Louna*, 27 ans, étudiante en sciences politiques à P8, est solidaire des exilés depuis qu’ils occupent le bâtiment A de Paris 8, fin janvier 2018. Elle était présente ce mardi 26 juin à l’aube lors que les forces de l’ordre se sont déployées pour l’expulsion des exilés. « On se trouvait vers le bâtiment B. Dès qu’on a eu les infos de l’interpellation des exilés par les CRS, on a essayé d’aller chercher ceux qui dormaient dans le bâtiment A. Il était 4h35 mais les CRS étaient déjà à l’intérieur. Puis, on a couru sur la terrasse du bâtiment A. C’était la consigne qu’on s’était donnée en cas d’intervention des forces de l’ordre ».

Un CRS m’a dit ‘ferme-là salope’

Lorsque j’ai pris la parole sur la terrasse, au début de la nasse, pour donner les consignes en arabe, un CRS m’a dit ‘ferme-là salope’. Ils ont tous remis leurs casques, leurs cagoules et se sont mis en position. Ils ont commencé à nous charger de tous les côtés. Un des CRS a pris le mégaphone pour faire une première sommation en demandant de se mettre dans le couloir mais visiblement, ses collègues à l’intérieur n’étaient pas au courant et ont essayé de nous comprimer de tous les côtés. Puis, gazage. C’était impossible de respirer, il y avait beaucoup d’insultes. C’était très violent. » 

Les CRS nous attrapaient un par un et nous balançaient entre eux, comme une balle : insultes, coups. Moi, j’ai pris des coups de bouclier pour que j’arrête de filmer

Hamza*, 24 ans, étudiant à Paris 8, se souvient aussi que les violences ont commencé lorsque les consignes ont été données en arabe : « A partir du moment où on a parlé au mégaphone, on nous a tous poussés dans le couloir et les CRS ont remis leurs cagoules.  Les gaz, j’en ai reçus en pleine face. Les CRS nous poussaient et nous disaient de rentrer dans le couloir. Alors qu’il y avait un mur aussi derrière, ils compactaient de tous les côtés, on ne pouvait rien faire. J’étais avec une amie qui s’est faite piétiner. C’était difficile de respirer, il y avait des gens qui vomissaient, des gens en pleurs. »

Les CRS ont ensuite évacué une aile du bâtiment A en faisant passer les personnes par un couloir pour rejoindre le rez-de-chaussée. Parmi elles, Louna. « Dans le couloir et le long des escaliers, il y avait une sorte de haie d’honneur de CRS; en descendant, le long de cette haie d’honneur, les CRS nous attrapaient un par un et nous balançaient entre eux, comme une balle : insultes, coups. Moi, j’ai pris des coups de bouclier pour que j’arrête de filmer. On venait de se prendre du gaz dans les yeux et les CRS nous narguaient en disant : ‘Ca pique hein, ca pique hein’ »

On n’avait pas le droit de parler arabe. S’ils nous entendaient parler arabe, ils nous ont dit qu’ils nous casseraient les dents !

Louna parle de « séquestration » dans une salle où ils sont restés enfermés pendant plus de trois heures avec des consignes précises : « Le policier qui donnait les ordres à l’intérieur a exigé qu’on éteigne nos téléphones. Il était hyper menaçant, il nous a dit que sinon il les casserait. On devait montrer que nos téléphones étaient éteints. Pas le droit à de l’eau non plus pour se laver le visage alors qu’on avait tous le visage en feu. On n’avait pas le droit de parler arabe non plus. S’ils nous entendaient parler arabe, ils nous ont dit qu’ils nous casseraient les dents ! »

Selon Louna, un tri est effectué dans cette salle sur la base du faciès : « Par exemple, 2 personnes noires qui avaient leurs papiers ont été fouillées. Symboliquement, c’était archi violent de voir ce tri entre hommes noirs et hommes non noirs. Il y a eu des fouilles au corps et des fouilles de sacs. Puis, ils les ont emmenés sans plus de précisions. » Une version confirmée par Hamza qui en a aussi été très choqué : « Ce qui m’a le plus marqué, ce n’est pas tellement la violence, parce que j’ai vu pire à La Chapelle par exemple, c’est plutôt la façon de juger qui était sans papier ou pas : sur la base de la couleur de peau ou de la manière de s’habiller par exemple. On était une cinquantaine de Français dans cette salle et le tri s’est fait très rapidement. On est rentré avec une majorité d’exilés, environ 150, et en 5 minutes, il n’y en avait presque plus : ils les fouillaient et palpaient devant tout le monde ». Selon Luna, plusieurs personnes, à l’extérieur, ont tenté de venir les voir à la fenêtre de la salle : «. Il y avait un prof, des personnes solidaires qui nous ont emmené de l’eau et un journaliste de France Info qui est venu mais les policiers lui ont dit de partir. » Luna suppose que les forces de l’ordre l’ont gardée, elle, plus longtemps que les autres car c’est elle qui a pris la parole, en arabe, sur la terrasse. A ce moment là, les CRS ont sorti leurs téléphones portables pour la filmer. Elle ne sortira que vers 10h.

Ils nous poussaient, nous donnaient des coups et des insultes comme ‘connasses, salopes, putes’. Vers le milieu du couloir, soudainement, j’ai reçu un coup dans l’oeil, je demande ‘mais pourquoi ?

Myriam*, étudiante à P8 de 21 ans, solidaire des exilés, était également présente ce jour-là. Elle a été frappée violemment à l’œil. Elle fait aussi partie des étudiants emmenés avec les sans-papiers dans cette salle du rez-de-chaussée : « Je pense qu’ils nous ont emmenés parce qu’on essayait de tenir la ligne, de les empêcher de percer le bloc et d’emmener les exilés. Peut-être qu’on paraissait plus agités que les autres. Je dirais qu’on était une quarantaine de soutiens en bas, dans cette salle ». Elle raconte aussi cette descente violente de la terrasse du bâtiment A au rez-de-chaussée : « J’étais située dans la chaîne humaine, près de la porte, au moment où ils ont commencé à charger, ils ont essayé d’arracher l’ami qui était à côté de moi. On s’est débattu, on s’est fait gazer ; ils m’ont attrapé par les cheveux pour me jeter dans le couloir. Une fois arrivés dans ce couloir, il y avait des policiers de chaque côté, en rangées, il fallait passer au milieu. Un par un ou deux par deux. Ils nous poussaient, nous donnaient des coups et des insultes comme ‘connasses, salopes, putes’. Vers le milieu du couloir, soudainement, j’ai reçu un coup dans l’oeil, je demande ‘mais pourquoi ?’’ » En guise de réponse, Myriam raconte que les CRS continuaient de la pousser et de la sommer d’avancer jusqu’au bout du couloir. « D’autres soutiens étaient là. Notamment une amie qui s’est fait pousser juste avant moi ; je leur dis que je me suis prise un coup, que ma paupière est en train de gonfler. Je pleure. Je m’énerve contre les flics, je panique un peu. Et ensuite ils nous ont poussés dans les escaliers. Ils nous font descendre. Et à ce moment-là, je ne sais pas trop ce qu’il se passe, je suis sonnée ». Myriam se souvient que les forces de l’ordre se moquaient d’elle, de sa panique. « Ils faisaient des remarques ‘’on a une chouineuse’’ , ils se moquaient. Ils nous criaient d’avancer, de façon hyper agressive, nous poussaient. En bas, il y avait un nouveau couloir, puis on est arrivé dans la salle ».

Myriam, étudiante à Paris 8, a été victime d’un coup de poing à l’oeil lors de l’évacuation par les forces de l’ordre

« Une fois dans la salle, on est un peu tous énervés, on crie que c’est n’importe quoi. Ils nous demandent d’éteindre nos portables, de poser nos affaires par terre ». Myriam raconte aussi le même tri au faciès réalisé par les forces de l’ordre. Une fois que le tri est effectué, Myriam dit que l’ambiance se temporise. « Du coup, après, dans la salle, c’est un peu plus détendu. Il y a des gens qui chantent, des soutiens à l’extérieur nous amènent de la glace pour mon œil à travers les barreaux de la fenêtre. Les policiers m’avaient proposé une bombe à froid mais ils se sont aperçus qu’ils ne peuvent pas m’en mettre sur l’œil. Ensuite, j’ai demandé à aller aux toilettes mais il y avait encore un couloir avec plein de CRS qui se moquaient, qui me demandaient si je voulais ‘’qu’ils s’occupent de l’autre œil’’. Ils me reprochaient de ne pas dire bonjour ni aurevoir ; ils se marraient quoi ! Je suis sortie un peu avant 9h . Ils nous ont fait sortir cinq par cinq. Ils ont fouillé mon sac et ont pris en photo nos cartes avec identité.

Myriam s’est rendue chez le médecin le lendemain, mercredi 27 juin. « Il m’a dit que je devais aller faire des radios. » A la question de déposer plainte, la réponse est franche : « Je sais que cela ne sert pas à grand chose… » Myriam est révoltée par cette expulsion, réquisitionnée par la présidente de l’université : « Pour une université qui s’apprête à fêter le cinquantenaire de Vincennes, qui revendique cet héritage, c’est super choquant ! »

Un CRS m’a pris les cheveux par derrière et m’a mis un premier poing dans la gueule, dans le nez. Il a retiré ma tête en arrière et m’a remis un coup au niveau de la mâchoire

Lily*, 22 ans , est étudiante à Paris 1 en licence d’économie. Elle était elle aussi présente aux côtés des exilés le jour de l’expulsion des locaux de Paris 8 par les forces de l’ordre. Elle raconte les mêmes scènes que Louna, Hamza et Myriam. « Après la nasse, j’ai été prise pour aller dans une petite salle ; comme je suis petite, tout le monde m’écrasait et donc ils m’ont tirée. Dans le couloir, il y avait plein de forces de l’ordre. Ils étaient des deux côtés du couloir pour encadrer : je me suis rendue sans violence, par moi-même. C’était presque noir dans le couloir, les policiers nous poussaient de chaque côté, j’avais encore du gaz dans les yeux et j’entendais leurs insultes comme ‘salope, pute ‘. Je me suis cognée la tête sur l’une de leur protection à l’avant-bras. Dans le couloir, ils disaient, ‘avancez, courrez, courrez’. t  j’avançais. Et j’étais complètement terrorisée. Pour un CRS je n’avançais pas assez vite : il m’a pris les cheveux par derrière et m’a mis un premier poing dans la gueule, bien dans le nez. Je courrais la tête en bas parce que je venais de me prendre un coup. Il a retiré ma tête en arrière et m’a remis un coup au niveau de la mâchoire. Les deux coups ont été ultra rapides, le deuxième, je ne l’ai même pas senti tellement j’étais sonnée. Et c’est après que j’ai remarqué que je saignais du nez et de la mâchoire.

Lily se retrouve retenue dans la salle avec les autres étudiants et réfugiés. Elle aussi relate l’interdiction choquante de ne pas se servir des téléphones portables par les forces de l’ordre : « Dans la salle, je saignais de la bouche et du nez. Un ami a voulu prendre une photo : il sort son portable et les autres aussi pour avoir des preuves. A ce moment là, un CRS s’est mis à hurler, comme quoi on devait s’asseoir et lever les portables tout en haut et tous les éteindre. Moi j’ai voulu prendre mon portable quelques instant après pour pouvoir regarder mon reflet : pareil, le CRS tape du pied en criant ‘’vous levez le portable’’.

Les CRS se marraient en regardant la scène : ‘Oh tiens, c’est comme en Libye’, ont-ils dit en nous regardant

Lily raconte elle aussi le profilage ethnique qui s’en est suivi. « Il fallait qu’on soit un minimum écartés les uns des autres. C’est à ce moment-là que les CRS ont dit qu’on les avait ‘assez fait chier à vouloir rester sur la terrasse’’ ; ils ont pris le seul CRS noir pour passer entre nous et nous regarder. On la fermait tous pour qu’il ne voit pas qui parlait français ou pas. Ils ont embarqué les Noirs avec eux. Ils ont même pris mon ami noir, un Français ; il a refusé de montrer ses papiers, en solidarité. Un peu plus loin, les CRS se marraient en regardant la scène : ‘Oh tiens, c’est comme en Libye’, ont-ils dit en nous regardant ».

Lily a pris des photos de sa blessure en sortant de Paris 8 et s’est faite examiner par un médecin le jour-même. 

Photo prise par Lily suite aux deux coups quelle a reçus sur le nez le jour de l’expulsion mardi 26 juin

« A l’examen, il existe une douleur à palpation de l’arrête gauche du nez gauche et des narines ; il est retrouvé un oedème à l’arrête du nez et un décollage du cartilage de la narine gauche », peut-on lire sur le certificat médical. Même réaction que Myriam lorsque nous évoquons une éventuelle plainte face à ces violences : « Je ne vais pas porter plainte, la dernière fois j’ai voulu accompagner un ami et on avait refusé de prendre notre plainte. Donc là je ne me suis même pas posée la question ». Puis, après un instant de réflexion, elle enchaîne : « Ce serait quand même bien, rien que pour avoir une trace. Même si ça ne sert pas à grand chose, au moins pour ça…. »

Le certificat médical établi par le médecin de Lily atteste qu’il est retrouvé « un oedème à l’arrête du nez et un décollage du cartilage de la narine gauche ».

Z. est un exilé soudanais. Lui se trouvait à Paris 8 parmi les réfugiés. Il dormait lorsque les forces de l’ordre sont arrivées. Demandeur d’asile, il témoigne avoir reçu des coups de la part des policiers. « Quand j’ai essayé de me lever et d’attraper mes affaires, l’un des policiers m’a frappé, raconte-t-il. Je leur ai demandé si je pouvais au moins prendre mes chaussures. Ils ont refusé« .

 

Dans son communiqué du mardi 26 juin à la suite de l’expulsion par les forces de l’ordre des exilés de Paris 8, la préfecture de Seine-Saint-Denis avait déclaré « que l’opération d’ordre public s’est déroulée dans de bonnes conditions et aucun incident n’a été relevé ».

Contactée par téléphone, la Préfecture continue d’assurer au Bondy Blog, malgré les témoignages recoupés dont nous lui avons fait part, que l’expulsion s’est passée dans le calme : « Il n’y a eu aucune violence pendant l’évacuation policière. Ces témoignages ne correspondent pas à la réalité ».

Amanda JACQUEL avec Jean SEGURA

*Prénoms modifiés

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