Je suis retourné ce matin à la préfecture de Bobigny. Je vous avais raconté hier cette foule résignée qui fait la queue, chaque jour – absolument chaque jour ouvrable, tout au long de l’année – dès les petites heures de l’aube, pour accéder aux guichets de la Direction des étrangers. Ce matin, je suis arrivé plus tard, vers 9h, pour voir comment cela se passe à l’intérieur.

Cela valait la peine. Il y a d’abord ce joli panneau lumineux qui déroule en boucle le message suivant: « LA DIRECTION DES ETRANGERS EST HEUREUSE DE VOUS ACCUEILLIR. » A vrai dire, personne n’y prête attention ou n’en relève l’ironie involontaire, peut-être les heures d’attente au dehors (- 4 degrés, un petit vent insidieux) ont-elles émoussé le sens de l’humour?

Au premier flash de mon appareil, un policier m’avise et fait savoir qu’il est interdit de prendre des photos de la préfecture sans autorisation. D’accord. Mais j’ose parler avec les gens? Oui.

 

Les premiers que je rencontre sont Cherif et Khadijda, avec leur petit bébé dans une poussette. Il est Français, elle étrangère, ils sont mariés depuis un an et il faut renouveler la carte de séjour annuelle de Khadijda. Pas de chance, ils habitent à Aubervilliers. Cherif est venu une première fois, trop tard pour entrer. Hier il est parti de chez lui à une heure du matin, à pied, pour faire la queue dès 3 heures. Il est arrivé au guichet mais on lui a dit que la présence de sa femme était nécessaire. Alors ce matin, il est de nouveau parti à 1 heure, toujours à pied, tandis que sa femme le rejoignait en transports publics à 8 heures. Tout ça pour remplir un formulaire et obtenir un rendez-vous: le 24 février, il faudra revenir.

Ali est aussi Algérien, il me demande un peu de monnaie pour se tirer un café dans l’automate du hall. Il a 40 ans et vit depuis 20 ans en France. En juin, il s’est fait voler sa carte de séjour en Allemagne. Mauvaise idée. Comme il partait en vacances cet été, il fallait des papiers temporaires: c’est devenu un habitué de la queue de la préfecture, avec parfois une employée compréhensive qui tente d’accélérer le dossier, et parfois une acariâtre qui tente de le ralentir. De toute façon, son dossier s’est perdu, cet automne. Il faut recommencer, toujours en urgence car il part en avion « au bled » le 5 janvier.

Voici Khaled, encore un Algérien, avec sa femme française qui refuse d’être prise en photo. Dommage, elle est ravissante. Pour un banal renouvellement de titre de séjour, Khaled déballe son dossier: un, deux, trois, quatre, et maintenant cinq démarches, cinq fois la file, et souvent la présence de sa femme indispensable… Ils travaillent tous les deux – eh oui, ça arrive, même dans le 93! A chaque fois, c’est des journées de travail de perdues…

Enfin deux Tunisiens m’abordent dans le hall. D’abord Nadia. Elle m’avait déjà vu la veille. Elle est fâchée Nadia. Un de ses fils travaille comme steward aux Etats-Unis, « il a trouvé du travail en deux mois alors qu’ici, personne ne voulait de lui ». Le second achève une maîtrise d’anglais, « lui aussi, il va partir, sans doute en Grande-Bretagne! » Ensuite Zemzem, époux d’une Française et père de 4 petits Français. Il se demande comment on peut parler de « discrimination positive » quand chaque jour, de telles scènes se répètent.

Mais c’est fini. Un policier s’approche, alerté par le monde qui commence à s’agglutiner autour de moi. Gentiment, poliment, il me suggère d’aller demander une autorisation au Service de communication de la préfecture. Bonne idée! Je suis donc allé demander ce que le préfet pensait des ces scènes quotidiennes sous ses fenêtres et s’il ne jugeait pas une nouvelle organisation nécessaire.

– Adressez vos questions par écrit, m’a-t-on gentiment et poliment répondu, c’est la procédure.

Mieux vaut ça que faire la queue. J’adresserai donc les questions par écrit.

Par Alain Rebetez

Alain Rebetez

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