Le 13 septembre 2017, le Comité International Olympique vote à l’unanimité en faveur de l’attribution des Jeux Olympiques d’été 2024 à Paris. Depuis, le COJO (Comité d’organisation des jeux olympiques) vante l’organisation d’un événement populaire et écolo, qui veut marquer un tournant suite à la perte de popularité de l’événement pour les habitants des pays hôtes.

Athènes, Londres, Rio de Janeiro, les dernières éditions des jeux ont toutes connues leur lot de controverses avec des déplacements de populations forcés, de larges dépassements des coûts d’organisation et une reconversion souvent ratée des infrastructures. À Rio, l’organisation de l’événement avait permis aux autorités de mettre en place une politique sécuritaire agressive de « pacification des favelas ». L’ONU y avait dénoncé un certain nombre de « violations des droits de l’homme ».  

À Saint-Denis, le Comité vigilance JO s’organise depuis 2017 et l’attribution des jeux à Paris pour surveiller et alerter sur ce genre de dérives. À un an de l’événement, Cécile Gintrac, membre du comité depuis sa création, revient pour le Bondy Blog sur les promesses des organisateurs et les réalités du terrain. Interview.

À un an des JOP, est-ce que selon vous les olympiades populaires et accessibles à tous, promises par les organisateurs, semblent se profiler ?

Les derniers événements ont remis en question cette opération de communication. Il y a une insatisfaction sur le prix des billets, on a vu qu’ils étaient peu abordables. Personnellement, j’ai essayé de prendre des billets pour des événements qui étaient à Saint-Denis, là où j’habite. Au Stade de France, c’est l’athlétisme qui est un peu l’épreuve reine, mais c’est plus de 600 euros la journée !

Beaucoup d’habitants du 93 réalisent qu’ils ne verront aucune épreuve des JO. Je sais aussi qu’il y a des sportifs qui ont signalé que leurs familles ne pourraient pas y assister.

Même question sur la communication autour de JO zéro carbone, les JO les moins polluants de l’histoire ?

C’est pareil, l’annonce zéro émission de carbone, on sait déjà qu’elle ne sera pas respectée. Plus largement, avec le comité de Vigilance, on essaie de mettre en avant les problématiques environnementales.

Au niveau des infrastructures, ils vendent des constructions zéro carbone. Mais la question de l’environnement est plus large et n’est pas réellement prise en compte. Le projet ne défend pas un environnement et une qualité de vie pour les futurs habitants des sites olympiques et les habitants actuels de Saint-Denis.

La destruction de jardins ouvriers pour construire un solarium, ça n’a évidemment pas de sens

En termes d’écologie, on peut évoquer les jardins d’Aubervilliers ou le village Médias à la Courneuve. Le fait qu’une piscine d’entraînement conduise à la destruction de jardins ouvriers pour construire un solarium, ça n’a évidemment pas de sens. Qu’une zone protégée non constructible devienne constructible à côté du parc de la Courneuve, une zone naturelle de 1000 hectares, là aussi ça pose question.

C’est pour ces raisons que le Comité Vigilance JO Saint-Denis a été créé. Pouvez-vous revenir sur la genèse de votre collectif ?

Le comité de Vigilance JO a été créé en septembre 2017. L’idée était de se réunir pour essayer de comprendre quels seraient les impacts pour Saint-Denis. On n’avait pas encore le détail des projets, qui ont, en plus, beaucoup bougé dans le temps.

Ensuite, il y a eu ce qu’on appelle les enquêtes publiques pour ces projets d’ampleur. On s’est retrouvés avec des milliers de pages de documents à décrypter pour bien comprendre ce qui se préparait. L’enjeu était de communiquer avec les habitants et les gens qui voulaient se mobiliser. On a essayé d’interpeller au maximum les pouvoirs publics dès qu’on sentait qu’il y avait des choses qui allaient poser problème.

On s’est rendu compte qu’il y avait un grand décalage entre la communication et ce qui était fait concrètement

Je signale que le comité de vigilance ne s’est pas positionné contre l’événement sportif en lui-même. L’idée, c’est de se dire qu’on nous a promis un héritage extrêmement positif pour le 93, on voulait voir si c’était effectivement le cas. Évidemment, on s’est rendu compte qu’il y avait un grand décalage entre la communication et ce qui était fait concrètement.

Voilà presque six ans que votre Comité se mobilise. Est-ce que vous avez réussi à gagner du terrain sur certaines choses ?

Pendant plus de deux ans, on a alerté sur la volonté de la Solideo d’annuler la création d’un jardin public dans le village des athlètes. Ça aurait créé un gros déficit d’espaces verts dans un quartier très dense qui accueillera 6 000 habitants. Notre lutte a permis au maire de Saint-Denis d’avoir un rapport de force favorable pour obtenir la mise en place de ce jardin.

Ils entendent les critiques, mais les ignorent pour des questions de rentabilité

Sinon, c’est un peu le rouleau compresseur. Le calendrier est tellement serré que les pouvoirs publics ne veulent pas reculer ou prendre de retard. Ils entendent les critiques, mais les ignorent pour des questions de rentabilité ou pour respecter les délais.

Il y a des changements seulement quand la justice intervient. Par exemple, pour le chantier du nouvel échangeur à Pleyel (quartier de Saint-Denis, ndlr), on avait obtenu une décision de justice favorable, les travaux avaient été suspendus un temps. Mais ça n’a pas duré.

Un autre point fait débat, celui du recrutement massif de bénévoles pour encadrer l’organisation des JOP, notamment en Seine-Saint-Denis…

Là aussi, on a un vrai souci. Dans le 93, l’argument, c’est de dire que, pour les jeunes de banlieues, ça fera joli sur le CV. Mais si ça correspond à un besoin en travail pour l’organisation de l’événement, il faut que ce travail soit rémunéré. Par ailleurs, ce qui a été proposé dans le département, c’est essentiellement des emplois dans la sécurité et dans l’accueil. Je n’ai pas vu beaucoup de cadres de l’organisation de Paris 2024 originaires du département.

Quel héritage concret peut-on attendre de ces JOP pour Saint-Denis et son département ?

On va avoir principalement de nouveaux quartiers. L’héritage pour le village des athlètes, c’est un projet de promoteurs immobiliers. Ils vont vendre des logements. Au début, dans le dossier de candidature, il était question d’avoir 40 % de logements sociaux. On est passé à 25 %. Le logement étudiant va être compris dans ces 25 %. Ce qui veut dire que les logements sociaux pour les familles du 93 qui attendent une place depuis longtemps ne va quasiment pas exister.

Pour les logements en vente, les prix sont très élevés, même le ministre du Logement avait été étonné lors d’une visite sur le chantier. Il était question de 6 700 voir 7 000 euros du mètre carré.

Les projets immobiliers ne règlent pas le problème du logement

Ensuite, il y aura des rénovations d’infrastructures sportives. Là encore, il faudra être extrêmement vigilant à ce qu’il n’y ait pas une privatisation pour financer ces sites sportifs et qu’ils restent bien d’accès public, avec des prix abordables pour les habitants.

Mais tous les projets sont décevants. Ils ne règlent pas les problèmes. Les projets immobiliers ne règlent pas le problème du logement. Ça ne règle pas les inégalités sociales ou l’injustice environnementale.

Propos recueillis par Névil Gagnepain

Photo : chantier du centre aquatique de Saint-Denis ©ComitéVigilanceJO

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