Depuis le mois de décembre, les élèves d’une classe de CM1 de l’école Paul Langevin de Villetaneuse (Seine-saint-Denis) n’ont plus cours. L’académie peine à remplacer leur enseignante gravement malade. Les parents d’élèves se sont déplacés aujourd’hui à l’inspection académique pour trouver une solution.
Début de matinée à Bobigny, dans les locaux des services départementaux de l’Education nationale les murs tremblent. Des élèves de l’école primaire Paul Langevin de Villetaneuse et leurs parents sont venus exprimer leur grande colère. Tapant sur les tables, sur les murs, venus faire du bruit pour qu’on les écoute, pour qu’on leur rende le droit commun.
Depuis bientôt quatre mois, les enfants d’une classe de CM1 n’ont pas cours. Depuis quatre mois, ils se rendent tous les matins à l’école dans l’espoir d’y voir un enseignant. Depuis quatre mois rien. Enfin si, en quatre mois, cinq remplaçants ont tenté de combler le vide de ces enfants. En quatre mois les élèves ont vu défiler cinq contractuels, présents un jour, deux jours, trois jours maximum. Puis rien, plus de nouvelles. «Depuis que leur maîtresse est tombée malade, nos enfants n’ont pas eu une semaine complète de cours » explique Madame Gursay maman d’élève venue faire part de son désarrois. Treize parents d’élèves se sont ainsi rendu à Bobigny, dans un car affrété par la mairie, dont la maire feignit ne pas être au courant de la situation de ces élèves avant quelques jours. La délégation de parents avaient ainsi rendez-vous à 10h, seulement, ce n’est qu’à 13h qu’un représentant a daigné les recevoir. « On nous a très mal accueilli, ils ne nous ont même pas dit bonjour» déplore Madame Daraim, maman d’élève « on attend depuis ce matin, les enfants n’ont même pas mangé, c’est grave» insiste-t-elle.
« On nous fait croire qu’un contractuel restera toute l’année mais ce n’est jamais le cas »
imageOmar, Lina, Massinina, Narmin, Yannick, Youssouf, et d’autres enfants victimes de la pénurie de prof en Seine-Saint-Denis jouent gentiment en attendant qu’on daigne leur expliquer pourquoi leur enseignante n’a toujours pas été dignement remplacée « leur maîtresse est souffrante, elle a une grave maladie et est handicapée, c’est une très bonne enseignante et on comprend tout à fait qu’elle soit en arrêt maladie. Ce qu’on ne comprend pas c’est que ça va faire bientôt 4 mois que nos enfants n’ont pas de remplacement. Les enfants font des coloriages toute la journée. Ils sont mélangés dans des classes de CP et font du coloriage » expliquent des mamans d’élèves « on nous fait croire qu’un contractuel restera toute l’année mais ce n’est jamais le cas. » s’indignent-elles.
La classe de CM1 n’aura pas de bulletin ce trimestre « pas de livret, pas d’évaluation, pas de carnet, pas de piscine » ajoute Madame Benahmed. Omar élève de cette classe s’en attriste «  en CP j’avais des bonnes notes, en CE1 en CE2 aussi, mais là je comprends pas ce qu’il se passe cette année ». Ce qu’il se passe, c’est que l’école publique est en état de crise. N’importe quel détenteur d’un Master 1 peut devenir enseignant vacataire. Très mal payé, complètement déconsidéré, sans statut solide, difficile pour eux de tenir. Diplômé d’un Bac+4, on peut aussi devenir vacataire, même sans formation à l’enseignement, difficile de tenir longtemps. Pendant ce temps, les enfants payent au prix fort « un des vacataires a commencé en leur donnant une punition, vous imaginez l’image qu’ils auront de l’école ? » explique une maman, « Moi, mon fils il me dit soit on n’a pas de maîtresse, soit on a des punitions » confirme une autre. Un cauchemar pour ces enfants qui passent leurs journées au fond des classes de CP « ils le vivent très mal, ils sont très nerveux et en colère » explique Madame Gursay « Mon fils aimait l’école, il aimait sortir, maintenant il ne comprend plus pourquoi il devrait aller à l’école. Il me dit  » je vais pas à l’école j’ai pas de prof «  ». « En plus les autres enfants se moquent d’eux en les traitants d’ânes » s’indigne une troisième maman.
Un département en difficulté
Tous les parents savent que la Seine-saint-Denis est propice à ce genre d’inégalité « on sait que dans le 93 on a des difficultés, on les connait, mais on sait aussi qu’on ne veut pas nous trouver de solutions » explique l’une d’entre elles « On est abandonné dans ce département! » confirme une autre. « On sait qu’on a toujours du retard, des lacunes à l’école primaire, au collège, au lycée. Ma fille a été choquée quand elle s’est retrouvée à l’université avec d’autres étudiants. Par rapport à eux elle était très en retard. On n’a pas le même niveau.» Tous témoignent une criante réalité, les quartiers considérés comme difficiles, notamment en seine-saint-Denis, n’attirent pas le corps enseignant.
Un rapport récent de la Cour des comptes rappelait que les écoles parisiennes bénéficiaient de 47% fois plus de moyens que les groupes scolaires de banlieue. Chaque année, l’académie de Créteil gagne plus d’élèves et perd plus de profs… A terme, ceux qui voudront un enseignement de qualité devront aller dans le privé. C’est le cas de deux parents d’élèves présents aujourd’hui dont les filles collégiennes iront dans le privé l’année prochaine. Qui restera dans l’école de la république dans les années à venir ? Les classes précaires dans des quartiers pauvres induit une généralisation de la pauvreté à tous les niveaux. Quel avenir pour ces enfants qui grandissent dans la culture de l’inégalité et du deux poids deux mesures? Quel futur pour Omar, Massinissa, Youssouf, Yannick, Lina et Narmin hier assis dans les escaliers d’une institution qui les a abandonnés?
A la fin du rendez-vous entre quelques parents et le directeur de cabinet du service départemental de l’éducation nationale, les solutions trouvées « les miettes » sont quasi caricaturales « il n’y a plus d’enseignants titulaires disponibles, nous allons former trois vacataires et les évaluer pour qu’ils prennent en charge la classe jusqu’à la fin de l’année. Puis les enfants auront des cours de rattrapage tous les après-midi pendant une semaine des vacances ».
Pas de cours, et pas de vacances. Double peine donc pour ces enfants nés du mauvais côté du périph’. Suite à ces propositions, les parents d’élèves sont sortis renforcés dans leur lutte pour l’égalité des chances, une pétition est disponible et une grosse mobilisation devrait être mise en place pour s’adresser à la ministre de l’Education nationale et lui rappeler que l’école c’est obligatoire dans les deux sens.
 
Widad Ketfi

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