon depuis près de dix ans » explique Florent Briard. Une occasion, unique donc, pour les élèves, et leurs parents, de ces quartiers défavorisés de découvrir le théâtre, sa magie. « Le but n’est pas de faire de ces élèves artistes, mais plutôt de les sensibiliser au théâtre et à l’art », glisse Florent Briard. Avec notamment la Web TV mise en place avec le Festival IN où certains élèves, volontaires, « sont formés à faire des reportages, ils interviewent des spectateurs ou un des metteurs en scène et le soir, ils vont assister à un spectacle. Et le lendemain, sous la direction de professionnels, ils font un compte rendu du spectacle et travaillent sur les interviews qu’ils ont effectuées la veille. C’est très intéressant », poursuit Florent, « parce que ça amène les élèves vers le théâtre, les rendant acteurs du Festival, de plus cela permet de les former à des compétences de communications médiatiques et numériques. Mais le plus difficile, c’est d’impliquer les parents dans cette sensibilisation. Pour que les élèves participent au stage durant le dernier Festival, il a fallu établir toute une logistique ».

Une sensibilisation au théâtre et l’art passe également par ces cours, où les élèves découvrent, de l’intérieur, la pratique théâtrale en se la réappropriant. Ahlam, l’animatrice, demande aux élèves : « faites comme si vous marchiez sur l’eau ». Quelques blagues fusent. « Je ne sais pas nager ». Puis on s’attelle à l’exercice, on passe par divers éléments, le feu, la terre, le vent. Le but étant que les élèves comprennent, de l’intérieur, comment on fabrique un personnage.

17h 30, les exercices achevés, les élèves s’installent au fond de la salle. Maintenant, ce sont les improvisations : deux par deux, les élèves passent devant leurs camarades spectateurs, en racontant une histoire. « Il faut qu’il y ait un début, un déroulement et une fin » leur dit Ahlam. « Alors qui veut commencer ? » Petit silence, gêné, on se regarde. Une se lève, timide, suivie d’une seconde. Les deux élèves s’en vont dans le couloir, on entend, dans le silence, quelques chuchotis, en se met d’accord, sur les personnages, le contexte. Et puis Amira et Aïmen nous reviennent, l’une campant un personnage nerveux, survolté, Aïmen incarne plutôt un personnage lent. Les deux personnages discutent avant de se chamailler. On parle d’un rendez-vous. On mime l’incommunicabilité. Les camarades spectateurs, rient, moquent les improvisateurs, mais on leur glisse des idées « fais le gars qui veut fuir Aïmen ! », « dit-lui qu’elle t’embête ! ». Ahlam met fin à l’improvisation à coups d’applaudissement. Aïmen et Amira, sortent de leurs personnages, les gestes du premier deviennent plus fluides, quant à ceux de la seconde se ralentissent. On discute alors de la scène vue, « est-ce qu’il manquait quelque chose ? » demande Ahlam. Quelques oui fusent. « Quoi ? ». Un élève rétorque : « la fin… je crois… je sais pas ». « C’est un peu ça » dit Ahlam « mais le reste était bien ».

On passe à d’autres improvisations. Quelques élèves défilent.

18 heures sonnent la fin du cours. On remet la salle en état. Chaises et tables. On range ses affaires. Nous en profitons pour parler un peu aux élèves avoir leur sensation, sentiment. Amira nous dit que « c’est le jugement que peuvent avoir les autres élèves qui gêne un peu, mais c’est pour ça aussi que je fais cette activité, c’est pour dépasser cette gêne ».  Des propos que confirme Aïmen : « c’est vrai le regard des autres me gêne un peu ». Le temps pour Amira de conclure par un « même si c’est difficile parfois, moi, je recommande le théâtre à tout le monde » tandis que le reste des élèves de troisième s’enfuient par les couloirs. La journée est finie. Rendez-vous jeudi. Où l’on « reprendra la préparation du Barbier de Séville avec Corinne Marques » nous dit Ahlam.

Ahmed Slama

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