« J’accuse ! Monsieur le Président, j’accuse le gouvernement de détruire l’éducation prioritaire au lycée… » Le poing levé, déterminés, face à une rangée de camions de CRS qui leur bloquent le passage vers le Ministère de l’Éducation nationale situé dans le très chic 7e arrondissement de Paris, une cinquantaine d’enseignants de lycées estampillés « éducation prioritaire » attendent d’être reçus par Najat Vallaud-Belkacem.

 

Rassemblés autour du collectif « Touche pas à ma ZEP », ils entendent faire valoir l’enseignement prioritaire. « Nous sommes ici pour défendre nos élèves, explique Nicolas Kemoun, professeur de SES au lycée Maupassant de Colombes (92), nous avons besoin de conditions d’enseignement favorables à leur réussite. Dans notre établissement, deux tiers d’entre eux viennent d’un milieu populaire selon les chiffres du Ministère. Alors si en plus, on nous enlève des moyens… Ils ont besoin d’être encadrés, d’avoir des effectifs réduits dans les classes et de bénéficier de toute une série de projets financés comme la possibilité d’entrer à Sciences Po Paris grâce à une convention ». Mathieu Moreau, enseignant à Saint-Ouen-l’Aumône et militant CGT, ajoute : « Non seulement on exige a minima le maintien des lycées en éducation prioritaire mais on demande aussi un élargissement de cette carte. Des lycées qui n’y sont pas méritent d’y entrer désormais ».

Les élèves sont aussi mobilisés, comme Honorine, Louisa et Nicolas en Terminale d’un lycée d’éducation prioritaire de Nanterre : « Nos profs sont derrière nous depuis 3 ans, à nous d’être derrière eux. On oublie trop que les ZEP aident les enfants défavorisés. On veut conserver nos droits et nos avantages ». Ces avantages comprennent par exemple un nombre d’élèves moins important dans les classes.

Nous avons ressenti beaucoup de mépris

A l’origine de l’inquiétude des profs, la nouvelle carte de l’enseignement prioritaire. En 2014, le gouvernement décide de revoir la carte des ZEP et entreprend une refonte géographique. Les Zones d’Éducation Prioritaire (ZEP) laissent place aux Réseaux d’Établissements Prioritaires (REP et REP+). Nouvel acronyme et nouvelles mesures : allégement des heures de cours pour les professeurs, la prime multipliée par deux, trois jours de formation continue par an. Problème : les lycées sont clairement mis de côté au profit des collèges et des écoles primaires. Toujours sous l’étiquette ZEP, ils attendent d’être intégrés à la réforme.

Mais pour l’instant, c’est le flou. Ces incertitudes ont conduit les enseignants à faire le pied de grue devant leur ministère de tutelle pour présenter leurs revendications et obtenir des informations supplémentaires. Ils ont dû se contenter d’une brève entrevue de 30 minutes avec des membres du cabinet de la ministre. « Ils nous ont écoutés mais n’ont donné aucune réponse. Le bureau nous a dit que les lycées de l’éducation prioritaire n’était pas une actualité ! », raconte Monia Hadj-Ahmed, professeur de SES à Epinay-sous-Sénard. Mathieu Moreau poursuit : « Les représentants de la ministre ont juste pris nos questions en compte, qui ne sont pas nouvelles. Nous avons ressenti beaucoup de mépris ».

Nous ne voulons pas d’un pin’s ‘éducation prioritaire’ mais de vrais moyens

Ce qui est sûr selon les enseignants, c’est qu’une sortie brutale des lycées du dispositif aggraverait les inégalités déjà existantes et aurait de nombreuses conséquences négatives sur les méthodes d’enseignement : « les effectifs par classe augmenteront, les cours en demi-groupe seront moins nombreux et la fin des bonifications risque de conduire les enseignants les plus expérimentés à faire jouer leurs points de mutation, laissant dans ces établissements une majorité de collègues inexpérimentés ».

C’est pourquoi ils demandent de réelles garanties : « Nous avons besoin d’une vraie ambition. Nous ne voulons pas d’un pin’s ‘éducation prioritaire’ mais de vrais moyens, soutient Nicolas Kemoun. Par ailleurs, il est incompréhensible de considérer que l’éducation prioritaire puisse s’arrêter à la fin du collège. Les lycées qui étaient classés ZEP recrutent dans des bassins où l’essentiel des collèges sont classés REP ou REP+. Les difficultés sociales et scolaires des élèves ne disparaissent pas par magie à l’issue du collège ».

Du côté du ministère, on assure que « les critères d’allocation des moyens pour les lycées en éducation prioritaire ne sont nullement remis en cause ». Dans un communiqué du 30 septembre, Najat vallau Belkacem veut calmer la tempête : « Ces inquiétudes sont infondées et le ministère de l’Éducation nationale tient à rassurer ces enseignants. Comme le ministère l’a rappelé [jeudi] à la délégation syndicale reçue, la réforme de l’Éducation prioritaire de 2015 ne concerne que les collèges et les écoles qui leurs sont rattachées au sein du réseau d’éducation prioritaire (REP). La révision complète des conditions particulières liées à ce statut (encadrements, décharges, indemnités salariales augmentées de 50% ou 100%) étaient liées à la révision intégrale de la carte sur de nouveaux critères, objectifs. »

Réduire les inégalités à l’école, une utopie ?

Créée en 1981 par François Mitterrand, l’éducation prioritaire concerne les établissements les plus défavorisés et concentre un fort taux d’élèves en difficultés. Cette politique censée être temporaire multiplie pourtant les dispositifs depuis plus de 30 ans. L’objectif annoncé : donner les mêmes chances de réussite à ceux qui ont le moins.

En début de semaine, le Conseil national de l’évaluation du système scolaire (Cnesco) publie les résultats d’une enquête sur les trente dernières années de politiques publiques en matière d’éducation. Conclusion : l’éducation prioritaire contribue au contraire au développement d’une « discrimination négative ». L’éducation prioritaire tolère, de fait, la ségrégation sociale et scolaire. « C’est vrai qu’il y a peu de mixité, assure Nicolas Kemoun, j’ai 80 % de mes élèves qui sont issus de l’immigration maghrébine, ça n’est pas représentatif de la population française. Moi j’aimerais bien qu’il n’y ait plus d’éducation prioritaire, mais on fait quoi à la place ? »

Les enseignants n’ont pas dit leur dernier mot. Ils prévoient des actions locales (communication auprès des parents et des élus, occupation des établissements, etc.) et une assemblée générale lundi à la Bourse de Travail, à République pour décider des suites à donner à la mobilisation. Le combat est loin d’être terminé.

Leïla KHOUIEL et Sarah ICHOU

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