Sur les vitres l’Après-M les articles de presse français et étrangers ont remplacé les menus multicolores de burgers, et autres nuggets qui trônaient dans l’ancien restaurant McDonald’s du 214 rue de Sainte-Marthe des quartiers Nord de Marseille.

À l’intérieur, les vestiges de l’enseigne américaine se mêlent aux dessins, aux pancartes et aux banderoles revendicatives, symboles d’un combat acharné pour l’amélioration des conditions de travail des employés face à la franchise américaine, symbole du capitalisme mondialisé, dérégulé.

« J’ai une règle, le bien pour le bien. » Mohamed Amine, 35 ans, fait visiter les lieux, sur son fauteuil roulant. Arrivé d’Algérie il y a un an et demi pour une opération médicale, la crise sanitaire retarde l’intervention. « Un ami m’a dit ‘tu as des compétences, va voir ce qu’il se passe là-bas.’ ».

Mohamed Amine, fait visiter au BB les locaux de l’Après M.

En décembre 2019, tandis que l’enseigne veut fermer le restaurant, employant plus de 70 personnes, les salariés en résistance décident de bloquer le lieu, source d’emploi du quartier. Une résistance populaire auto-organisée contre le capitalisme et ses dérives au profit des intérêts des habitants du quartier où le taux de pauvreté culmine à 35%.

Aux Restos du Coeur, il fallait attendre 15 jours et avoir un dossier en béton pour espérer une inscription probable et avoir à manger. Ça fout un coup au moral et à la dignité. 

Les palettes de fruits et légumes s’entassent dans la salle en attendant d’être distribuées.

Quelques mois plus tard, alors que la liquidation judiciaire est prononcée, l’ancien fast-food devient une base solidaire essentielle dès le premier confinement avec l’épidémie de Covid-19. L’aide alimentaire s’est substituée au rendement frénétique de la vente de burgers.

Les nuggets entreposés dans la chambre sont aujourd’hui remplacés par des végétaux qui seront distribués aux démunis. Là où les clients mangeaient leurs burgers, sont désormais stockés les cageots de fruits et légumes frais en attendant la séance de nettoyage et de tri.

Les vestiges dans l’ancien fast food se mêlent au nouveau présent de l’institution associative.

Alors que les dons de nourriture sont déchargés dans la salle, une partie des bénévoles s’apprête à partir en maraude. Derrière le comptoir de commande, l’ancien drive de l’oncle Ronald sert dorénavant de point de distribution les lundis, pour qui a faim. Grâce aux dons des particuliers, et au soutien d’une cinquantaine d’associations, l’Après M arrive à assurer ses missions en totale indépendance.

L’équipe de l’Après-M a redéfini son espace avec une mini-bibliothèque, et un lieu de réunion. C’est, entre autres, ici que les discussions ont lieu, et les mercredis c’est le jour de l’accompagnement administratif. Mais même si les cerveaux sont en ébullition et qu’il y a du mouvement, le matériel appartenant au géant de la restauration rapide est nettoyé, filmé, et protégé : interdit d’y toucher.

Réunions de cerveaux et de talents pour faire ensemble

Lors d’une réunion banale, les bénévoles commencent à discuter. Les idées fusent dans tous les sens. « Attends, on vient à peine d’en parler », lance Maxime, stagiaire. « On a déjà un plan B », répond Sylvain, bénévole. L’équipe semble inarrêtable. « C’est un peu comme ça que Kamel a trouvé l’idée pour l’Après-M, il a dit, et si on retourne les lettres… », explique Sylvain en référence au logo qui trône juste au-dessus du bâtiment. « Des fois en partant d’une rigolade, ça finit par se concrétiser »,  illustre Ouarda, bénévole, qui ne compte plus ses heures au sein de l’Apres-M.

Ouarda, bénéficiaire puis bénévole solaire de l’Après M, écrit la to-do list au tableau.

Le sourire de cette mère de famille de 40 ans rayonne dans toute la pièce.  Avant de s’investir dans l’initiative en janvier 2021, elle en a été bénéficiaire. « J’étais dans une situation personnelle critique. Je suis allée m’inscrire aux Restos du Coeur, mais il fallait attendre 15 jours et avoir un dossier en béton pour espérer une inscription probable et avoir à manger. Ça fout un coup au moral et à la dignité », relate-t-elle.

Devant l’urgence de nourrir ses 4 enfants, et les barrières administratives décourageantes, Ouarda ne lâche pas le morceau. « On m’a dit qu’on ne peut rien faire pour moi. J’insiste et la dame me parle de plateforme à Sainte Marthe ». Elle ne trouve pas immédiatement le lieu, mais finit par rejoindre la longue file d’attente. La mère apprend qu’ils « prennent sans dossier » et saute le pas le lundi suivant à 5 heures du matin.

« Entreprise milliardaire, salariés dans la misère » peut-on lire sur la banderole devant les anciennes cuisines.

On s’écoute, on se dit ‘tiens, pourquoi pas’. On y va en vélo, en courant ou en marchant. On s’en fout, on y va.

L’accueil qu’elle reçoit, la rebooste. « Je rencontre Sylvain avec un sourire jusqu’aux oreilles, même derrière le masque. Et Kamel m’a dit: ‘ma sœur ici tu es chez toi, tu es la bienvenue.’ Ça m’a touchée. Ça m’a presque mis en colère car ça faisait longtemps que je n’avais pas reçu une telle considération humaine. »

Puis Ouarda donne un coup de main, pour le ménage. De fil en aiguille, elle propose de mettre son expérience de gestion de deux magasins, et ses compétences au service de l’initiative. « On s’écoute, on se dit ‘tiens, pourquoi pas’. On y va en vélo, en courant ou en marchant. On s’en fout, on y va », lâche la Marseillaise. Le savoir-faire de chacun est utilisé pour faire évoluer l’Après-M.

Les conversations s’enchainent aussi vite que les distributions à l’Après M.

Tout le monde donne un coup de main, fait des blagues et s’entraide dans les différentes tâches. « Je me sens utile. On s’organise en toute autonomie. Alors, des fois, il y a des frictions, c’est normal. Puis chacun revient à la raison », relate Yazid, 62 ans, la main verte de l’équipe. « On est tous des couteaux suisses ici « , résume Sylvain, en train de décharger des stocks de cottage cheese.

Des actions de distribution alimentaire en attendant le fast-food social

Depuis son engagement en janvier dernier, Mohamed Amine est présent sur le site presque tous les jours. Informatique ou secrétariat, l’Algérien ne manque pas de ressources. « Je répare les ordinateurs en panne, j’ajoute les bénéficiaires dans la base ou je fabrique les cartes des bénéficiaires. Actuellement, il y en a 2500. Ça me fait plaisir de voir les gens sourire. Moi, je rencontre de nouvelles personnes, ça me change un peu du quotidien ». Quand il a le temps, il vient prêter main forte pour trier les légumes ou participer au Uber solidaire.

On nous a demandé s’il était possible de livrer. Donc avec une équipe tournante, on fait une tournée pour 10 à 40 bénéficiaires. C’est ça le Uber solidaire.

« Des personnes nous ont dit qu’elles ne pouvaient pas se déplacer aux distributions des lundis. Il y a par exemple des personnes en situation de handicap, ou qui n’ont pas les moyens de se déplacer. On nous a demandé s’il était possible de livrer. Donc avec une équipe tournante, on fait une tournée pour  10 à 40 bénéficiaires. C’est ça le Uber solidaire », éclaire un bénévole.

Le Uber solidaire c’est acheminer jusqu’au domicile l’aide alimentaire.

Ce jour-ci, c’est double distribution. Maxime, stagiaire et étudiant à Sciences-Po, fait le tour du quartier avec un caddie et la liste de personnes à livrer. Comme un livreur Uber Eats, en cas d’absence, il dépose le colis sur le pas de la porte et photographie la preuve de dépôt. Un autre groupe se prépare à monter dans une voiture, en direction d’un hôtel de Marignane.

Maxime dépose les courses et passe un petit coup de fil pour prévenir les bénéficiaires.

La racine c’est McDo, le tronc c’est l’Après-M et moi, je suis l’une des branches de l’arbre.

Depuis le début de son aventure, la plateforme revendique avoir distribué près de 150 000 colis et repas chauds. Hormis le don de nourriture, l’Après-M ne cache pas sa volonté de produire local, peu cher et sain. C’est Yazid, 62 ans, qui se charge principalement de la végétalisation et ne passe pas par quatre chemins pour s’exprimer. Le « vieux » comme il s’auto-surnomme est apaisé par la nature, d’autant plus qu’il a la main verte.

L’homme est entré dans l’initiative en décembre 2020, repéré par « deux jeunes qui ont vu mon jardin ». En face du drive, il y a déjà des récoltes de légumineuses et d’autres végétaux plantés par les enfants. « Je m’intéresse à comment se nourrir au milieu du goudron et du béton. Comment planter des jardins nourriciers ». Et Yazid poursuit les parallèles avec la nature pour exprimer sa position. « La racine c’est McDo, le tronc c’est l’Après-M et moi, je suis l’une des branches de l’arbre. »

Et de toutes ces branches, Mohamed-Amine rappelle l’une des prochaines cimes à atteindre. « On a eu l’accord de la mairie pour le rachat du restaurant. Ce qu’on veut c’est construire le fast food social le moins cher du quartier et garder l’aspect de solidarité ». Et pour multiplier leurs chances d’y arriver, la plateforme prévoit déjà la suite. Si tu veux que la pomme tombe, secoue l’arbre.

Le potager de l’Après M s’organise peu à peu.

‘La part du peuple’ et les discussions avec la mairie de Marseille

Mais si l’auto-organisation préserve une forme d’indépendance et de créativité, le système D sert à éviter les dépenses d’un budget très serré. Pour tenir sur la durée, ils ont choisi un modèle différent d’une simple cagnotte, via la création d’une société citoyenne immobilière.

Il y a encore de ça deux semaines, on sentait l’expulsion arriver. Et puis retournement de situation.

« [la Part du peuple] est une association à but non lucratif dont l’ensemble des adhérents participent à acquérir ou plutôt reprendre la maîtrise légale des bâtiments, des terrains et du matériel de l’ex-Mc Do de Ste Marthe à Marseille. La SCI a pour ambition de rassembler au moins 50 000 personnes pour donner les moyens au projet de Fast-Social-Food géré par une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) composée d’anciens salariés, d’habitants, de commerçants, d’artistes et de tous ceux qui rêvent d’un monde centré sur l’humain, le partage et l’entraide » peut-on lire sur le site de la plateforme. Pour 25 euros, les citoyens pourront acheter une part.

En attendant les précisions de la mairie, l’entraide continue à l’Après M.

« Il y a encore de ça deux semaines, on sentait l’expulsion arriver. Et puis retournement de situation. Du jour au lendemain, le maire de Marseille Benoît Payan annonce sa volonté de racheter le bien à McDo »,  s’étonne encore Sylvain. Le vendredi 9 juillet, suite à la décision de la mairie, l’Après-M rencontrera Benoît Payan afin d’échanger sur le droit d’usage et propriété. En attendant, cette étape décisive, l’Après-M reste déterminé, en mouvement et se structure à travers les bonnes volontés des bénévoles. Sylvain prédit: « je te promets qu’une idée que tu as entendue aujourd’hui va se réaliser. » Ça se passe comme ça à l’Après M.

Amina Lahmar

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