Devant les locaux de Linkee, dans le 20e arrondissement, la file d’attente ne cesse de s’agrandir depuis le début de la distribution. Elle semble presque interminable. Onze mois se sont écoulés depuis la publication de la vidéo de Rémy Buisine, où des étudiants patientent dans le froid pour bénéficier d’une aide alimentaire. En ce soir de décembre 2021, l’image est toujours d’actualité, les étudiants sont toujours aussi nombreux à solliciter les associations alimentaires. L’indignation médiatique et politique en moins.

La file est encore plus importante que d’habitude.

Les étudiantes patientent dans le froid comme ils peuvent  en discutant entre eux ou en utilisant leur téléphones. « On a fait des créneaux horaires pour que les étudiants ne viennent pas tous en même temps et n’attendent pas trop longtemps. La file est encore plus importante que d’habitude », constate Julien Meimon, président et fondateur de l’association Linkee qui lutte contre le gaspillage alimentaire.

À l’intérieur des locaux, les dizaines de bénévoles s’occupent de la distribution de denrées alimentaires. Les étudiants qui ont patienté dans le froid ont le droit à des boissons chaudes avant de récupérer leur panier repas dans une ambiance chaleureuse.

Chez Linkee, chaque soir, des centaines d’étudiants viennent récupérer un panier repas. 

L’association Linkee distribue des paniers alimentaires pour environ 400 étudiants par jour. Chaque bénéficiaire reçoit un panier de denrées alimentaires entre 7 et 10kg. Légumes de saison, produits bios, pains sont distribués aux étudiants précaires. Des produits d’hygiène sont également distribués. « On fait en sorte que les personnes ne partent pas les mains vides », explique une bénévole affairée dans le local. 3 à 4 tonnes de denrées alimentaires partent par distribution.

Chez Cop’1, l’influence est aussi importante. Fondée par des étudiants de  l’année dernière en pleine pandémie, l’association distribue 700 paniers repas tous les jeudis, vendredis et samedis. « Les 700 places qui sont disponibles par semaine partent en 25 minutes », indique Jade, co-responsable de stocks de nourriture à Cop’1.

De nouveaux profils touchés par la précarité

Selon une enquête menée par Linkee, sur la base de 3 281 étudiants, plus de la moitié des inscrits à l’université ont eu recours à une aide alimentaire pour la première fois avec l’association. De nombreux étudiants ont perdu leur stage ou leur job à cause de la pandémie, et ne les ont pas retrouvés depuis.

J’avais un petit boulot que j’ai perdu. J’avais mis de l’argent de côté mais c’était un peu chaud.

Tiphaine, 23 ans, étudiante à  Paris 1 vient pour la première fois à Linkee, elle ne connaissait pas cette association. « C’est des potes qui m’en ont parlé », explique la jeune étudiante. Pendant la période de confinement, elle a pu compter sur ses parents : « Je suis rentrée chez mes parents, ce qui m’a permis de manger et de payer mon loyer. » À cause de la période de confinement, Tiphaine a perdu la seule source de revenus pour subvenir à ses besoins. « J’avais un petit boulot que j’ai perdu. J’avais mis de l’argent de côté mais c’était un peu chaud », confie Tiphaine qui attend son panier.

Des légumes, des pâtes, de la viande aussi dans les paniers repas… Certains étudiants ont passé des mois sans manger de viande.

Plus loin dans la file d’attente, Jade, étudiante en architecture d’intérieur attend son tour en pianotant sur son téléphone. C’est la deuxième fois qu’elle vient à Linkee. Elle vit dans un appartement étudiant du Crous de 22 m2 pour un loyer de 420 euros. Jade s’est débrouillée comme elle a pu pour boucler ses fins de mois. « Moi j’ai trouvé des back up plans. J’avais pas d’emplois étudiants. Je faisais des trucs de gauche à droite… », explique la jeune étudiante.

Malgré des mesures mises en place par le ministère de l’Enseignement supérieur (repas à 1 euros, l’augmentation des bourses du Crous), les dispositifs restent insuffisants face à la situation alarmante des étudiants précaires.

À l’association Cop’1, c’est le même son de cloche. Parmi les bénéficiaires, certains d’entre eux bénéficient d’une aide alimentaire depuis cette année. Fatima, étudiante en première année de licence d’histoire, a été touchée par les périodes de confinement. C’est l’un de ses amis qui lui a parlé de l’association Cop’1 « J’avais un job étudiant dans un bar, je mettais de l’argent de côté », déclare la jeune femme qui s’est rendue à la maison des initatives étudiantes dans le quartier de Bastille à Paris.

Du côté des associations, on note toujours des premières demandes d’étudiants précaires.

Devant la longue file d’attente, elle constate à quel point la situation des étudiants précaires est alarmante. « Ça me fait mal au cœur. À la base quand tu es étudiant tu dois te focaliser sur tes études. Moi aussi j’ai envie de leur proposer mon aide comme j’ai été aidée je veux aider les autres étudiants », lâche Fatima.

Les profils d’étudiants se sont diversifiés avec la crise du Covid. Les étudiants étrangers ont été très impactés par une crise qui s’éternise. Selon une étude menée par l’association Cop’1, 63% de leurs bénéficiaires sont des étudiants internationaux. La plupart d’entre eux ne touchent aucune bourse. Par manque de moyens certains d’entre eux ont des difficultés à se loger.

Des sacrifices pour boucler les fins de mois

Faire des sacrifices financiers sur leurs sorties culturelles ou encore leur nourriture, est un moyen pour les étudiants précaires de vivre de manière correcte. Certains ne vont plus consommer d’aliments considérés comme chers. « L’autre fois j’ai eu un bénéficiaire qui avait passé 1 an sans manger de viande ! Une étudiante m’avait dit aussi « Parfois je culpabilise car je pars au théâtre… », révèle Jade.

Je saute parfois les repas… Ça me permet de faire un peu d’économie

Par crainte de ne pas réussir à boucler leurs fins de mois, des étudiants précaires « rationnent » leur nourriture et sautent même des repas. Une bénéficiaire de Linkee ressort avec son panier repas avec lequel l’étudiante peut tenir au moins une semaine. Un phénomène confirmée par l’enquête menée par Linkee. Parmi les étudiants interrogés, 46% sautent les repas pour des raisons financières, 9 sur 10 d’entre eux ont été contraints de réduire la quantité et la qualité de leurs produits.

Dany, originaire d’Irak et étudiant dans la mode confie qu’il saute les repas pour mieux s’en sortir financièrement. « Je saute parfois les repas… Ça me permet de faire un peu d’économie », déclare le jeune étudiant avec un certain détachement, comme s’il ne considérait pas sa situation alarmante.

Emeline Odi

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