« C’est rapide d’aller jusqu’à Reims, même pas eu le temps de fermer les yeux ». Une phrase, aussi anodine qu’habituelle, prononcée à bord du TGV pour aller à Reims, par celles et ceux qui se rendent dans l’une des capitales régionales de l’Est de la France. Depuis Paris, le centre ville de Reims est à 45 minutes grâce à la ligne TGV, en place depuis 2007. Trois quarts d’heures qu’il faut aussi, en moyenne, aux Franciliens pour le trajet du domicile vers le bureau.

L’obligation de partir à Paris pour trouver du travail pour certains

Le rail a donc fait de la cité champenoise l’une des premières villes du Grand Paris avant l’heure. « Il suffit de voir le TGV le matin, c’est bondé », explique Zabbaou Liman, rémoise et responsable des relations internationales au sein de la ville de Montreuil. « J’aurais bien voulu travailler à Reims, ou une ville du département. Quand je suis revenue à Reims après mes études, je me suis dit ‘je veux trouver un emploi dans ma ville, mais une fois les études terminées, on a plus beaucoup de choix », confie la cadre qui s’étonne du paradoxe entre la diversité de l’offre de formation universitaire de la ville et le manque d’opportunités pour beaucoup, notamment issus des quartiers populaires.

Ce n’est pas tout le monde qui peut habiter à Reims et travailler à Paris.

« C’est une réalité, le processus de recrutement de Paris, est différent de celui de Reims. A Paris, on va moins compter sur le réseau, à Reims c’est plus compliqué », glisse Youness Belkharraf, responsable de formation dans l’antenne Grand-Est de Simplon, start-up nationale spécialisée dans les métiers du numérique. Ce « pur produit rémois » issu du quartier Wilson, comme il aime à s’appeler lui-même, se désole devant le manque d’accès à l’information pour les offres d’emploi, qui se règlent souvent avant Linkedin.

« C’est dû à notre histoire, on est une ancienne ville romaine, une ville d’anciens grands financiers, une ville de riches aussi », ajoute Youness pour décrire la cité que l’on surnommait « ville des sacres », théâtre des couronnements royaux jadis, et où aujourd’hui l’entre-soi continue d’éloigner certains talents, notamment ceux issus des milieux les plus pauvres.

Un effet TGV sur les emplois de la ville ?

Au quartier Croix-Rouge (Quartier Prioritaire de la Ville), où le taux de chômage peut atteindre plus de 40% de la population, la capitale fait désormais partie des options presque obligatoires pour trouver du travail. « Je dis à tous les jeunes, diplômés ou non, issus de QPV ou non, de chercher au niveau national et d’être dans une logique de mobilité géographie, et même dans les métiers. A Paris, on sait que le marché de l’emploi est plus favorable qu’à Reims. De ce point de vue là, 45 minutes de trajet c’est pas grand chose », remarque Youssoufou Diakité, conseiller emploi et formation à la mission locale de la ville, qui constate aussi qu’il est l’un de ses seuls de sa génération à être resté à Reims. D’autres ont fait le choix de faire leur études ailleurs et sont restés loin de leur ville natale.

Mais aller tous les jours en région parisienne a un coût. L’abonnement mensuel à la SNCF coûte à partir de 496 euros. Une somme qui peut-être prise en charge à 50% par un employeur privé. Une prise en charge plafonnée à 89 euros par mois quand on est employé dans le secteur public. « Ce n’est pas tout le monde qui peut habiter à Reims et travailler à Paris », ajoute Zabbaou Liman.

Y’a-t-il eu un « effet TGV » sur le dynamisme des offres d’opportunités à Reims ? D’après Le quotidien économique Les Échos, la création d’emplois directement liés à la ligne à grande vitesse ont explosé, jusqu’à atteindre plus de 500 par an, contre une cinquantaine avant 2007.

Pour ceux qui restent : développer un autre réseau

Un dynamisme qui peine encore à atteindre les jeunes diplômés issus des quartiers populaires de la ville. « L’adresse peut-être un élément discriminant, pour ceux qui habitent dans certains secteurs comme Croix-Rouge. Il y a des étiquettes qui sont collées et qui ne facilitent pas l’accès à l’emploi », relate Zabbaou Liman, pour qui l’offre d’emplois doit être encore diversifiée.

« On est dans une agglomération entourée par le monde rural, la viticulture, l’agriculture, avec beaucoup de travail saisonnier. Il faut diversifier l’offre dans le tertiaire », ajoute la chargée des relations internationales de la ville de Montreuil, qui s’investit aussi dans la campagne des départementales sur la circonscription Reims 8, où l’on retrouve le quartier des Châtillons.

Je reçois des SMS toutes les semaines. J’essaie de partager mes contacts aux gens des quartiers.

Comme elle, d’autres Rémois issus des quartiers populaires de la ville font tout pour rebattre les cartes de l’emploi local. Younnes enchaîne les webinars, Covid oblige, pour développer un autre réseau disponible aux jeunes des quartiers populaires, notamment dans le secteur du tertiaire et des nouvelles technologies. « Je reçois des SMS toutes les semaines. J’essaie de partager mes contacts aux gens des quartiers. Il y a un bon élan à Reims ». 

De son côté, Youssoufou Diakité est aussi animateur du groupement de créateurs de l’ANCG et veut « voir le verre à moitié plein ». « On est des créateurs dans l’âme, il y a cette fibre. Et j’en ai vu monter les échelons », ajoute celui qui veille à ce que les petites trajectoires issues des quartiers d’e rentre dans la grande histoire de la ville. « Quand on parle de Reims, on parle du Stade de foot, du champagne…  Il faudrait valoriser les trajectoires issues des quartiers prioritaires de la ville. On veut apporter notre pierre à l’édifice ». 

Jalal Kahlioui

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