Nous sommes dans la seconde quinzaine de mai et la reprise des cours dans les collèges franciliens a été annoncée pour début juin. Il en est de même dans les lycées, mais l’information doit encore être confirmée à la fin du mois de mai. Voilà pour ce que l’on sait… C’est-à-dire pas grand-chose. « Rien n’est clair, confirme Sophie, professeure d’italien en collège à Paris. Les principaux commencent à préparer une éventuelle reprise, mais elles n’en savent pas plus que ça. »

C’est similaire du côté d’Areski, qui enseigne l’histoire-géographie dans un lycée du 93 et qui me confie être « complètement dans l’incertitude » : « La direction attend les directives ministérielles mais la position un peu implicite est de ne pas vouloir faire revenir les élèves avant la fin de l’année. » En effet, les sources d’informations sont diverses et se contredisent parfois. Ainsi, m’explique Véronique, professeure d’histoire-géographie dans un collège à Montreuil : « On a des infos qui passent par différents canaux, qui peuvent être institutionnels, syndicaux, ou qui nous arrivent de collègues d’autres établissements. »

Laurent, professeur de philosophie dans le département, embraye : « D’un côté, on a Blanquer qui parle tout le temps et partout ; de l’autre côté, on a le lycée. Il y a des syndicats qui envoyaient des courriers du genre : ‘Hors de question de reprendre si on n’a pas ça, ça et ça comme conditions qui sont réunies’. »

L’enseignant n’est pas favorable à une réouverture du lycée. « La direction de l’établissement était moins catégorique sur la reprise, c’était rassurant, veut-il croire. Ça voulait dire que quelles que soient les conneries qui allaient être dites nationalement, eux ils allaient gérer localement, et la mesure et le sens des réalités semblaient plus présents. »

Les bruits se croisent et rien n’est sûr. « La seule chose qu’on ait reçue de façon officielle du rectorat (de Paris), c’est qu’on ne reprenait pas avant début juin, indique Sophie. Par contre, début juin, on ne sait pas si on reprend ou pas. » Pour les professeur.e.s, c’est « une période de confusion » : « Les messages qu’on a reçus du chef d’établissement, c’étaient des messages un peu sibyllins ; il se réfugiait derrière les directives du rectorat, mais c’était assez flou quand même », confie Areski.

Un contexte anxiogène pour les profs et pour les élèves

Tou.te.s me confient être anxieux ou anxieuses vis-à-vis d’une possible reprise : « Je suis assez angoissé, exprime Laurent. Je me disais : ‘Blanquer est coupable de mettre en danger, déjà physique mais aussi en danger mental les élèves.’ Je vois comment moi déjà il me déstabilise, il t’annonce un truc, le contraire, il te dit que tout est sous contrôle alors que rien n’est sous contrôle. Je me disais : ‘Comment je vivrais ça si j’étais un élève, a fortiori des classes populaires, qui se pose des questions sur son avenir, est-ce qu’il va avoir son diplôme, que va valoir son diplôme, quelle va être la suite… ?’ »

Mais certain.e.s comme Sophie notent ce paradoxe : l’enseignement à distance, explique-t-elle, « c’est quelque chose qui ne me plaît pas beaucoup, puisqu’évidemment ce que j’aime énormément dans l’enseignement c’est le contact et l’interaction avec les élèves. J’espère que mes élèves vont bien et qu’on va les revoir. Mais je trouve que c’est vraiment prendre des risques pour rien. »

Sans compter l’absence de prise en compte de situations importantes. Véronique se prend en exemple : « Tout le monde ne peut pas travailler avec des masques, dit-elle. En tant que personne handicapée sourde, j’ai besoin de lire sur les lèvres. Au niveau des élèves et des profs avec un handicap, on ne rentre dans aucune catégorie, ce n’est même pas mentionné, on est inexistants, il n’y a que des valides. C’est un monde de valides, l’Education nationale. »

Pour le bac, qui doit être évalué sur le contrôle continu des premier et deuxième semestres, Laurent explique : « Le moindre mal, pour donner un bac, serait de le faire sur la base des notes qu’on a maintenant. Mais avec une règle nationale qui serait la même d’un établissement à l’autre. Or, dans mon lycée, comme il me semble dans la plupart, quand on coefficiente les moyennes de chaque matière, ça fait des résultats en dessous de ce que les élèves ont au bac. Avec une simulation, on a un taux de 20-30% des élèves qui ont le bac, alors qu’on était dans des taux bien supérieurs et même excellents ces dernières années dans notre lycée. »

Autre inquiétude partagée par tou.te.s : « Il faut aussi espérer que ce ne soit pas la victoire des cours à distance et du numérique », émet Areski.

A l’école, les digitale natives, c’est une légende

C’est peut-être à cause de ces mots apparus pendant le confinement, « présentiel » et « distanciel », qu’Areski trouve « insupportables », et de « la logique managériale » dont Véronique regrette la mise en place dans l’éducation nationale, que Sophie dit : « C’était un peu le rêve Blanquer de nous mettre derrière nos ordis et nous maintenir comme ça. J’ai l’impression qu’ils s’y sont tous mis, avec le langage qu’il faut, les outils qui se développent. C’était un de leurs trucs pour ‘mettre les profs au boulot’, parce que pour eux, vingt heures dans les établissements (sans compter les corrections, les préparations, les réunions, le suivi des élèves, bien sûr) ce n’est pas assez. »

Areski affirme : « Il n’y a pas de pédagogie numérique, c’est un outil qui est récent et intéressant, mais qu’il faut utiliser avec esprit critique. » Et Véronique ajoute : « Blanquer, c’est quand même un mec qui est très branché sur les digital natives (enfants du numérique) et s’il y a bien quelque chose que sa fausse continuité pédagogique nous a appris, c’est que pour le public scolaire, les digital natives, c’est une légende. »

Et la « méthode Blanquer », pour Laurent, c’est aussi « le mépris des profs, le côté autocrate. Et c’est vraiment anxiogène en fait. Y a la santé, y a la question des élèves et la question du statut des profs. »

Toutes et tous s’accordent sur le fait que l’école leur manque et surtout que, d’après les retours qu’elles et ils en ont eus, l’école manque aussi aux élèves. Et Sophie de conclure : « On aime l’école et on a envie de la préserver et quand on va manifester contre des réformes qui tuent l’école, ce n’est pas parce qu’on est accrochés à nos petits privilèges. »

Eva FONTENELLE

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