Du brouhaha se fait entendre dans l’une des salles du Centre culturel Guy-Toffoletti à Bagnolet. À l’intérieur, une quinzaine de jeunes venant de Seine-Saint-Denis sont réunis au chaud pour assister à un atelier de sensibilisation sur l’enjeu social et écologique de l’alimentation. Tous sont en service civique, certains accompagnent des personnes âgées dans le quotidien, d’autres font du soutien scolaire. Cette initiative est proposée par Makesense, une association créée en 2010 spécialisée dans l’engagement des citoyens. Cet atelier de sensibilisation est rattaché au programme Transition Juste proposé par makesense consistant à accompagner des groupes de jeunes à mieux comprendre les enjeux de demain en leur donnant les outils pour prendre des initiatives et faire bouger les choses dans leurs quartiers.

Irène Colonna d’Istria, directrice du programme Transition Juste, et Talia Sarfati, chargée de la transition des organisations chez Makesense, animent l’atelier du jour. Elles leur demandent de choisir l’un de leur plat préféré, de le dessiner sur une feuille puis d’expliquer leur choix. Dans une ambiance joviale, les jeunes se chambrent par rapport à leurs dessins. Pour Christopher, originaire de Pologne, c’est le Bortsch, un plat typique de plusieurs pays slaves à base de betterave. « C’est un plat de chez moi que l’on mange souvent à Noël ! », confie le jeune homme de 22 ans. D’autres font découvrir des mets de leur pays d’origine comme le Saka Saka (Congo) ou encore les Accras de Morue (Guyane, Antilles).

Depuis qu’il a commencé les ateliers avec Makesense, Luka se sent plus concerné par l’écologique. « Au début, je n’y connaissais rien. Parmi mes potes, j’étais le seul à ne pas être “calé” par rapport à l’écologie, ils m’apprenaient plein de choses. Maintenant, quand je fais mes courses, je fais attention au niveau de mon alimentation, je prends des choses qui sont vraiment correctes avec l’environnement », explique le jeune homme de 17 ans.

Des jeunes toujours aussi engagés pour l’environnement malgré des inégalités sociales et territoriales

Allycia, assise près de Christopher et de Luka, écoute attentivement l’atelier mené par Irène et Talia. Originaire de Pavillons-sous-Bois, la jeune femme de 21 ans est en service civique, elle travaille avec les personnes âgées et dans le domaine de l’environnement. « En faisant les ateliers avec Makesense, ça m’a poussée à me demander ce que je pouvais faire dans le social. L’engagement social ou environnemental, ça touche tout le monde et je trouve que les gens devraient s’informer sur ces sujets », estime Allycia.

La jeunesse française est  davantage intéressée par l’engagement environnemental ou social. Makesense a d’ailleurs publié une étude sur l’engagement environnemental des jeunes issus de milieux ruraux et/ou des quartiers prioritaires de la ville. Elle a été réalisée en 2023 auprès de 1 140 jeunes âgés de 18 à 30 ans. « Notre conviction est que les jeunes ont vraiment un rôle à jouer en ce qui concerne la transition écologique », défend Irène Colonna d’Istria. « Huit jeunes sur dix estiment que s’engager en faveur de l’environnement constitue un objectif désirable et atteignable », révèle l’étude Makesense.

Quand on n’est pas originaire d’une grande ville, ça peut être plus compliqué de trouver une association

L’engagement des jeunes se heurte à deux facteurs qui, d’après l’étude, sont source d’inégalités sociales et territoriales : le niveau de revenus et l’origine géographique. 58 % des personnes sondées estiment plus facile de s’engager pour l’environnement quand on vient d’une famille aisée. 4 jeunes sur 10 jugent que s’engager pour l’environnement est plus difficile pour les habitants des quartiers périphériques des grandes villes (47%) et des zones rurales (46%). Et enfin, 43% d’entre eux considèrent que c’est plus simple lorsque l’on grandit en centre-ville d’une grande agglomération. « Certains nous disaient qu’ils ne savaient pas qu’ils pouvaient s’engager sur leur territoire ou qu’ils ne connaissaient pas forcément les associations. La question de l’accès est centrale. Quand on n’est pas originaire d’une grande ville, ça peut être plus compliqué de trouver une association parce qu’il y a moins d’offres », indique Irène Colonna d’Istria.

Les actions individuelles privilégiées aux actions collectives

L’étude de Makesense met également en avant la manière dont la jeunesse française met en place ses initiatives engagées. 83 % des personnes interrogées estiment que les actions collectives ont plus d’impact que les actions individuelles, pourtant ce sont bel et bien les actions individuelles qui sont privilégiées par les jeunes Français. « Le discours dominant sur l’écologie est très porté sur les individus et la culpabilité individuelle, notamment le concept d’empreinte carbone », analyse Irène.

Certains militants privilégient tout de même les initiatives collectives, comme Faten, 19 ans, étudiante Bachelor Act à l’ESSEC Cergy. « Mon engagement est né du monde associatif, donc logiquement, je suis plus adepte des mouvements collectifs parce que je sens aussi que ça a plus d’impact et que ça permet d’attendre plus de monde. Je trouve que s’engager seule est très compliqué. Certes, on a une responsabilité individuelle, mais pour agir, je trouve ça plus cool d’être en collectif », glisse-t-elle au téléphone.

Lorsque l’on interroge certains jeunes de l’atelier, ils sont nombreux à dire qu’ils ne se retrouvent pas dans l’action militante telle que dépeinte par les médias traditionnels. « Par exemple, on a Féris Barkat, qui est le fondateur de Banlieue Climat ou encore Fatima Ouassak qui sont mis en avant par les médias. Mais je trouve que ce n’est pas suffisant. Quand je vais à des événements associatifs qui traitent de thématiques plutôt sociales il y a beaucoup plus de diversité dans le public. Mais quand je vais à des événements qui touchent à la cause du mouvement climatique et de la lutte environnementale, là, il y a une grosse différence et en fait, la salle est composée que de personnes blanches », déplore Faten. Un état de fait que ces jeunes œuvrent à faire changer.

Émeline Odi

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