Le nouveau président de la République, François Hollande, rend hommage à l’ancien ministre Jules Ferry et à Marie Curie, prix Nobel de physique et chimie, premiers symboles de son quinquennat. A peine entré en fonction à l’Élysée, le président dépose donc une gerbe au pied de la statue de Jules Ferry au jardin des Tuileries à Paris. Si Marie Curie, seule femme à avoir obtenu deux prix Nobel, incarne le symbole de l’émancipation féminine et de l’intégration, elle, la Polonaise devenue Française, Jules Ferry représente un des « pères fondateurs » et bâtisseur de la troisième République, dont les noms hantent les plaques des rues et de nos avenues de France.

Wikipédia, l’encyclopédie désormais universelle, qui inspirera tellement d’exposés de collégiens ou d’élèves d’école Jules Ferry le présente ainsi. Né le 5 avril 1832 à Saint-Dié (Vosges) et mort le 17 mars 1893 à Paris, Jules Ferry est un homme politique français. Opposant à l’Empire, membre du gouvernement provisoire en 1870 et maire de Paris en 1871, il est l’auteur des lois de la IIIe République rendant l’instruction obligatoire, gratuite et l’enseignement laïc. Considéré comme le promoteur de l’« école gratuite, laïque et obligatoire », il est devenu plusieurs décennies après sa mort, une figure emblématique de la laïcité française et l’un des pères fondateurs de l’identité républicaine. Parallèlement, Jules Ferry montre au cours de sa carrière politique un fort engagement pour l’expansion coloniale française, en particulier au Tonkin.

Évidemment ce n’est pas tout. Selon Pierre Barral, professeur émérite d’Histoire, auteur de l’ouvrage Jules Ferry, aux Presses universitaires de Nancy, édité en 1985, et qui s’exprimait dans un documentaire intitulé Jules Ferry, le constructeur laïc : « Jules Ferry est un homme de gouvernement convaincu que la République doit assurer la paix intérieure, doit assurer le développement économique et doit surtout assurer, à la France, un prestige suffisant. Jules Ferry disait : il y a une religion qui n’a pas de dissidence, c’est la religion de la patrie. Et pour lui, il y a une unité, très profonde, entre son action scolaire et son action coloniale. Et en ce sens, bien sûr, Jules Ferry est hostile à la Commune, et il est irrité par ceux qu’on appelle les radicaux, une extrême gauche qui est plus critique envers le pouvoir… »

Et l’extrême gauche, avec d’autres courants politiques, va le faire sortir de ses gonds lors de son fameux discours, prononcé à la Chambre des députés, le 28 juillet 1885, Les fondements de la politique coloniale et dont l’intégralité se lit sur le site de l’Assemblée Nationale.

Quand Jules Ferry clame : « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures… ». Le député Jules Maigne s’écrie : « Oh ! Vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l’homme ! », « C’est la justification de l’esclavage et de la traite des nègres ! » ajoute Louis de Guilloutet. Mais Jules Ferry ne désarme pas : « Il y a pour les races supérieures un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ».

Jules Ferry est donc entré dans l’Histoire notamment grâce à l’article 7 de la loi du 18 mars 1880, dites Lois Ferry, comme Ministre de l’instruction publique en imposant un enseignement obligatoire, gratuit mais surtout laïc, qui commencera à séparer la religion de l’école, en faisant un des fondements de notre République française et qui prévaut encore aujourd’hui. Néanmoins, il est moins rappelé le rôle qu’il a tenu aux côtés d’autres Républicains dit « Opportunistes ». Ces hommes d’Etat furent les promoteurs de la grande expansion de l’empire colonial français justifiée, notamment, et entre autres, par la supériorité de la race européenne. « Sous l’ère Ferry » furent conquises la Tunisie, le Soudan occidental, le Niger, la Somalie, Madagascar, le Tonkin et Annam.

Alors bien sûr, si le contexte de 1885 n’a plus rien à voir avec celui de 2012, nul n’ignore la force des symboles. Et au delà même du contexte, dès 1885, certains députés condamnaient fermement la conception raciste et pro colonialiste de Jules Ferry et d’autres Républicains Opportunistes… Or lui et Marie Curie sont les premières figures historiques à être célébrées sous la présidence Hollande. Alors pourquoi lui, sachant ce qu’il était profondément ? Jacques Brel s’interrogeait dans sa chanson « Pourquoi ont-il tué Jaurès ? » Sur le même refrain entêtant, on ne peut s’empêcher de se poser la question : pourquoi ont-ils choisi Ferry ?

Sandrine Dionys

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