Condition pour rentrer dans la vie active, le passage par la case stage est obligatoire pour nombre d’étudiants. Mais le pire n’est pas dans cette expérience, bien qu’il soit souvent atteint, mais dans la recherche d’un employeur.

Avant, lorsque j’étais danseuse, j’avais l’habitude d’être « on stage » (en anglais dans le texte). Mais ça, c’était avant. Maintenant, je suis sur la touche, celle qui fait qu’en troisième année d’une école de communication et de marketing, tu galères pour trouver un stage. On nous avait prévenu, oui, c’est vrai, que chercher un travail dans le contexte actuel c’était la misère. Cette même misère qui nous condamne à demander à notre banquier si on peut couvrir notre découvert avec des tickets resto de huit euros cinquante et dégainer sa carte vitale au lieu de sa carte bleue pour payer notre Macdo, l’air abattu.

Mais force est de constater que parfois, la recherche de stage est aux étudiants ce que Véronique Genest est à la politique : une bonne blague et un combat perdu d’avance. Je ris, oui, mais je ris jaune mon espoir s’amenuise de jour en jour. Pourtant j’ai prié Sainte Laurence Parisot, patronne des tron-pa, sainte des saintes, j’ai allumé un cierge, mais cela n’a pas ravivé la flamme. Les annonces, elles, ne connaissent pas la crise. Elles affluent littéralement sur tous les sites d’offre de stage et forcément il y en a au moins une (au moins) qui te fait dire qu’elle est faite pour toi, que tu as trouvé le stage de ta vie. Bac +2-3: Check! Expérience souhaitée: Check! Parlant anglais: Check! Disponible maintenant: Check! Convention de stage: Check!

Tu exultes, mais c’est éphémère, car il faut savoir que l’ascenseur émotionnel d’un étudiant en recherche de stage, c’est comme d’ouvrir un énorme cadeau de noël et d’y trouver les tomes complets du Quid.

Tu as trois solutions :

– soit tu n’as de réponses, ou alors une réponse automatique type : « Cet expéditeur ne peut générer de réponse. Merci de ne pas l’utiliser pour communiquer avec les entreprises du Groupe. En utilisant cette adresse, vos courriers ne seront pas traités. »Ils sont sadiques, les mecs ne te laissent aucune chance de négocier, ils sont pires que le GIGN.

– soit l’employeur te demande deux années d’expérience minimum et une disponibilité à temps plein ; en bref, il veut un employé, mais il ne veut pas le payer (voir plus haut : la crise).

– soit ton profil correspond parfaitement et là tu passes ton entretien et « on vous rappelle dans la semaine ».

Pourtant, le stagiaire est le meilleur retour sur investissement qu’il existe, soyons honnêtes. Ça va, on ne coute pas très cher, on est payé 30% du SMIC et parfois on te paye en vêtements si tu bosses pour un créateur par exemple, ce qui vas très bien à bon nombre de filles. T’es pauvre, tu ne peux pas payer ton loyer, tu ne manges même pas de pâtes, mais tu peux toujours sauver les apparences et jouer le jeu de la fille fashion intolérante au gluten, ça fait très L.A [Los Angeles], tendance Gwyneth Paltrow qui en a rendu ses enfants anorexiques et sous-alimentés, la belle affaire.

Employer des stagiaires, c’est aussi faire du « team building » ( cohésion d’équipe), parce qu’on est là pour rehausser les égos piétinés de cadres hystériques qui s’en sont pris plein la gueule par leur boss et qui doivent bien passer leurs nerfs sur quelqu’un.

« – Hadji, j’espère que tu as bien envoyé le dossier débrief créa en 4 par 3, avec toutes les recos et les maquettes qui vont avec en colissimo, excepté pour l’agence x, l’agence x et l’agence x qui ont besoin du même dossier, mais en A3 avec les prototypes comme je te l’avais bien dit Hadji. Hein tu l’as fait, on peut compter sur toi Hadji, hein ?

Oui, oui, ce matin à 10h39, pile, comme tu me l’as dit et…

Quoi? Tu as envoyé les dossier débrief créa en 4 par 3, Hadji tu as fait cette erreur, Hadji tu as osé faire ça, alors qu’il faut toujours attendre la confirmation de madame Paponneau. Hadji, mais comment tu as pu faire ça ?

Ben.. Parce que tu m’as harcelé par mail, appels, sms, pigeon voyageur hier et aussi avant hier et aussi cette nuit pour que je le fasse donc je…

Je te déteste ! Tu as ruiné ma carrière Hadji, tu ruines toujours tout ! Je vais me débrouiller avec l’énorme connerie que tu viens de faire et devoir expliquer à Mme Paponneau que mon incompétente de stagiaire vient de foirer cinq éventuels contrats. Je te déteste. Vas me chercher un tall chai tea latte lait de soja extra shot de café, extra mousse. Tu as intérêt à avoir de l’argent, je ne suis pas un distributeur. Et ramène moi la monnaie, je te déteste, ne l’oublie jamais. »

Je plaisante (à moitié), c’est vrai que la vie de stagiaire c’est pas un remake du film Le diable s’habille en Prada mais c’est pas loin, je vous assure. Alors j’ai lu. Oui, j’ai lu un des ces livres de coaching américain qui vous promettent sur la première de couv (et approuvé par le très crédible quotidien britannique The Guardian) que : « si chaque candidat suivait les conseils de l’auteur, le pourcentage d’embauche augmenterait indéniablement. » Voili voilou, rien que ça.

Job. Interview success, Be your own coach [Travail. Entretiens d’embauche réussis. Soyez votre propre coach] Titre prometteur. Mais quand j’ai vu que la première partie du livre était « Do you really want the job ? » [Voulez-vous réellement ce boulot ?], je me suis demandé s’il ne se foutait pas juste un tout petit peu de ma gueule. Pourtant, nos profs ont fait leurs jobs à plein temps, rassurez-vous.

Mon prof de marketing nous a bien dit, l’air ennuyé, assis sur le bord de la table une jambe croisée, posture-choc du mec à l’aise dans ses baskets,« n’espérez pas trouver un travail payé direct deux mille euros en sortant de l’école ». En revanche, « choisissez bien vos stages,  ils seront déterminant de votre parcours professionnel. » Et aussi qu’il ne fallait pas hésiter à aller au bureau des stages, censé avoir pas mal de contacts. J’ai donc suivi la démarche et moi aussi j’ai fait mon job à plein temps et sans compter les heures sup´.

Sur le site du Sénat, il est dit, je cite : « Le ministère de l’Éducation nationale et de la culture est tout à fait conscient des difficultés actuelles des jeunes à trouver un stage en entreprise en raison de la conjoncture économique. » Mais ça nous le savons, y’a pas d’argent, c’est la crise, même Cahuzac, ministre du Budget a donné sa démission, mais pas pour les mêmes raisons. Il a rencontré un léger problème de trésorerie que Martine, de la compta, n’a pas pu régler, bref.

Car le site du Sénat dit aussi que : « Il est toutefois nécessaire que ces types d’actions (convention de partenariat) soient relayés au plan local par les établissements scolaires : c’est à eux en effet qu’il appartient de trouver des partenariats ou des jumelages avec les entreprises de leur région(…), de solliciter leur environnement économique. » J’ai donc, sur les conseils du Sénat et de mon prof de marketing, été voir du côté du bureau des stages, appelé communément par les élèves de mon école « la Cour des miracles ». Je ne comprenais pas pourquoi. J’ai très vite compris.

La seule chose qui tenait du miracle, dans cette pièce, était la présence de la responsable pour qui incompétence rimait avec existence. Son amabilité était à la hauteur de son incapacité à nous mettre en relation avec de quelconques employeurs et le seul jumelage qu’elle connaissait devait être celui de sa ville natale, Poissons, située en Haute-Marne, jumelée avec la ville d’Avril, en Meurthe-et-Moselle (vous l’avez ? )
Comme dirait Booba, b.a.-ba de la culture française : « Moi et mes kheys on part sur la Lune, amuse toi bien en Meurthe-et-Moselle ».

Hadjila Moualek

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