Abdoulaye s’est entretenu avec les membres du collectif Mwasi, qui lutte pour l’émancipation des Africaines et afrodescendantes. Comment est né le collectif ? Quelle est sa définition du féminisme ? Comment s’articulent ses luttes ? Entretien. 

Le Bondy Blog : Quand et comment est né le collectif Mwasi ?

Mwasi : Le collectif a fêté son premier anniversaire le 22 novembre 2015. Il a été créé par un groupe d’Afrodescendantes. Les premières femmes du collectif se sont réunies pour une marche silencieuse contre les violences sexuelles en RDC.

Le Bondy Blog : Comment définiriez-vous votre afroféminisme?

Mwasi : Il est bon de rappeler que l’afroféminisme n’est pas un bloc monolithique. Il y a différents afroféminismes. Le nôtre est non seulement pro-choix au sens où il défend le droit à l’avortement, la liberté de porter le voile ou non, la liberté d’expression corporelle et sexuelle, le choix de son identité de genre mais également intersectionnel, un concept popularisé par une afroféministe états-unienne Kimberlé Williams Crenshaw à partir d’un travail sur la violence domestique et l’isolement des femmes battues afro-étatsuniennes, rendues doublement invisibles par l’expérience croisée du racisme et du sexisme. C’est un outil qui permet de penser l’intersection des rapports de domination de sexe, de race et de classe. C’est en ce sens que nous sommes un collectif intersectionnel : nos luttes sont multiples et indémêlables. Elles s’attaquent aussi bien aux discriminations raciales, sexistes, classistes, validistes qu’à celles que subissent les minorités sexuelles et de genre face à la cishéteronormativité.

Le Bondy Blog : On porte aujourd’hui beaucoup d’attention au mouvement afroféministe en France mais on oublie l’histoire de la présence de féministes noires en France. Pouvez-vous retracer la généalogie de l’afroféminisme français?

Mwasi : Notre collectif n’est pas le premier collectif afroféministe en France. En témoigne l’existence de la Coordination des femmes noires de 1976 à 1982, un mouvement de femmes noires Africaines et Antillaises qui luttaient pour le droit à la contraception et à l’avortement, contre l’apartheid et la répression en Afrique ou contre les politiques impérialistes. De 1982 à 1994, le mouvement pour la défense des droits de la femme noire (MODEFEN) a pris le relais. Mais on pourrait remonter aux soeurs Nardal qui, dans les années 20, tenaient un salon littéraire à Clamart dont l’objectif était de mettre en relation les diasporas noires. Des féministes noires ont donc bien existé en France. Il faudrait cesser de se référer sans cesse aux États-Unis même si cela s’explique par le peu de visibilité et d’archives sur ce mouvement en France. Il est par exemple très difficile de se procurer un exemplaire de La parole aux négresses d’Awa Thiam, une des membres de la Coordination des femmes noires ou d’avoir accès à La Revue du Monde Noir fondée en 1931 par le Dr Sajous (Haïtien) et les soeurs Jane, Andrée et Paulette Nardal (Martiniquaises). Il faut raviver la mémoire des afroféminismes en France. Il y a actuellement un problème de transmission et d’institutionnalisation de ces luttes.

Le Bondy Blog : Vous prônez un savoir sur, par et pour les femmes noires au sein d’espaces non mixtes. En quoi cette non-mixité de race et de genre est-elle une « nécessité politique » pour reprendre l’expression de la sociologue Christine Delphy ?

Mwasi : C’est une nécessité politique parce que nous devons reconquérir notre droit à la parole. L’hostilité de certaines féministes à cette non-mixité perçue comme « communautariste » et « excluante » est assez surprenante quand on sait que la non-mixité est une tradition féministe. Ce qui dérange ces gen.te.s, au fond, c’est de ne pas avoir le contrôle sur nos luttes et notre agenda militant. De voir leurs privilèges mis en lumière. Nous affirmons être les mieux placées pour saisir les armes de notre émancipation. Ce n’est pas une non-mixité contre les autres. C’est une non-mixité pour nous retrouver entre nous, dans un espace sain et bienveillant où s’écouter et se soutenir. Un espace pour identifier et combattre les multiples violences que nous subissons en tant que femmes noires.

Le Bondy Blog : Vous portez un projet ambitieux de transformation sociale et politique, à la fois antisexiste, antiraciste, anticapitaliste et anticolonialiste. Dans ce cadre, comment construire des alliances avec d’autres organisations ou collectifs ? Sur quelles bases politiques ?

Mwasi : Nous avons certes besoin de faire des alliances intracommunautaires et extracommunautaires car nous avons peu de visibilité. Mais il y a des organisations avec lesquelles nous ne nous associerons jamais. Nous pensons notamment aux organisations antiracistes dites « traditionnelles » comme SOS Racisme qui se complaisent dans un antiracisme moral et interpersonnel, complètement dépolitisé, c’est-à-dire affranchi des rapports de domination et de pouvoir. Un antiracisme de surplomb sans les personnes concernées. Nous travaillons en revanche avec des mouvements comme celui de Cases Rebelles, un collectif politique d’afrodescendant.e.s fondé en 2010, ou Ferguson in Paris, né en septembre 2014 à la suite du meurtre de Michael Brown par la police américaine et dont l’action principale est d’informer et de lutter contre les violences policières en France.

Le Bondy Blog : Si vous deviez caractériser votre pratique du militantisme, vous diriez qu’elle s’apparente davantage à du cyber militantisme ? À du militantisme de rue ? Les deux à la fois ?

Mwasi : Nous sommes beaucoup dans la rue. Nous avons participé à plusieurs manifestations : les actions contre les viols en RDC, la manif du 8 mars à Paris, notre contre-manif du 5 septembre 2015 en soutien aux réfugié.e.s pour dénoncer le néocolonialisme, la marche pour Amadou Koumé et contre les violences policières le 10 octobre dernier, le rassemblement contre la pénalisation des Travailleu.r.se.s du sexe et de leurs clients, la 15ème marche des Trans, des Intersexes, les actions de justice climatique pendant la COP21, la marche pour les droits des femmes et des minorités de genre le 6 mars 2016. Nous avons également participé aux mobilisations contre la loi travail au sein de cortèges antiracistes pour dénoncer d’une part la destruction du droit du travail et d’autre part les inégalités et discriminations au travail auxquelles sont confronté.e.s les racisé.e.s, notamment ceux des classes populaires: écarts de salaire, contrats précaires, discriminations à l’embauche, femmes voilées exclues du travail, propos et agressions racistes et sexistes, précarité des travailleurs.euses sans papier, chômage de masse dans les quartiers populaires. Dernièrement, nous avons manifesté contre le salon de l’armement Eurosatory.

Nous sommes aussi très présentes sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, Periscope) qui nous permettent de relayer nos actions. Nous avons également un blog qui explique qui nous sommes, recense nos activités et partage des idées de lectures pour compléter ses réflexions afroféministes. Nous avons également organisé un événement le 31 juillet pour la journée internationale des femmes Africaines, qui fut un succès ! Nous organisons des collectes et des distributions de vêtements et de dons pour les réfugié.e.s. Nous collectons des dons ici.

Le Bondy Blog : Le 31 octobre 2015 a eu lieu la Marche de la dignité et contre le racisme, avec le soutien de la militante du mouvement des droits civiques aux États-Unis : Angela Davis. Votre collectif a signé l’appel et participé à cette marche. Pour quelles raisons ? Quels étaient les enjeux de cet événement ?

Mwasi : Nous avons participé à cette marche pour rendre hommage aux luttes portées par les immigrations postcoloniales, les départements et territoires d’outre-mer et les quartiers populaires. C’était une marche pour affirmer notre dignité, réclamer la justice et exprimer notre opposition au racisme institutionnel. Cette marche était également importante parce qu’elle était organisée par la MAFED (Marche des femmes pour la dignité), un collectif de femmes racisées dont nous faisions partie. Il était important pour nous de rendre visible l’intersectionnalité de notre lutte et la dimension politique de nos vies. Cette marche était également importante parce qu’elle était organisée par la MAFED (Marche des femmes pour la dignité), un collectif de femmes racisées dont nous faisions partie. Il était important pour nous de rendre visible l’intersectionnalité de notre lutte et la dimension politique de nos vies.

Abdoulaye GASSAMA

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